Hugo Georges est un jeune élu de 25 ans, il s’est engagé dans la vie politique de sa ville, Aulnoye-Aymeries où son grand-père est maire. Le sociologue Laurent Lardeux explique que le cas d’Hugo Georges n’est pas inhabituel, « il y a beaucoup d’élus qui sont fils ou petits-fils d élus. Nous avons réalisé en étude en 2019 auprès de 4 800 jeunes élus municipaux de 18 à 35 ans. Il y a 30 % de ces élus qui ont un père ou une mère qui avait déjà été élu municipal par le passé. » Il y a donc un effet héréditaire très fort. « Au-delà d’avoir un parent élu, finalement ce qui compte avant tout c’est d’avoir grandi dans un environnement familial politisé et donc de bénéficier de connaissances techniques, sociales, politiques pour briguer un mandat, se sentir autorisé à le faire », poursuit-il.
Rémi Cardon, sénateur socialiste de la Somme, âgé de 26 ans, et benjamin du Sénat témoigne, lui qui est aussi descendant d’élus de la République : « J’ai fréquenté les manifestations, très tôt sur les épaules de mon père et puis petit à petit j’ai suivi mon chemin qui est le même que celui de mon père. »
« Il y a des inégalités très fortes en termes de socialisation politique et donc d’accès au mandat. »
Laurent Lardeux rappelle que ces déterminants familiaux, sociaux qui permettent d’acquérir un savoir-faire et un savoir être pour s’engager dans le champ politique sont très inégalement distribués dans la société française : « Il y a des inégalités très fortes en termes de socialisation politique et donc d’accès au mandat. Il y a des inégalités en termes de classes sociales notamment, la socialisation politique se transmet d’abord et avant tout dans des familles plus avantagées. Il y a également des inégalités en termes de genre, la transmission de valeurs politiques au sein de la famille est surtout une affaire d’hommes, ce qui conduit au fait que les jeunes hommes se sentent davantage autorisés à se lancer dans un mandat municipal que les jeunes femmes. »
Rémi Cardon va dans le sens du sociologue et pense qu’il a surtout été favorisé par le fait qu’il a pu assister et participer à des rencontres, des débats, des manifestations plus facilement puisque ses parents y étaient invités.
Les recherches menées par Laurent Lardeux et publiées dans l’ouvrage « Générations désenchantées ? Jeunes et démocratie » aux éditions de la Documentation Française montrent également le vieillissement de la politique traditionnelle, représentative. Les jeunes maires de moins de 40 ans sont très peu nombreux, moins de 4 %, et l’on constate une défiance toujours plus forte des nouvelles générations envers le personnel politique. Seulement 2 % des 18-29 ans adhèrent à un parti politique. Ils sont plus abstentionnistes, plus en retrait de la politique traditionnelle mais pas de la politique dans un sens plus large ».
En effet, selon le sociologue ce désenchantement à propos de la politique institutionnelle s’articule avec un réenchantement démocratique des nouvelles générations par un investissement dans des actions hors des institutions politiques traditionnelles comme des marches, des manifestations, des pétitions, des boycotts. « Il y a une déconnexion entre les valeurs des jeunes citoyens qui sont très fortes et très affirmées notamment en termes de justice sociale, d’égalité, d’environnement et l’offre politique qui leur est proposée. Cette déconnexion les incite à aller chercher d’autres manières de s’impliquer dans le débat public plus en phase avec leurs valeurs. » La défiance ne signifie pas prise de distance ou dessaisissement politique, au contraire. « Les jeunes citoyens les plus critiques vis-à-vis du régime politique tendent aussi à avoir une vision plus exigeante de la démocratie. Il y a un souhait partagé de s’impliquer dans la démocratie mais dans des configurations profondes de renouvellement, plus directes et moins dépendantes des structures politiques traditionnelles. »
« C’est une bonne chose que certains jeunes s’engagent dans cette voie mais ils doivent avoir l’ambition de transformer la Ve République ».
Camille Etienne a effectué sa scolarité à Sciences Po, mais elle n’a pas souhaité s’engager dans le champ politique traditionnel. « A titre personnel la vie d’élue politique ne me fait pas envie, mais je suis ravie que certains le fassent, témoigne-t-elle. Tout n’est pas à jeter, on a besoin de plein de formes d’engagement différentes. C’est une bonne chose que certains jeunes s’engagent dans cette voie mais ils doivent avoir l’ambition de transformer la Ve République pour qu’elle incarne un peu plus la démocratie. Ils ont une double facette, une double responsabilité, ils doivent porter leurs idées avec intransigeance et en même temps changer les règles du jeu pour que la parole démocratique soit entendue plus largement. »
Si Camille Etienne se définit comme activiste pour la justice sociale et climatique et a choisi de s’engager auprès d’associations et d’ONG, elle ne nie pas non plus les privilèges et les déterminismes qui l’ont conduit à agir comme elle le fait : « J’ai eu la chance de grandir aux portes du Parc National de la Vanoise, donc d’être très tôt sensibilisée à la protection de la nature. Il y en a d’autres qui n’ont pas eu la chance d’avoir accès aussi tôt à toutes ces informations, et donc cela me donne une responsabilité. Pour moi il faut reconnaître qu’il y a structurellement une reproduction des élites qui se fait par des conditions économiques et sociales. »
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