C’est un état des lieux inquiétant pour la justice en France. Les membres du comité des Etats généraux de la justice ont pu rappeler les conclusions de leur rapport, ce mercredi matin, lors d’une audition par la commission des lois du Sénat. Un rapport que Jean-Marc Sauvé, président du comité des Etats généraux de la justice et ancien vice-président du Conseil d’Etat, a remis à Emmanuel Macron en juillet dernier.
« Sur la crise de la justice, il faut bien voir que nous sommes confrontés à une double crise : une crise universelle et une crise nationale », a commencé Jean-Marc Sauvé. « La crise universelle, c‘est la crise de l’autorité judiciaire », explique-t-il, avec également « une crise du service public de la justice ». Il pointe « la judiciarisation des pouvoirs publics » qui crée des « turbulences et de la tension ».
« On n’a appliqué que des rustines à un dispositif qui s’enfonçait petit à petit », dénonce Jean-Marc Sauvé
Il ne peut que constater que « les délais et les stocks ont augmenté notamment par la complexification du droit ». Du retard qu’on retrouve « dans le champ civil, pénal, de la justice de protection ». Bref, partout.
« Il y a une crise majeure de l’institution judiciaire qui n’a plus les moyens de remplir son rôle, et qui fait l’objet de remises en question multiples. L’une des explications : des politiques publiques défaillantes », insiste Chantal Arens, membre du comité et Première présidente de la Cour de cassation. Elle alerte sur « une justice au bord de la rupture ». Pour la magistrate, il faut « arrêter de réformer sectoriellement. Il y a un empilement de réformes », avec à la clef « pour les professionnels, une perte de sens, un questionnement même sur le rôle de l’institution judiciaire ».
Le rapport pointe sans surprise « l’insuffisance de moyens ». « Les réformes de la justice ont trop consisté dans un engrenage de mesures ponctuelles. On n’a appliqué que des rustines à un dispositif qui s’enfonçait petit à petit », dénonce Jean-Marc Sauvé. Et les griefs sont légion. Il pointe « une organisation déconcentrée qui n’est pas lisible, une insuffisance de management », ou encore « pas de gestion des ressources humaines digne de ce nom ». Chantal Arens note aussi « un sous-investissement chronique, en particulier pour l’informatique ».
« Mettre en place un dispositif de régulation de la population carcérale »
Côté propositions, elle reconnaît que « ce n’est pas un rapport révolutionnaire. […] On n’a pas proposé un Conseil de justice, une séparation du siège et du parquet. C’est un rapport pragmatique ».
Le rapport propose « de revoir l’équilibre au sein du Conseil supérieur de la magistrature », ainsi que « la responsabilité pénale des décideurs publics, en particulier des membres du gouvernement. Il faut supprimer la Cour de justice de la République (qui juge les membres du gouvernement pour les actes délictueux ou criminels commis dans l’exercice de leur fonction, ndlr) et aménager les règles de fond de la responsabilité pénale quand les actes mis en cause découlent directement par la mise en œuvre par les ministres et leurs collaborateurs de la politique du gouvernement », note Jean-Marc Sauvé.
Autres idées : « Nous proposons de limiter de manière volontariste le recours aux courtes peines, de renforcer substantiellement les moyens du milieu ouvert. […] Pour éviter un traitement inhumain et dégradant, de mettre en place un dispositif de régulation de la population carcérale qui ne soit pas un numerus clausus pur et simple ».
« Contrairement à ce qu’on pourrait croire, sur les faux procès sur le laxisme de la justice, les peines de prison augmentent en moyenne », souligne François Molins
De son côté, François Molins, Procureur général près la Cour de cassation et membre du comité, souligne que ce dernier « a estimé qu’il était aujourd’hui indispensable de refondre le code de procédure pénale. Il est devenu illisible et peu praticable ». Illustration : il compte « 700 articles de plus en 14 ans ». Les membres du comité préconisent aussi « le maintien du juge d’instruction ». François Molins note par ailleurs, que « contrairement à ce qu’on pourrait croire, sur les faux procès sur le laxisme de la justice, les peines de prison augmentent en moyenne de pratiquement deux mois, en quelques années ».
Jérôme Gavaudan, président du Conseil national des barreaux et membre du comité, souligne lui « la détresse des magistrats » et, « en miroir, la souffrance exprimée par les professionnels du droit. Et celle des avocats, qui sont aussi potentiellement les victimes de cette dégradation ».