Marjorie Enjelvin n’a pas digéré sa défaite. «Nous étions largement favoris» assure la maire sortante de Clarensac dans le Gard, candidate à sa réélection. Mais le coronavirus a changé la donne. Résultat: une défaite «à 82 voix près» contre la seule liste concurrente, et 49% d'abstention (11 points de plus qu’en 2014).
«Je peux affirmer qu’une partie importante de mon électorat se trouve chez les personnes d’un âge avancé. Ils ne sont pas venus par peur du Covid19» analyse Marjorie Enjelvin. Elle a déposé un recours devant le tribunal administratif de Nîmes pour faire annuler l’élection.
Une abstention «contrainte»
Partout la grogne monte chez les élus locaux. Marjorie Enjelvin fait partie des cinquante signataires d’une lettre ouverte à Emmanuel Macron publiée dans le Figaro afin de demander un nouveau vote. Et tandis qu’une pétition en ligne en ce sens avait recueilli lundi 6 avril plus de 13 000 signatures, les recours devant les tribunaux se multiplient.
Renaud George, candidat malheureux à sa réélection à Saint-Germain-du-Mont-d’Or, dans le Rhône, vient de déposer le sien devant le tribunal administratif de Lyon. L’ancien directeur de campagne de Gérard Collomb a été battu par une liste écologiste «à 70 voix près», et avec 61% d’abstention. Une abstention «contrainte» selon Renaud George : «Ce ne sont pas des gens qui ne voulaient pas voter, mais des gens qui n’ont pas pu! Parce qu’ils ont été effrayés par les injonctions contradictoires du gouvernement.»
Des messages contradictoires du gouvernement
Pour ces élus, le message sanitaire envoyé par Emmanuel Macron et Edouard Philippe dans les jours précédant l’élection était incompatible avec la tenue du scrutin. «Consignes, contre-consignes, re-consignes… un coup c’était restez chez vous, un coup allez voter » énumère Marjorie Enjelvin.
«Ce premier tour est une mascarade» déclare, amer, Christian Bertin, le maire sortant du Creuzier-le-Vieux dans l’Allier (battu de 36 voix). «Malgré toutes les précautions que nous avions suivies à la lettre, les gens ne sont pas venus. Le message sanitaire réservait le vote aux seules personnes en bonne santé, ça n’est pas conforme à l’esprit du suffrage universel.»
Les gagnants aussi veulent rejouer l’élection
Et il n’y a pas que les perdants pour vouloir rejouer le match. A Chartres-de-Bretagne, en Ille-et-Vilaine, Philippe Bonnin s’est vu élu dès le premier tour avec seulement 27% de participation. Il demande un nouveau vote. «Je pourrais dire: je suis élu pour 6 ans, pas de problème. Mais ce n’est pas ma conception de la démocratie».
«Je suis prêt à me faire élire dans des conditions normales ou à être battu dans des conditions normales» renchérit Laurent Jaoul, maire de Saint-Brès dans l’Hérault. Élu avec 100% des voix et seulement 300 suffrages exprimés dans cette commune de 3200 habitants, il vient de saisir le tribunal administratif de Montpellier pour annuler sa propre élection.
En jeu, la légitimité de ces maires nouvellement élus. «Quelle légitimité avec 30% de participation?» s’interroge Gilles de Bel-Air, maire sortant de Noyal-Châtillon-sur-Seiche (lui a été battu). «Gérard Larcher disait que le maire est à portée d’engueulade. C’est important d’être légitime. Surtout si on a besoin de faire imposer des mesures contraignantes».
Le Conseil constitutionnel saisi ?
A l'instar de ses collègues, Renaud George estime qu’il faut revoter partout, y compris là où une liste l’a emporté avec plus de 50% des voix au premier tour. «L'exécutif et les partis que ça arrange souhaiteraient que le match ne soit rejoué que pour les 5000 communes où il n'y a pas eu de gagnant, et où il y aura un second tour» note le maire sortant de Saint-Germain-au-Mont-d'Or. «Je considère que c’est une énorme claque aux 30 000 communes et aux millions d’habitants qui se sont fait voler l'élection!»
«Puisque nous admettons tous que la situation a fait que ce 15 mars a donné lieu à une aberration démocratique, il faut que le 1er tour soit évidemment rejoué partout» poursuit-il. En plus de son recours judiciaire, Renaud George s’apprête à formuler une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil constitutionnel.
Rendez-vous dans un an ?
«On ne peut pas remettre en cause une élection acquise» prévient le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier. «Là où les conseillers municipaux ont été élus, le fait qu’ils l’aient été en dépit de circonstances déplorables ne constitue pas en soi un motif d’annulation de l’élection».
Demeure l’inconnue du calendrier. Alors qu’Édouard Philippe a ouvert la porte à une nouvelle élection en octobre, les maires n’y croient pas. «La priorité pour tous, gouvernement et élus locaux, c’est le Covid. Donc pourquoi ne pas se donner rendez-vous aux urnes en mars prochain?» demande Marjorie Enjelvin. Pour Gilles de Bel-Air, le maire sortant de Noyal-Châtillon-sur-Seiche, « il faut vraiment que cette crise passe, que l’on tourne la page du virus. Quitte à ne voter qu’en mars, et tant pis pour les sénatoriales.»