La porte-parole du gouvernement Maud Bregeon a assuré ce mercredi à la sortie du Conseil des ministres qu’Emmanuel Macron a acté qu’il n’y avait pour le moment pas « de socle plus large que celui qui est en place aujourd’hui » pour gouverner. Mais, après les consultations des responsables de partis mardi, « le président continue à écouter et à tendre la main ».
Les principaux enjeux et le calendrier de la présidence française de l’Union européenne
Par Romain David
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« Relance, appartenance, puissance. » Le 19 janvier prochain, face au Parlement européen à Strasbourg, Emmanuel Macron devra décliner la devise que la France a choisie pour illustrer sa présidence de l’Union européenne en un programme politique ambitieux, susceptible de rallier l’adhésion d’une majorité d’eurodéputés. Depuis le 1er janvier, la France a officiellement pris la présidence semestrielle du Conseil de l’Union européenne (PFUE). C’est la treizième fois de son histoire que cette charge lui incombe, la dernière présidence française remontant à 2008, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Ce jeudi, les différents commissaires européens - l’équivalent de nos ministres - seront accueillis à Paris. Puis, à partir du 12 janvier, différentes réunions ministérielles se tiendront en France, à Brest et à Amiens, autour des ministres européens de la Défense, des Affaires étrangères, de l’Environnement et de l’Energie.
C’est toutefois la prise de parole d’Emmanuel Macron à Strasbourg qui donnera le véritable coup d’envoi de cette présidence, qui confère à la France un pouvoir d’influence plutôt qu’un pouvoir véritablement décisionnel. En fixant l’ordre du jour des réunions du Conseil, Paris va avoir l’occasion de faire remonter sur le haut de la pile certains dossiers, et ainsi d’influer sur le calendrier législatif de l’UE. « D’un point de vue institutionnel, la présidence tournante gère le travail législatif du Conseil. L’objectif est de permettre aux 27 de trouver des accords et des compromis », explique à Public Sénat Edouard Simon, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques. « D’un point de vue politique, cela permet de définir des priorités, c’est aussi l’occasion de promouvoir un certain nombre d’idées nouvelles. »
Trois grands chantiers
À l’occasion d’une conférence de presse fleuve le 9 décembre, Emmanuel Macron a largement détaillé les grands axes de la PFUE. La France espère notamment peser dans trois dossiers en particulier : la révision des règles budgétaires européennes, la réforme de l’espace Schengen et le renforcement de la souveraineté européenne à travers le développement d’une série de filières industrielles.
Améliorer la gestion des flux migratoires. La France veut porter une réforme de l’espace Schengen face aux crises migratoires, qui passe par la mise en place d’un pilotage politique de la zone de libre-échange. Emmanuel Macron souhaite également l’instauration d’un « mécanisme de soutien d’urgence aux frontières en cas de crise ». La France devrait également appuyer pour une adoption plus rapide des dispositifs prévus par le pacte européen sur l’immigration et l’asile publié en 2020, après de longues négociations. Celui-ci inclut un système de filtrage des entrées aux frontières extérieures de l’UE et un partage plus important des responsabilités en matière d’immigration, avec une révision du règlement « Dublin III » qui détermine le pays à charge d’examiner une demande d’asile. C’est ce dernier point qui cristallise une large partie des désaccords, alors que la France espère un lissage des règles en matière de droit d’asile, afin d’éviter des « mouvements secondaires » à l’intérieur de l’Union, vers certains pays plutôt que d’autres.
Publié fin septembre, un rapport d’information du Sénat se montrait peu optimiste quant à l’avenir de ce pacte européen, au vu des divisions entre États. « Est-on capable d’arriver à une politique d’asile commune ? En Europe centrale et orientale, il y a des États qui n’en veulent pas. Et pourtant, la crise entre la Pologne et le Bélarus nous montre que si l’UE ne sait pas se mettre d’accord sur ce point, un pays dont le PIB est seize fois inférieur à celui de la France est capable de déclencher une crise d’une ampleur insoupçonnée », pointe Edouard Simon.
Le 9 décembre, le chef de l’État a également insisté sur la nécessité de renforcer la coopération avec les pays qui représentent des points de départ des voies migratoires. À cette fin, un sommet entre l’Union africaine, organisation qui réunit les 55 États du continent africain, et l’Union européenne se tiendra du 17 au 18 février à Bruxelles afin de fixer un « new deal économique et financier avec l’Afrique », selon la formule du président de la République. Il s’agit notamment de repenser les mécanismes d’investissement solidaires à destination du continent africain, « en bâtissant un avenir à la jeunesse africaine pour réduire les inégalités, lutter contre les trafics qui exploitent la misère et les passeurs qui ont fait de la Méditerranée un cimetière honteux ».
Repenser le cadre budgétaire de l’UE. Lors de sa conférence de presse du 9 décembre, Emmanuel Macron a estimé que les mesures financières qui ont été prises pour amortir les conséquences économiques de la crise sanitaire interrogent la pertinence des règles qui régissent actuellement le fonctionnement budgétaire de l’UE, notamment les accords de Maastricht. « Nous ne pouvons pas faire comme si rien ne s’était passé », a déclaré le président français. En ligne de mire : la sacro-sainte règle des 3 %, selon laquelle le déficit public annuel d’un État ne doit pas excéder 3 % de son produit intérieur brut (PIB), et la dette publique rester en deçà des 60 % du PIB. Une ligne de conduite souvent critiquée, et qui a volé en éclat en mars 2020, avec le déblocage de dispositifs d’aides massifs aux entreprises et aux salariés. « La question, ça n’est pas pour ou contre les 3 %. Cette question est dépassée », a encore estimé Emmanuel Macron.
Parmi les pistes de travail : un système d’endettement à la carte, selon les capacités de chaque pays, qui pourrait être géré par une Agence européenne de la dette. Cet organisme est évoqué dans une tribune publiée fin décembre par le Financial Time et cosignée par Emmanuel Macron et Mario Draghi, le président du Conseil des ministres d’Italie et ancien président de la Banque centrale européenne. Reste à convaincre l’Allemagne et les États du nord de l’Europe, réputés plus rigoureux en matière budgétaire, du bien-fondé d’un tel système. « Faire des projections sur ce qui est susceptible d’être retenu ou pas reviendrait à consulter une boule de cristal », observe notre spécialiste des questions européennes. « Certains pays, du sud de l’Europe par exemple, espèrent que la politique d’investissement du plan de relance se prolonge au-delà de 2027. Il y aura certainement des désaccords, mais ils semblent bien moins importants qu’ils ne l’étaient il y a dix ans au moment de la crise grecque. Pour l’Allemagne, la crise sanitaire a été un révélateur. »
La question budgétaire sera l’un des enjeux d’un sommet des chefs d’État et de gouvernement européens, à Paris les 10 et 11 mars. Il y sera également question de la relance industrielle du continent, du financement des transitions écologiques et numériques, et de l’harmonisation des salaires minimums européens.
Renforcer la souveraineté européenne. La crise sanitaire a montré la large dépendance des pays européens à la Chine quant à la production de certains principes actifs ou de masques chirurgicaux. Face aux grandes puissances, américaines et asiatiques notamment, la France entend renforcer l’indépendance industrielle du continent européen, et en faire une référence dans certaines « filières fortes pour structurer le monde de 2030 », tout en les adaptant aux objectifs de réduction des gaz à effet de serre. Parmi les secteurs qui pourraient faire l’objet de politiques d’investissement ambitieuses : l’hydrogène, le cloud, les semi-conducteurs, les batteries, la santé, la conquête spatiale ou encore les industries culturelles. Notons que cette liste fait largement écho à celle du plan national de réindustrialisation « France 2030 ». « Ce n’est pas un hasard », sourit Edouard Simon. « Emmanuel Macron entend tirer un avantage politique de la présidence française en montrant comment les décisions qu’il prend à l’échelon national poussent aussi l’Europe à changer. Il met en place une sorte de symbiose entre politique nationale et politique européenne. »
Autre instrument de la souveraineté européenne : la défense. La France souhaite que sa présidence soit l’occasion de la mise en place d'« un livre blanc européen de défense et de sécurité », c’est-à-dire une « boussole stratégique » qui définisse les principales menaces pour les Européens, mais aussi les orientations à adopter collectivement pour y faire face. La rédaction de ce texte a débuté fin 2020, sous la présidence allemande du Conseil de l’Union européenne, et la France entend y mettre un point final à l’occasion du Conseil européen qui se tiendra les 24 et 25 mars. « Il y a eu tout un travail important de débats entre les Européens pour aboutir à ce texte. Au moment où les premiers travaux ont été lancés, une adoption était loin d’être acquise. Aujourd’hui, ce serait une vraie déception s’il n’y avait pas une adoption de cette boussole par les 27 », note Edouard Simon.
« Une crise sécuritaire grave aux frontières de l’Europe - si l’on regarde la situation en Ukraine ou en Bosnie, cela n’est pas à exclure - pourrait chambouler les cartes, et faire disrupter l’agenda et les priorités françaises », ajoute-t-il.
L’élection présidentielle
Un événement majeur viendra se télescoper à cette présidence française : l’élection du président de la République les 10 et 24 avril. La France n’a pas souhaité laisser la place et reporter sa présidence, alors que la campagne électorale laisse craindre un ralentissement des travaux à partir du mois de mars. Par ailleurs, l’hypothèse d’une alternance, et donc d’un changement de tous les ministres en fonction à partir de mai, pourrait aussi remettre en cause l’issue de certaines négociations. « En réalité, et tout le monde le sait bien, cette présidence ne va durer que jusqu’en mars. De ce point de vue, le Conseil européen des 24 et 25 en sera le principal temps fort. Au-delà, il sera plus compliqué d’obtenir des consensus politiques avec les autres Européens », indique Edouard Simon.
« Durant la campagne, Emmanuel Macron pourra tirer avantage de la présidence française en cultivant sa stature européenne. Mais cela peut aussi se retourner contre lui, si certains acteurs refusent de cautionner son leadership, je pense par exemple à Viktor Orban », pointe notre spécialiste. « Il n’est pas non plus à l’abri d’une instrumentalisation par ses principaux concurrents, comme l’a montrée cette malheureuse polémique sur le drapeau européen sous l’Arc de Triomphe. »
Le calendrier en sept dates clefs
En tout, ce sont 400 réunions de travail, conseils officiels ou informels, tables rondes et autres sommets qui sont d’ores et déjà prévus tout au long des six mois de la présidence française de l’Union européenne. Petit tour d’horizon des principales dates à retenir :
- 19 janvier à Strasbourg : discours d’Emmanuel Macron devant le Parlement européen. Le président de la République exposera aux eurodéputés les objectifs du mandat français.
- 17 au 18 février à Bruxelles : sommet entre l’Union africaine, organisation qui réunit les 55 États du continent africain, et l’Union européenne, afin de réactualiser l’investissement solidaire à destination des pays africains
- 10 au 11 mars à Paris : sommet des chefs d’Etat et de gouvernement autour de la question budgétaire
- 23 mars à Bruxelles : sommet social tripartite, qui réunit les présidents des institutions européennes et les principaux partenaires sociaux européens
- 24 au 25 mars à Bruxelles : Conseil européen autour des questions de défense
- 23-34 juin à Bruxelles : Conseil européen
- 30 juin : fin de la présidence française de l’UE