Levée du véto turc à l’OTAN sur l’adhésion de la Suède et de la Finlande : « cette politique de chantage est bien connue des occidentaux »
La signature d’un mémorandum entre les différents dirigeants dans la nuit du 28 juin, est venue débloquer le dossier de l’adhésion de la Suède et la Finlande à l’OTAN, une adhésion qui était menacée par le véto de la Turquie. Cet accord tripartite officialise le soutien d’Ankara aux candidatures scandinaves, un accord monnayé, permis par des concessions sur la question kurde.

Levée du véto turc à l’OTAN sur l’adhésion de la Suède et de la Finlande : « cette politique de chantage est bien connue des occidentaux »

La signature d’un mémorandum entre les différents dirigeants dans la nuit du 28 juin, est venue débloquer le dossier de l’adhésion de la Suède et la Finlande à l’OTAN, une adhésion qui était menacée par le véto de la Turquie. Cet accord tripartite officialise le soutien d’Ankara aux candidatures scandinaves, un accord monnayé, permis par des concessions sur la question kurde.
Public Sénat

Par Louis Dubar

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

Après des semaines d’agitation, les tensions entre la Turquie et les deux pays scandinaves ont fini par se dissiper. Après quatre heures de discussions entre les parties au sommet de Madrid, la Turquie a finalement accepté de lever son véto à l’adhésion des pays nordiques au sein de l’OTAN. Mais à quel prix ? Ankara conditionnait l’entrée de la Suède et de la Finlande au respect de certains critères. Désormais, Helsinki et Stockholm s’engagent à « apporter leur soutien à la Turquie contre les menaces pesant sur sa sécurité nationale. » L’accord trilatéral définit le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) comme une « organisation terroriste. » Les deux pays scandinaves s’engagent également à cesser tout « soutien » à la milice kurde syrienne des Unités de protection du peuple (YPG), au Parti de l’Union démocratique (PYD), basé en Syrie, affilié au PKK et à la confrérie Gülen. Les responsables gouvernementaux turcs accusent ce mouvement dirigé par le prédicateur Fethullah Gülen, accusé d’avoir fomenté la tentative de coup d’Etat de juillet 2016.

Les signataires du mémorandum actent d’un renforcement « du dialogue et de la coopération à tous les niveaux, y compris dans les domaines du renseignement et de la lutte antiterroriste. » En échange de ces concessions, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, confirme son soutien à l’intégration des deux pays nordiques dans les rangs de l’Alliance atlantique. L’intégration d’un nouveau membre au sein de l’organisation exige le consentement unanime des trente Etats membres. Le secrétaire général de l’Alliance, Jens Stoltenberg s’est félicité de la signature de l’accord édifié « dans un esprit constructif. »

Un dénouement inattendu

Pourtant, ce dénouement était loin d’être évident. « Il y avait de quoi être inquiet avant la tenue du sommet de Madrid », souligne Jean Marcou, enseignant-chercheur à Sciences Po Grenoble. L’assouplissement de la position turque est finalement une surprise. Quelques semaines auparavant à peine les projets suédois et finlandais déposés, le président Erdogan affichait une opposition quasi totale aux candidatures de la Suède et de la Finlande à l’OTAN. Début mai, l’ex maire d’Istanbul, avait estimé qu’un élargissement de l’organisation atlantique était « une erreur. » Il définissait les deux pays comme « des maisons d’hôtes pour les organisations terroristes. » Le chef d’Etat expliquait également à ses compatriotes qu’il ne souhaitait pas « répéter la même erreur que celle commise par l’adhésion de la Grèce. » « La Turquie et l’AKP [Parti présidentiel ; ndlr] ont été très virulents dans cette affaire d’adhésion. Ils ont mis la barre assez haut en fixant une sorte d’ultimatum, en expliquant à la Finlande et la Suède qu’elles devaient s’engager clairement dans la lutte contre le terrorisme », précise Jean Marcou. Cette posture d’opposition aux candidatures finlandaises, « c’est un peu la réponse du berger à la bergère. » Pays officiellement candidat à l’UE depuis 1999, « la Turquie est dans ce cas précis, dans une position inverse, elle bloque l’extension de l’alliance à deux pays nordiques, membres de l’UE à une organisation où elle rappelle qu’elle est un membre essentiel. »

Cette rhétorique antikurde est dictée par le programme « intérieur » et l’agenda politique du président de la République turc. « La politique étrangère turque est définie par des impératifs internes », précise Samim Akgönül, professeur à l’université de Strasbourg. Recep Tayyip Erdogan chercherait à raviver « certains élans nationalistes » un an avant les élections législatives et l’élection présidentielle de juin 2023. Confronté à de mauvais sondages et à une situation macroéconomique difficile caractérisée par une forte inflation et un ralentissement de la croissance, « Erdogan tente de mettre l’opposition dans une situation inconfortable » sur le plan politique.

Le dirigeant turc aurait « cédé assez vite en obtenant des résultats moins importants. » Le parti des travailleurs du Kurdistan est déjà placé sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne depuis 2002. Quelques heures à peine après la levée du blocage turc et la signature de l’accord, Ankara réclame aux deux pays nordiques l’extradition de trente-trois personnes qui seraient selon le ministre de la Justice turc, Bekir Bozdag, liées au PKK ou à la confrérie Gülen. Toutefois, « il est assez peu probable que cela se produise », estime le directeur du Département d’Etudes Turques de l’Université de Strasbourg, Samim Akgönül. « Cette politique du chantage est désormais bien connue des Occidentaux », explique-t-il.

Le gain indirect le plus important de cet accord pour Ankara concerne une avancée inattendue dans le dossier bloqué de la modernisation de l’armée de l’air turque. Il y a quelques années, le pays « avait commandé une centaine d’avions F-35 pour renouveler une flotte aérienne vieillissante. » Exclu du programme américain en 2019 pour avoir acheté des systèmes russes de défense antiaérienne S-400, Ankara a jeté son dévolu « sur des avions américains F16 et des kits de mise à niveau pour les avions existants. » Ce mercredi 30 juin, « un jour après l’accord sur la Finlande et la Suède, l’administration Biden apporte désormais son soutien à la vente d’avions de combat F-16. Cette décision américaine a sans doute servi de monnaie d’échange au cours des discussions à Madrid », souligne Jean Marcou. Le Congrès doit désormais se prononcer sur cette vente à Ankara.

« Aucune extradition à moins qu’il n’y ait des preuves d’activité terroriste », prévient le gouvernement suédois

Les demandes turques d’extradition seront examinées par les autorités suédoises et finlandaises mais elles ne pourront se faire en violation de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Dans un communiqué rendu public le 29 mai, la Première ministre travailliste, Magdalena Andersson a indiqué que « cette coopération […] se fera dans le cadre des législations nationale et internationale » et dans le cadre de l’Etat de droit. La ministre suédoise des Affaires étrangères a également déclaré que son pays n’accepterait « aucune extradition à moins qu’il n’y ait des preuves d’activité terroriste. Il n’y a aucune raison pour les Kurdes de penser que leurs droits humains ou démocratiques sont menacés. »

Cette déclaration de la dirigeante suédoise vise à calmer la fronde provoquée à la gauche après la signature du mémorandum par son pays. La Suède compte une importante communauté de 100 000 Kurdes. Depuis plusieurs décennies, le pays est une terre d’exil pour les militants kurdes mais également « des militants turcs issus de la gauche maoïste ou trotskiste. » Aujourd’hui, « il y a toute une génération née en Suède issue de cette immigration. Ils sont devenus des hommes et des femmes politiques, des membres à part entière de la société suédoise. » Cet accord réalisé au nom de la sécurité nationale, est perçu par la députée indépendante suédoise, Amineh Kakabaveh, ancienne peshmerga d’origine kurde Iranienne, comme un marchandage indigne, fait au détriment des droits de l’Homme : « c’est dans cette salle [le parlement ; ndrl] que les lois de la Suède doivent être promulguées, pas à Ankara. »

Partager cet article

Dans la même thématique

capture Le Luron
3min

Politique

Les « films de l’été » 1/8 : Thierry Le Luron, un pionnier de l’humour politique ? 

« C’était un petit surdoué, une sale gosse d’une impertinence rare » se souvient Michel Drucker… Chanteur lyrique de formation, devenu imitateur et comique, Thierry Le Luron a marqué par sa brève carrière le paysage culturel et médiatique des années 70 et 80. Tissé d'interviews de ceux qui l’ont connu ou admiré et de larges extraits de sketchs, le documentaire de Jacques Pessis « Le Luron en campagne » diffusé cet été sur Public Sénat montre combien Thierry Le Luron était insolent à une époque où l'humour n’était pas aussi libre qu’on pourrait le penser aujourd’hui.

Le

Restos du Coeur depot departemental des Alpes-Maritimes
7min

Politique

Les associations seront-elles sacrifiées par le serrage de vis budgétaire ?

Il l’a annoncé mardi, François Bayrou veut faire 43,8 milliards d’euros d’économies. Tous les ministères sont priés de contribuer à l’effort, sauf la défense, la sécurité, la santé et l’écologie. Une des missions qui voit ses crédits diminuer, c’est la mission Sport, jeunesse et vie associative. Cette baisse, conjuguée à la baisse des crédits alloués à la mission Aide publique au développement est un mauvais signal pour les associations françaises, qui sont déjà dans une mauvaise passe. En France, le 1,27 million d’associations sont financées de trois manières : par les subventions de l’Etat, des collectivités locales et par les dons, qui permettent de bénéficier de réduction d’impôts. L’inspection générale des finances chiffre à 53 milliards d’euros le financement public alloué aux associations en 2023. -17,6 % sur la mission Sport, jeunesse et vie associative La mission Sport, jeunesse et vie associative finance de très nombreux dispositifs : la politique en faveur du sport, des Jeux olympiques de 2030, de la politique en faveur de la jeunesse mais aussi de la vie associative. D’autres missions budgétaires participent à ce financement, comme l’Aide publique au développement. Or, ces deux missions voient leurs crédits diminuer dans le projet de budget pour 2026. Dans le tiré à part, le document qui liste les dépenses prévues pour chaque mission budgétaire, présenté le 15 juillet, les crédits de la première sont prévus à 1,2 milliard d’euros pour 2026, contre 1,5 milliard en 2025, soit une baisse de 300 millions d’euros. Pour l’APD, c’est une baisse de 700 millions d’euros. Pour Éric Jeansannetas, sénateur PS de la Creuse et rapporteur des crédits de la mission Sport, jeunesse et vie associative au Sénat, cette baisse est « extrêmement inquiétante ». « C’est une baisse de 300 millions d’euros sur un budget de 1 700 millions, la plus petite mission du budget. On la sacrifie, c’est elle qui perd le plus de crédits en proportion », juge-t-il. Cela inquiète les associations. « 300 millions d’euros, c’est -17,6 % », s’inquiète Pauline Hery, chargée de plaidoyer à France Générosités, « cela montre un recul du financement de la solidarité ». Mais à ce stade, il est difficile pour elle de savoir à quoi s’attendre, le budget n’en est qu’au début de son parcours. Elle n’est pas très optimiste : « On s’attend à des baisses, on sait qu’il y aura des efforts à faire partout ». Lors de son audition devant le Sénat le 16 juillet dernier, Amélie de Montchalin l’a pourtant sous-entendu : ces 300 millions d’euros de baisse ne toucheront pas directement les associations. « 100 millions concerneront l’unification des guichets d’aides aux collectivités territoriales en matière d’équipements sportifs », a-t-elle expliqué. Elle a également assuré que le Service national universel ne serait « pas pérennisé dans sa forme actuelle ». Une explication qui n’a pas convaincu Éric Jeansannetas. « L’année dernière, nous étions tous d’accord au Sénat pour maintenir les crédits de la mission, l’engagement associatif, ce n’est ni de droite ni de gauche », justifie-t-il. 6 % du financement des associations provient d’une niche fiscale Le point d’attention principal du secteur associatif se trouve sur la niche fiscale dont il bénéficie. Pour toutes les associations reconnues d’utilité publique en France, les dons ouvrent le droit à une réduction d’impôts de 66 % du montant donné, dans la limite de 20 % du revenu imposable. Une autre disposition existe pour les associations d’aide aux personnes en difficulté ou victimes de violences, la niche « Coluche » : la réduction d’impôt s’élève alors jusqu’à 75 % du montant, dans la limite de 1 000 €, après quoi le dispositif à 66 % s’applique. Ces deux dispositifs fiscaux représentent 6 % du financement des associations françaises. L’inspection générale des finances a publié, le 16 juillet dernier, un rapport de revue des dépenses publiques en direction des associations. Il pointe une forte augmentation de celles-ci, de 44 % entre 2019 et 2023. S’il reconnaît que « les associations du secteur social, […] paraissent fragilisées par l’inflation et l’augmentation de leur masse salariale », il propose néanmoins de faire un à trois milliards d’euros d’économies. Parmi les pistes de réforme, l’IGF émet l’idée de supprimer la niche « Coluche » et d’abaisser le plafond d’exonération d’impôt de 20 % du revenu à 2000€. Il propose aussi de réformer le crédit d’impôt mécénat, qui s’adresse aux entreprises, en passant d’un système de réduction d’impôt à un système de déduction (c’est l’assiette initiale qui est déduite du montant). Devant ce texte, les associations ont fait part de leur vive inquiétude. « Nous avons été particulièrement alertés par ce rapport. La mise en place des mesures concernant la niche fiscale et le mécénat d’entreprise engendreraient une diminution de 19 à 26 % de la générosité déclarée dans le pays », explique Pauline Hery. Devant l’inquiétude du secteur, François Bayrou a assuré que les dispositifs fiscaux n’étaient pas en danger. « Nous allons y rester attentifs », assure-t-elle. Plus de subventions des collectivités locales ? Autre source d’inquiétude pour les associations : les économies demandées aux collectivités locales, à hauteur de 5,3 milliards d’euros. Elles sont elles aussi pourvoyeuses de financement, et la contrainte sur leur budget risque également de diminuer les subventions. D’après le rapport de l’IGF, en 2023, 49 % des financements publics des associations provenaient des communes, départements et régions. Au sein des collectivités territoriales, ce sont les départements qui pèsent le plus dans les budgets des associations, car ils sont en charge de la politique sociale, et délèguent leurs missions à de nombreuses associations. « Les cinq milliards d’euros d’économies sur les collectivités locales vont mettre un frein aux subventions aux associations », prédit le sénateur socialiste, « les premières victimes de ces réductions budgétaires, ce sont les associations culturelles, sportives ». « Cela nous inquiète depuis l’année dernière », explique Pauline Hery. Les subventions des collectivités, fortement contraintes budgétairement depuis l’augmentation rapide de l’inflation, ont déjà été coupées dans certains cas. « Nous avons beaucoup d’exemples de collectivités qui ont drastiquement coupé les financements des associations dans le secteur de la culture, par exemple. Quand on demande de l’effort aux collectivités territoriales, les associations sont en première ligne sur ces coupes », raconte-t-elle. « Si les financements de la vie associative baissent, cela se répercutera sur les missions d’intérêt général qu’elles mènent » La morosité budgétaire ambiante inquiète. Les coupes budgétaires, combinées à l’année blanche annoncée par le Premier ministre font craindre une augmentation de la pauvreté et des besoins d’aide, par exemple alimentaire. « Si les financements de la vie associative baissent, cela se répercutera sur les missions d’intérêt général qu’elles mènent, et elles devront être remplies par l’Etat, ce qui coûtera plus cher et risque de détruire le tissu social », regrette Pauline Hery, « on a du mal à comprendre que les associations soient mises en première ligne des économies ». Éric Jeansannetas abonde : « Il y aura un retrait des collectivités territoriales des associations d’insertion sociale. Les politiques en direction des jeunes vont être sacrifiées dans ce budget qui va nous être présenté. Cela met en péril nos politiques publiques ». A l’heure où nous écrivons ces lignes, tout reste encore ouvert. La version finale du budget, s’il est voté en temps et en heure, a rarement été aussi imprévisible.

Le

PARIS, Conseil constitutionnel, Constitutional Council, Palais Royal
7min

Politique

Municipales : après le dépôt de plusieurs recours, l’avenir de la loi « Paris-Lyon-Marseille » entre les mains du Conseil constitutionnel

Adoptée le 10 juillet, la proposition de loi visant à « réformer le mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille » doit désormais passer sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel. Au moins deux recours ont été déposés sur ce texte, dont l’un porté par la droite sénatoriale. Passage en revue des points litigieux.

Le

Paris: Les Jeunes Republicains au Parc Floral de Paris avec Valerie Pecresse
11min

Politique

Entre House of Cards et Kill Bill : les dessous de la législative partielle qui pourrait opposer Rachida Dati à Michel Barnier à Paris

Rien ne va plus dans la 2e circonscription de Paris, où les prétendants de marque se bousculent pour la législative partielle prévue à la rentrée. L’ancien premier ministre LR, Michel Barnier, vise cette circonscription en or pour « revenir dans l’arène », tout comme la ministre de la Culture, Rachida Dati, qui pourrait en faire un « lancement de campagne » pour les municipales, sans oublier sa collègue du gouvernement, Clara Chappaz, pour Renaissance…

Le