Fra: Rally for peace in Gaza

L’extrême gauche est « incapable de comprendre le lien entre antisionisme et antisémitisme », estime l’historien Emmanuel Debono

L’attaque du Hamas survenue samedi 9 octobre a suscité des réactions contrastées à gauche et à l’extrême gauche. Certains mouvements et partis politiques, la France insoumise en tête, sont accusés d’être trop complaisant avec l’antisémitisme.
Hugo Ruaud

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Israël et le Hamas dos à dos. Telle est la posture de la France Insoumise face au déchaînement de violence qui s’est abattu samedi en Israël – plus de 1 200 morts dans le dernier bilan, toujours provisoire, et à la riposte lancée par l’Etat hébreu sur Gaza – presque 900 morts, au 11 octobre. Un positionnement explicité noir sur blanc dans un communiqué du groupe parlementaire à l’Assemblée : « L’offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas intervient dans un contexte d’intensification de la politique d’occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem Est. Nous déplorons les morts israéliens et palestiniens », est-il notamment écrit. Le choix de ces mots provoque un tollé, tous bords politiques confondus. La France Insoumise est accusée d’euphémiser, voire de justifier une attaque terroriste dans laquelle des centaines de civils ont perdu la vie. Surtout, une nouvelle fois, le mouvement fondé par Jean-Luc Mélenchon est pointé du doigt pour sa mansuétude à l’égard de l’antisémitisme. Depuis Bordeaux, où elle assistait au campus de rentrée du parti présidentiel Renaissance, la Première ministre Élisabeth Borne a dénoncé, le 8 octobre, les « ambiguïtés révoltantes » des insoumis, dont « l’antisionisme » est « aussi une façon de masquer de l’antisémitisme ». Une analyse que partage le sénateur LR Roger Karoutchi : « Qu’est-ce que ça veut dire, de légitimer l’antisionisme ? Être antisioniste, cela veut dire que vous êtes pour la disparition de l’Etat d’Israël. Qu’est-ce que cela veut dire d’autre, être antisioniste, en France, en 2023 ? On en est plus à savoir si on va créer ou pas l’Etat d’Israël, il existe, depuis 75 ans. Dire que l’on est antisioniste légitime le fait d’être antisémite », a expliqué le sénateur sur Public Sénat. Devant l’Assemblée nationale, mardi 10 octobre, la Première ministre a déclaré trouver « choquant et désolant, d’entendre des voix dissonantes jusque sur ces bancs », regrettant l’absence de « cohésion nationale » durant ce moment tragique, et pointant à nouveau la position des Insoumis, Mathilde Panot ayant refusé de nommer explicitement le Hamas de « groupe terroriste ».

Antisionisme forcené

La question de l’antisémitisme d’une partie de la gauche n’est pas nouvelle, ni exclusive à la France. Au Royaume-Uni par exemple, l’ancien leader du Parti travailliste (gauche) a fini par être mis à l’écart de son parti, accusé d’être trop laxiste avec l’antisémitisme. Mais le conflit qui touche Israël et Gaza fait ressurgir l’antisionisme forcené d’une partie de l’extrême gauche. Le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), représenté à la dernière élection présidentielle par Philippe Poutou, s’est fendu d’un communiqué, refusant de se joindre à « la litanie des appels à la prétendue désescalade ». « La gauche devrait se rappeler la nécessaire solidarité avec les luttes de résistance contre l’oppression et l’occupation », est-il écrit dans le même communiqué.

Au lendemain de l’attaque perpétrée par le Hamas, le Parti des Indigènes de la République, un mouvement « antiraciste et décolonial », assurait à « la résistance » palestinienne « toute son affection militante ». « A l’extrême gauche, le combat pro-Palestine est historiquement ancré », explique Emmanuel Debono, historien et rédacteur en chef du DDV, revue de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). « Ils opèrent souvent une confusion entre le racisme et l’antisémitisme, un phénomène beaucoup plus complexe. C’est une barrière mentale qui les rend incapable de comprendre le lien entre antisionisme et antisémitisme. Pour les Indigènes de la République par exemple, les Juifs sont du côté des « blancs », de l’impérialisme, ce sont des « sionistes ». Pour eux, l’antisémitisme n’est dû qu’à leur soutien, pensé comme à organique, à l’État d’Israël. C’est une vision profondément idéologique et, pour ainsi dire, antisémite », poursuit le chercheur.

 

« La gauche n’est pas un monolithe »

 

L’historien rappelle qu’un antisémitisme à gauche a toujours existé, dès le XIXe siècle : « Le stéréotype des Juifs associés à la finance et au Capital a permis la propagation de représentations négatives et de clichés antisémites dans le monde ouvrier », explique Emmanuel Debono. Plus tard, à certains moments du XXe siècle, des courants à gauche ont glissé vers l’antisémitisme : c’est le cas du « pacifisme » dans les années 1930 (lorsque certaines figures de gauche reprochaient aux Juifs d’être la cause de la guerre, et préféraient négocier avec Hitler), comme le rappelait l’historien Michel Dreyfus. Après-guerre, c’est la guerre des Six Jours, en 1967, qui relance l’antisémitisme chez une partie de la gauche, selon Emmanuel Debono : « La victoire d’Israël sur ses voisins arabes stimule à nouveau la figure du juif dominateur. L’antisionisme devient un cheval de bataille de l’extrême gauche anticoloniale et anti-impérialiste, et le Palestinien incarne la victime absolue ». Pour l’historien, cette « obsession antisioniste » fait fi de la situation géopolitique dans laquelle est plongée Israël, et revendique « une terre Palestine de la mer au Jourdain et donc l’éradication d’Israël », ce qui revient à nier aux Juifs le droit à un État.

 

« La gauche n’est pas un monolithe, ce n’est pas un bloc. Y compris au sein même des partis qui s’en revendiquent », tempère Emmanuel Debono. Au Parti communiste par exemple, « c’est compliqué », et l’histoire a laissé des traces, selon Emmanuel Debono, qui mentionne « le panarabisme » soutenu par les communistes au XXe siècle, ou encore « l’antisémitisme soviétique », longtemps tu par le PCF. Europe Ecologie Les Verts (dont les dirigeants ont réagi sans ambiguïté – comme les communistes, aux attaques du Hamas) est, pour l’historien, dans une situation similaire, entre « des gens très conscients de ces faiblesses bien au sein du groupe de travail contre l’antisémitisme », et « un courant historique radicalement antisioniste et une absence de volonté de réfléchir de manière contradictoire à la complexité du conflit au Proche-Orient ». Pour le chercheur, seul le Parti socialiste est véritablement « purgé » de toute forme d’antisémitisme en son sein. Le Parti à la rose est d’ailleurs fer de lance des critiques qui visent les insoumis. « Ne pas qualifier le Hamas de mouvement terroriste est une faute politique impardonnable », a cinglé le député PS de l’Essonne Jérôme Guedj, fustigeant le comportement « dégoûtant » de la France insoumise, après que Mathilde Panot, présidente du groupe insoumis à l’Assemblée a une nouvelle fois refusé nommer le Hamas de « groupe terroriste ». « Les insoumis ne calculent pas l’antisémitisme. Ils perçoivent la situation israélo-palestinienne uniquement à travers un prisme décolonial qui ignore la force de l’idéologie antijuive dans ce conflit ». Deux députés de LFI, Aymeric Caron et Ersilia Soudais, siègent pourtant à la vice-présidence du groupe d’amitié France Israël et du groupe d’études sur l’antisémitisme. Selon France Info, les présidents de ces mêmes groupe veulent les en exclure. Malgré ses désaccords profonds avec le leader insoumis, Olivier Faure, invité ce matin de Public Sénat, réfute les accusations d’antisémitisme dont fait l’objet Jean-Luc Mélenchon : « Ce n’est pas parce que Jean-Luc Mélenchon, parfois, m’accuse injustement qu’à mon tour je vais me résoudre à cumuler les fake news pour pouvoir le discréditer ».

 

Lundi soir, au rassemblement en soutien aux Israéliens, le premier secrétaire du PS, interpellé par certains manifestants, a pu percevoir l’incompréhension de certains Juifs de France à l’égard de la position insoumise : « Ils ne comprenaient pas que je sois dans la NUPES et qu’il y ait des gens qui ont des positions très différentes au sein de cette alliance ». Le risque, pour la gauche, est aussi de voir s’éloigner une partie de l’électorat. « Bien sûr, il y a des Juifs qui se rapprochent de l’extrême droite, pensant que la gauche les a lâchés », regrette Emmanuel Debono. Et l’historien de s’inquiéter : « Les événements des derniers jours sont susceptibles de faire tomber des barrières », avant d’ajouter : « Ce que l’on a entendu jusqu’à présent relève d’une défense indéfectible de la République et de la démocratie ».

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