François Bayrou écarte une suspension de la réforme des retraites
A quelques heures du discours de politique générale, le premier ministre a commencé à donner ses arbitrages aux présidents des groupes du socle commun.
Par Simon Barbarit
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« L’Algérie cherche à humilier la France ». En déplacement à Nantes, Bruno Retailleau n’y est pas allé par quatre chemins. Interrogé sur le renvoi, jeudi, vers la France de l’influenceur algérien Doualemn expulsé le jour même dans son pays, le ministre a estimé qu’ « on avait atteint avec l’Algérie un seuil extrêmement inquiétant ». Cet influenceur de 59 ans, avait été interpellé à Montpellier, après une vidéo postée sur TikToK où il avait proféré » des appels au meurtre en ligne. Placé mardi en centre de rétention administrative (CRA) à Nîmes, il avait été mis dans un avion jeudi après-midi, mais a été renvoyé en France dès jeudi soir, l’Algérie l’ayant « interdit de territoire », selon le ministère de l’Intérieur. « La France ne peut pas supporter cette situation. Nous devons désormais évaluer tous les moyens à notre disposition vis-à-vis de l’Algérie pour défendre nos intérêts », a-t-il appelé soulignant que ces mesures devaient être étudiées « au plus haut niveau », par le Président et le Premier ministre.
Cinq mois après son entrée en fonction, Bruno Retailleau, qui promet régulièrement sur ses réseaux et dans les médias, de ne « rien laisser-passer » lorsqu’il s’agit « de l’entrisme » des Frères Musulmans, voit, pour la première fois, son autorité remise publiquement en cause.
« C’est une affaire lamentable. Tolérance zéro pour ce type d’influenceur, mais le ministre de l’Intérieur a voulu faire un coup de com’’ qui lui est revenu en pleine figure. Il ne peut se permettre de s’agiter sur des sujets aussi importants dans un contexte de dégradation de la parole de la France en Afrique », tance le président du groupe socialiste du Sénat, Patrick Kanner.
Ce bras de fer s’inscrit, en effet, dans une relation bilatérale déjà dégradée entre la France et l’Algérie. L’arrestation de Boualem Sansal », écrivain franco-algérien mi-novembre à son arrivée en Algérie, avait déjà été perçue en France comme une réponse du pouvoir Algérien à la reconnaissance par la France, cet été, de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Pour le sénateur des Hauts-de Seine, Roger Karoutchi, les relations franco-algériennes sont exploitées à des fins de politiques intérieures par le président de la République algérienne. « Pour assurer sa crédibilité, le président Tebboune a compris qu’il avait tout intérêt à mobiliser l’opinion publique de son pays contre l’ancienne puissance coloniale. Le pouvoir politique algérien ne veut pas de réconciliation. Quand vous écoutez certains ministres algériens vous avez l’impression que leurs ressortissants subissent l’apartheid en France. Avant même la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, le président Tebboune avait annulé trois fois un déplacement en France. Bruno Retailleau a raison. Nous n’avons plus d’autres choix que d’aller au rapport de Force », souligne-t-il.
Parmi les pistes qui s’offrent à l’exécutif, l’une d’elles est régulièrement évoquée par le ministre de l’Intérieur : la dénonciation de l’accord franco-algérien signé le 27 décembre 1968 et qui, selon Bruno Retailleau, fait bénéficier aux Algériens de « conditions très avantageuses en matière d’immigration familiale avec des dérogations aux dispositions du droit commun », expliquait-il en novembre dernier devant la commission des lois du Sénat.
« Il faut arrêter d’être gentil avec ce pays qui se moque de nous. Il doit être considéré comme les autres. La guerre d’Algérie est loin derrière nous. La repentance et la culpabilité permanente, c’est ce qui nous a amenés à la situation d’aujourd’hui. En refusant l’accès à son territoire d’un de ses ressortissants munis d’un passeport en règle, l’Algérie s’est mise en faute et la France doit le dire haut et fort », appuie la sénatrice LR, Jacqueline Eustache-Brinio.
Le député centriste, Philippe Bonnecarrère qui fut, l’année dernière, en tant que sénateur, co-rapporteur de la loi immigration, conseillerait plutôt de procéder par étapes. « Retrouver de bonnes relations avec l’Algérie apparaît comme hors de portée actuellement. La question est de savoir si la France va monter le ton ou éviter d’entrer dans une surenchère ? Dénoncer l’accord de 68, bloquer les transferts d’argent vers l’Algérie… sont des mesures qui visent Monsieur et Madame Tout le monde et pas la Nomenklatura algérienne. Et on l’a vu il n’y a pas si longtemps avec la conditionnalité de la délivrance de visas à des laissez-passer consulaires, cette politique est un échec. C’est pourquoi, je suggère plutôt de réduire drastiquement le nombre de passeports de service qui sont l’équivalent de passeports diplomatiques ».
A gauche, la sénatrice socialiste Corinne Narassiguin, corapporteure d’une mission d’information sur les accords internationaux conclus par la France en matière migratoire, met en avant la « précipitation » du ministre à expulser ce ressortissant algérien alors que « la justice était en train de faire son travail ». Il doit, en effet, être jugé le 24 février à Montpellier. « Bruno Retailleau manifeste une obsession pour dénoncer cet accord de 68. On ne peut donc pas s’étonner que les Algériens ne soient pas coopératifs. Nous pouvons, à ce titre, nous inspirer de ce que nous avons fait avec le Maroc avec qui les relations ont été tendues ces dernières années. Depuis que nous avons repris des relations normalisées, nous parvenons à échanger sur la politique migratoire ». Prenant le contrepied des élus LR cités plus haut, la sénatrice les enjoint « à accepter que la France entretienne des relations spécifiques avec l’Algérie ». « A l’exception de la Nouvelle-Calédonie, c’est la seule ancienne colonie de peuplement de la France. Il y a quelque chose d’organique à cette proximité historique. Durcir les conditions du regroupement familial ou que sais-je, n’empêchera pas les nombreuses familles franco-algériennes de perdurer et s’agrandir ».
Le sénateur écologiste, Guy Benarroche, s’interroge sur le choix du ministre de précipiter l’expulsion de cet « influenceur » sans avoir l’accord préalable de l’Algérie. « Soit c’est une volonté délibérée, soit c’est de l’amateurisme ». Un point évoqué par les avocats de « Doualemn » que Beauvau n’a pas encore éclairci. Le sénateur écologiste voit dans cette affaire « l’exploitation par Bruno Retailleau du corpus idéologique de l’extrême droite à des fins de politiques internes ».
« Bruno Retailleau est dans son rôle absolu. Il avait d’ailleurs prévenu après la chute du gouvernement Barnier qu’il ne resterait en poste que s’il avait les moyens de mener une politique migratoire efficace », répond Roger Karoutchi avant de conclure : « Cette affaire sera aussi un test pour les autres membres du gouvernement ».
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