Paris: Illustrations logements sociaux

Logement : « Est-ce normal de vivre dans un logement de 1,80 m de hauteur sous plafond ? » demande Manuel Domergue, de la Fondation Abbé Pierre

Un décret paru fin juillet va « faciliter la location » de logements dont la hauteur est de 1,80 m, contre 2,20 m selon la norme générale, dénonce la Fondation Abbé Pierre, qui y voit « un recul ». Le ministère soutient que rien ne change sur le fond.
François Vignal

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« A louer, petite surface, bien agencée, sous pente. Parfait pour étudiant. Grande personne, s’abstenir ». Va-t-on voir fleurir ce genre de petite annonce à la rubrique immobilier ? Un décret du 29 juillet alerte quelques élus ou spécialistes du logement. Il était jusque-là passé inaperçu.

Mardi dernier, le député LFI William Martinet écrit sur X (nouveau nom de Twitter) « voilà, le décret est publié. Le ministre du Logement autorise la mise en location de logements dont la hauteur de plafond est de 1m80 ». Quelques minutes avant, c’est Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, qui sonnait l’alerte sur ce « nouveau décret qui rend bel et bien « habitables » des logements de moins de 2,20 m », qui est à la base la hauteur minimale pour un logement.

Enchevêtrement de Codes et de décrets

Que dit le fameux décret en question, qui entrera en vigueur le 1er octobre ? Pour comprendre, c’est un enchevêtrement de Codes et de décrets qu’il faut lire. Le décret incriminé définit l’article R1331-20 du Code de la santé publique. Il dit que « les locaux dont la hauteur sous plafond est inférieure à 2,20 mètres sont impropres à l’habitation sauf s’ils respectent les dispositions de l’article 4 du décret du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent ».

Ce « sauf », c’est le point sensible. Cet article 4 dit qu’un logement doit disposer « au moins d’une pièce principale ayant soit une surface habitable au moins égale à 9 mètres carrés et une hauteur sous plafond au moins égale à 2,20 mètres, soit un volume habitable au moins égal à 20 mètres cubes ». C’est ce dernier point qui permet de louer un logement dont la hauteur est inférieure à 2,20 m. Selon l’article R156-1 du Code de la Construction et de l’habitation, pour déterminer la surface habitable, « il n’est pas tenu compte (…) des parties de locaux d’une hauteur inférieure à 1,80 mètre ». C’est cette hauteur minimale qui est ici prise en compte. Autrement dit, un studio d’une surface à partir de 11,1 m2, avec une hauteur sous plafond de 1,80 mètre, pourra être loué (20 m3 ÷ par 1,80 m de hauteur = surface de 11,1 m2).

« Le décret ne change rien », assure le ministère du Logement

C’est donc un changement permis par le décret ? La réalité est un peu plus compliquée. Du côté du gouvernement, on soutient qu’en réalité, rien ne va changer. Le ministère du Logement explique ainsi auprès de nos confrères du Monde que « le décret ne permet en aucun cas à des logements qui ne sont pas louables aujourd’hui de le devenir. (…) En résumé, le décret invoqué ne change rien à la situation actuelle, et réaffirme l’importance des 2,20 m ».

« Le décret précise que soit la hauteur est de 2,20 mètres, soit le logement est décent. Il ne change rien à la situation actuelle et réaffirme l’importance des 2,20 mètres », ajoute le même ministère dans Libération.

« Des logements qui étaient décents mais jugés insalubres, vont devenir décents et salubres »

Des logements de ce type sont bien « sur le marché », reconnaît auprès de publicsenat.fr Manuel Domergue. Il est donc déjà possible de mettre à la location un logement avec une hauteur sous plafond de 1,80 m. Mais le responsable de la Fondation Abbé Pierre explique que jusqu’à présent, il y avait une différence « entre les normes d’hygiène et les normes de décence ». Or « le décret de juillet vient harmoniser les règles, en alignant les normes de décence en autorisant que la hauteur soit inférieure à 2,2 m ».

Autrement dit, « aujourd’hui, des logements qui étaient décents mais jugés insalubres, vont devenir décents et salubres, et on pourra ne plus rien faire contre eux. Donc c’est bien un changement, ils ont beau dire ce qu’ils veulent. Ça facilite la location de ces logements et ça devient tout à fait légal », soutient Manuel Domergue, qui ajoute :

 A la Fondation Abbé Pierre, on estime que c’est un recul. On aurait pu aligner les normes vers le haut et pas vers le bas. 

Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre

Fin des recours ?

Jusqu’ici, il était possible pour les locataires de faire en recours, ou pour une mairie de prendre un arrêté d’insalubrité contre un logement de ce type, en s’appuyant sur les règlements sanitaires départementaux qui disaient qu’il ne fallait pas descendre sous les 2,2 m de hauteur sous plafond. Mais selon le responsable des études de la Fondation Abbé Pierre, ce ne sera plus possible, suite au nouveau décret, qui aligne donc les règles « par le bas ».

S’il n’en fait pas le problème numéro 1 du logement en France – le nombre de logements concernés est limité, essentiellement « des chambres de bonnes » ou des « divisions parcellaires » – le sujet n’en reste pas moins au travers de la gorge de Manuel Domergue. « Est-ce normal de vivre dans un logement de 1,80 m de hauteur sous plafond ? Nous, on pense que ce n’est pas normal », lance le responsable de l’association, qui insiste :

 Ne pas se cogner la tête au plafond, ce n’est une norme de luxe, c’est le minimum du minimum. 

Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre

« On ne va pas se mentir : juger salubres des logements de 1,80 sous plafond est un recul de la santé publique »

Le sujet n’est en réalité pas nouveau. En février, une première mouture du décret avait déjà fait polémique. Elle faisait explicitement référence à une hauteur minimale de « 1,80 m ». Embarrassé, le gouvernement rétropédale alors et parle de « mauvaise rédaction ». « Ils disaient qu’ils s’étaient trompés. Evidemment que non. Cela fait un an qu’il y a un débat interne en réalité. Mais au lieu de l’accepter, ils disent que c’est un malentendu juridique », selon Manuel Domergue.

Preuve de cette bataille interne au sein l’administration, qui s’est orchestrée loin des caméras : ce message, pour le moins dépité, posté sur X par Luc Ginot, directeur de la santé publique à l’ARS (Agence régionale de santé) d’Ile-de-France. « On ne va pas se mentir : juger salubres des logements de 1,80 sous plafond est un recul de la santé publique. Nous avons perdu. Mais avouons que c’est aussi faute d’avoir plaidé. En un an, quelles grandes voix de la santé publique sont intervenues ? » écrit ce médecin.

On attend encore la réaction du nouveau ministre du Logement, Patrice Vergriete. Nommé seulement le 20 juillet dernier, il a hérité du dossier. Comme l’a souligné avec sarcasme Manuel Domergue, l’ancien maire de Dunkerque mesure « 2,01 mètres, et ne pourrait donc pas entrer sans se pencher dans des logements que son ministère considère comme “habitables” ».

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