Logement social : un rapport sénatorial veut redonner un « second souffle » à la loi SRU

Logement social : un rapport sénatorial veut redonner un « second souffle » à la loi SRU

A l’aune d’une réforme de la SRU sur les obligations communales en matière de logement social, un rapport des sénatrices Dominique Estrosi Sassone (LR) et Valérie Létard (Union centriste) plaide pour davantage de différenciation et de souplesse. Sans changer les objectifs chiffrés, elles recommandent de moduler la trajectoire des objectifs en fonction des contraintes locales.
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20 ans après sa naissance, la loi Solidarité et renouvellement urbains, plus connue sous son sigle SRU, s’apprête à être revisitée. Son célèbre article 55, qui impose, suivant les situations, un seuil de 20 % ou 25 % de logements sociaux minimum dans chaque ville de plus de 3 500 habitants (1 500 en Île-de-France) arrive à échéance en 2025. La prolongation de l’obligation et ses modalités seront abordées dans la discussion sur le projet de loi de centralisation « 4D », qui commencera au Sénat en juillet. Le rendez-vous est préparé de longue date à la commission des affaires économiques du Sénat. Une mission d’évaluation sur la loi SRU, conduite par les sénatrices Dominique Estrosi Sassone (Les Républicains) et Valérie Létard (Union centriste), vient de remettre ses conclusions ce 19 mai, à l’issue de trois mois d’auditions et de travaux.

Après une série d’évolutions, en 2013 avec la loi Duflot ou encore en 2018 avec la loi ELAN, le rapport entend conserver les grandes lignes de la loi, notamment l’objectif de 20 ou 25 % de logements sociaux parmi les résidences principales des communes, mais sans fixer de date butoir cette fois. « A aucun moment, on ne remet en cause le taux de logements sociaux, ni le fait qu’il faut continuer à rattraper les objectifs en stocks », prévient d’emblée Dominique Estrosi Sassone, consciente qu’un mauvais pas de la majorité sénatoriale sur ce texte serait mal perçu.

« On n’a pas souhaité faire le grand soir de l’article 55 »

Le rapport conseille également de stabiliser les logements pris en compte dans le calcul. « On n’a pas souhaité faire le grand soir de l’article 55 », témoigne Valérie Létard. Mais pour atteindre ces seuils, les sénatrices réclament un changement d’approche, plus pragmatique : une adaptation aux différentes réalités locales, et une application de la loi moins brutale.

Beaucoup reste à faire pour satisfaire les objectifs, relevés en 2013. Sur les 2 070 communes concernées par les obligations en matière de logement social, près de la moitié sont encore déficitaires, dont 280 sont sanctionnées par des « arrêtés de carence ». Le rapport note que la couleur politique des maires n’est « pas déterminante » sur la mise en œuvre des objectifs. Parmi les 400 maires consultés par la mission sénatoriale, 70 % jugent la loi SRU « utile », mais presque autant la jugent « inefficace », la plupart étant « très majoritairement déficitaires » en nombre de logements sociaux.

Le rapport sénatorial précise qu’avec le temps le profil des villes en retard sur les objectifs a évolué. Le phénomène concerne désormais des communes plus petites, moins favorisées, à la lisière des aires urbaines. La loi reste difficile à appliquer et ne prend pas suffisamment en compte les difficultés du rattrapage à réaliser, soulignent les sénatrices. « Il faut redonner un second souffle à la loi SRU, qui doit continuer, mais qui doit aussi s’adapter », résume Valérie Létard.

Un rôle de premier plan donné au couple maire-préfet

La sénatrice du Nord regrette notamment que des communes soient sanctionnées « pour l’exemple », « sans tenir compte des progrès accomplis ou des obstacles rencontrés ». Plutôt qu’un « Etat censeur », elle préférerait un « Etat facilitateur ». Et pour parvenir aux objectifs, la mission préconise des rattrapages « réalistes, sans sanction automatique, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel », et surtout une « application différenciée et partenariale » de la loi. Le couple maire-préfet serait à la manœuvre. « On doit faire confiance aux territoires. Le préfet connaît les maires, qui vont venir lui expliquer dans quelles circonstances les objectifs ne peuvent pas être tenus », explique Dominique Estrosi Sassone. La sénatrice des Alpes-Maritimes estime que le préfet devrait avoir « le dernier mot, pour ne pas qu’une décision soit déjugée à Paris ».

Le représentant local de l’Etat devrait aussi avoir le pouvoir, selon les deux rapporteures, d’adapter le rythme de rattrapage d’une commune, en fonction de certaines contraintes locales, comme le manque de foncier, le plan de prévention des risques ou encore les objectifs de non-artificialisation des sols. « On a des injonctions contradictoires de la part de l’Etat », souligne Valérie Létard. « On ne s’exonère pas, mais on dit qu’on peut trouver des solutions par rapport à la difficulté qu’on a de maintenir des objectifs ambitieux. » Cette application différenciée du calendrier d’atteinte du taux de logements sociaux faisait partie des recommandations formulées en mars par la Cour des comptes, missionnée par la commission des finances du Sénat.

Les nouvelles équipes municipales ne « sont pas responsables du passé »

Dans cette nouvelle contractualisation qui se matérialisera dans les contrats de mixité sociale lorsque des difficultés se présentent, une souplesse est demandée pour lutter contre les effets de seuil. En effet, des communes entrent dans le giron de la loi SRU en franchissant un seuil de population, notamment les communes nouvelles, résultat de la fusion de petites entités, tout en ayant des moyens modestes. Ce cadre rénové doit être l’occasion de ne plus sanctionner une équipe municipale qui vient d’arriver aux commandes, et « qui n’est pas responsable du passé », insiste le rapport.

Autre souplesse réclamée : la possibilité d’expérimenter la mutualisation des obligations en matière de taux de logement social au niveau d’une intercommunalité. Le rapport cite notamment l’exemple du Grand Poitiers, lui aussi mis en avant par la Cour des comptes en mars. La communauté urbaine, dans son ensemble, respecte l’objectif de 20 % de logements sociaux, Poitiers et ses 32 % compensant le retard de dix communes, qui étaient dans l’impossibilité d’y parvenir. L’Etat a finalement accepté de les exempter, « en dehors de tout cadre légal ».

Au chapitre des sanctions, le rapport préconise d’en finir avec les punitions « inefficaces et contreproductives ». Il s’agit notamment de la confiscation des droits du maire en matière de préemption ou de permis de construire, ou encore de l’interdiction de créer des logements intermédiaires, qui « ne punit que les habitants ». Quant aux sanctions financières, prélevées sur les ressources des communes, les deux sénatrices veulent en faire une « capacité d’action » pour les communes en carence. « Appauvrir les communes n’est pas une solution », insistent-elles. « On propose de consigner les pénalités au niveau des comptes des communes. Il faut quelque chose qui facilite la mise en œuvre de cette politique publique. Les maires ont besoin d’être accompagnés, pas d’être montrés du doigt », insiste Dominique Estrosi Sassone.

Le rapport veut favoriser la mixité et lever les freins à la construction de logements sociaux

Ombre au tableau de la loi SRU : si le mouvement de construction de logements sociaux a été réel au cours des deux dernières décennies (la moitié du 1,8 million de logements sociaux construits, l’a été dans des communes astreintes à un rattrapage), la loi a échoué à favoriser la mixité sociale. Le rapport sénatorial, s’appuyant sur des travaux de recherche récents, explique même que la loi n’a pas empêché une aggravation de ségrégation des 10 % de ménages les plus pauvres. Le rapport suggère d’instaurer un plafond de 40 % de logements très sociaux, dans la future loi 4D. « Il ne s’agirait pas de ne plus faire de logement social du tout, ce qui n’aurait pas de sens, mais a minima d’arrêter de construire des PLAI là où il y a déjà plus de 40 % de logements sociaux », exposent les deux rapporteurs. Ces PLAI, ou prêts locatifs aidés d’intégration, ont pour objectif de permettre la construction de logements très sociaux, destinés à des personnes en situation de grande précarité.

Le rapport liste aussi une série de freins financiers à la construction du logement social, qu’il serait nécessaire de lever. Le premier concerne la taxe foncière. Le logement privé en produit, mais pas le logement social. Dans la lignée de plusieurs débats budgétaires annuels, la mission sénatoriale demande que l’exonération de la taxe foncière soit compensée intégralement. La nouvelle réglementation pour les bâtiments neufs (RE2020) l’inquiète également : les surcoûts auxquels devront faire face les bailleurs sociaux, devront eux aussi être compensés, recommande le rapport. De même, il est proposé que l’objectif de « zéro artificialisation nette », qui devrait devenir contraignant pour les collectivités locales dans la loi climat, ne s’applique pas aux logements sociaux. Le rapport estime qu’un objectif de 50 % de réduction de l’artificialisation pourrait conduire à construire 100 000 logements de moins chaque année.

A l’heure actuelle, certaines philosophies du rapport sénatorial se retrouvent dans le projet de loi 4D, notamment le besoin de plus de souplesse. La ministre Emmanuelle Wargon pourrait également être « ouverte » à certaines propositions. « Elle a dit qu’elle serait très attentive à ce que pourra proposer le Sénat en termes d’expérimentation intercommunale », précise Dominique Estrosi Sassone. En revanche, la volonté du gouvernement d’instaurer des « sanctions-planchers » et automatiques en contrepartie, inquiète les deux rapporteures. « On considère que là, il y a un sujet qui nous interpelle », fait savoir Valérie Létard.

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