Les effets espérés de la loi agriculture et alimentation – dont l’objectif est de mettre fin à une guerre des prix destructrice – se font encore attendre. Adoptée définitivement au Parlement le 2 octobre dernier, l’application du texte, à travers des décrets, ne s’est faite que progressivement. Ce mercredi 24 avril, le gouvernement a examiné les dernières ordonnances manquantes, pour parachever ce texte rééquilibrant les relations commerciales dans le secteur agroalimentaire.
La plus attendue était certainement l’ordonnance renforçant la lutte contre les prix abusivement bas. Le texte prévoit l’intervention d’un juge en cas de prix « déconnectés de la réalité économique ». Il s’appuiera sur les indicateurs de coûts de production. Une seconde ordonnance accroît également l’arsenal juridique du ministère de l’Agriculture « pour sanctionner les abus de la grande distribution dans ses relations avec ses fournisseurs ». Ces chaînons manquants vont-ils sauver les grandes ambitions de la loi, née des États généraux de l’agriculture et de l’alimentation (Egalim) ? Producteurs et industriels sont en tout cas déçus de l’état des négociations qui les ont opposés aux distributeurs.
À la sortie du Conseil des ministres, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, a répondu qu’il faudrait pleinement procéder à l’évaluation sur une plus longue période. « Je pense qu’aujourd’hui il est un peu tôt pour tirer un bilan d’une loi qui a été promulguée le 1er novembre 2018 », a-t-elle indiqué, lors de son point presse.
Loi Egalim : « Un peu tôt pour tirer un bilan », déclare la porte-parole Sibeth Ndiaye
La semaine dernière, deux membres du gouvernement ont pourtant eux-mêmes accrédité la thèse d’un bilan en demi-teinte. « Le compte n’y est pas », a admis le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume. « La guerre des prix demeure, l’agressivité demeure », a reconnu Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances. À Bercy, la dernière rencontre a été l’occasion d’une nouvelle passe d’armes entre les différents acteurs des filières.
Poursuite de la baisse des prix imposée par les distributeurs
C’est ce sentiment qui avait également dominé les tables rondes organisées au Sénat par le groupe de suivi de la loi, où chaque niveau de la chaîne agroalimentaire se renvoyait la balle. Producteurs et industriels ne voient en effet toujours pas la couleur de l’argent payé en bout de chaîne par le consommateur. En relevant le seuil de revente à perte pour les enseignes, et en encadrant en volumes et en valeur les promotions, la loi a renchéri de 600 millions d’euros le ticket de caisse des Français, selon l’Association nationale des industries alimentaires (Ania).
Mais le ruissellement vers les agriculteurs ne s’est pas encore produit. Mis à part pour le secteur laitier, où les produits ont été achetés plus cher par les quatre puissantes centrales d’achat de la distribution, les chiffres sont moins roses dans les autres filières. Qu’il s’agisse de la viande bovine ou porcine, ou des fruits et légumes. Pire, les prix ont poursuivi leur baisse. Selon l’Ania, les demandes de baisses de prix ont atteint en moyenne -0,4 % cet hiver, lors des négociations commerciales annuelles.
« On voit bien qu’il est difficile de changer 40 ans de mauvaises habitudes […] Certains sont incorrigibles », a déploré ce matin sur RTL, Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, le premier syndicat agricole.
À l’instar d’autres syndicats, comme ceux des transformateurs, Christiane Lambert réclame davantage de contrôles, et des sanctions plus dissuasives. Le monde agroalimentaire se montre toujours particulièrement inquiet des tentatives de contournement des dispositions de la loi par les grandes enseignes, à travers les cartes de fidélité, ou encore le levier des marques distributeur.
La présence, bien affirmée, d’un gendarme, et d’outils réellement coercitifs, est aussi demandée avec énergie. Malgré ce démarrage difficile dans la première année d’application de la loi, le gouvernement relève tout de même une amélioration par rapport au précédent cycle de négociations. « Sur les 295 contrôles, de la Direction générale de la concurrence et la répression des fraudes, effectués à la mi-mars, il ressort que les demandes de déflation ont été deux fois plus faibles que l’an dernier et que le climat général semble plus apaisé », indiquait récemment Agnès Pannier-Runacher.
Que le verre soit perçu à moitié plein, pour les uns, ou à moitié vide, pour les autres, beaucoup de mesures contenues dans la loi Egalim s’appliquent qu’à titre expérimental pour une durée de deux ans. Le vrai bilan n’aura pas lieu avant l’an prochain.