Jeudi après-midi, comme c’était attendu, le Conseil Constitutionnel a partiellement censuré la proposition de loi dite anticasseurs. Sur les 10 articles du texte, les Sages ont censuré l’article 3 qui donnait à l'autorité administrative le pouvoir d'interdire de manifestation toute personne présentant une « menace d'une particulière gravité pour l'ordre public » pendant une durée d’un mois maximum.
Saisi à la fois par le président de la République, et par 60 députés et 60 sénateurs, le Conseil a considéré que cette disposition laissait « à l'autorité administrative une latitude excessive dans l'appréciation des motifs susceptibles de justifier l'interdiction ». En effet, l’article 3 n’imposait pas « que le comportement en cause présente nécessairement un lien avec les atteintes graves à l'intégrité physique ou les dommages importants aux biens ayant eu lieu à l'occasion de cette manifestation ». Tout comportement, quelle que soit son ancienneté, pouvait alors « justifier le prononcé d'une interdiction de manifester » note le Conseil dans sa décision.
Jeudi, la gauche sénatoriale se félicitait de cette censure partielle, parlant de « désaveu pour le gouvernement et pour Bruno Retailleau, le président du groupe LR du Sénat, à l’origine du texte (voir notre article).
L’article 10 de la Constitution permet un retour devant le Parlement
Mais la gauche du Sénat s’est-elle réjouie trop tôt ? La question mérite d’être posée, car, comme le relève le constitutionnaliste, Philippe Derosier, il existe bien une possibilité pour que cette disposition censurée soit de nouveau débattue au Parlement. Selon l’article 10 de la Constitution, le président de la République, peut, avant l’expiration d’un délai de 15 jours « demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles. Cette nouvelle délibération ne peut être refusée ». « Le recours à l’article 10, alinéa 2 est assez rare. Il a été utilisé une dizaine de fois sous la Ve République. Mais dans sa décision, le Conseil Constitutionnel ne formule pas une opposition de principe à l’interdiction individuelle de manifester. Il reproche simplement à la loi de ne pas faire suffisamment le lien entre les actes de violences et l’interdiction de manifester » note Philippe Derosier.
L’exécutif étudiera « les suites à donner à cette décision »
Si juridiquement la porte est toujours ouverte pour un retour au Parlement de l’article 3, politiquement, elle n’est pas encore totalement fermée. Dans un communiqué commun, Laurent Nunez et Christophe Castaner « prennent acte de l'analyse du Conseil constitutionnel, qui en a jugé les conditions insuffisamment précises et encadrées ». « Ils étudieront, en lien avec les parlementaires, les suites à donner à cette décision » indiquent-ils.
« Ce serait une remise en cause du travail de l’opposition parlementaire » pour Patrick Kanner
« Sur un sujet aussi sensible qui concerne les libertés publiques, ils prendraient un risque à le faire. Ce serait une remise en cause du travail de l’opposition parlementaire. Alors que l’exécutif s’apprête à remettre sa synthèse du grand débat, ce serait là une forme d’autoritarisme de la part d’Emmanuel Macron » prévient Patrick Kanner, président du groupe socialiste du Sénat.
La droite veut un nouvel examen de l’article censuré
Dans un communiqué, Bruno Retailleau demande à Emmanuel Macron « un réexamen de l’article censuré afin qu’une procédure administrative d’interdiction de manifester soit votée en pleine conformité avec les principes énoncés par le Conseil Constitutionnel ».
Même appel du côté de son homologue à l’Assemblée nationale. Dans l’émission Parlement Hebdo, le patron des députés LR, Christian Jacob juge que « si le Président n’est pas si hypocrite », il fera « une deuxième délibération ».
Dans l’entourage du président de LR de la commission des lois du Sénat, Philippe Bas, on souligne qu’un deuxième examen au Parlement est envisageable. Dans cette hypothèse, il reviendrait aux parlementaires de se rapprocher de la version initiale du Sénat. Pour rappel, dans sa version sénatoriale, l’interdiction administrative de manifester, était circonscrite à un périmètre donné et à une manifestation spécifique.
« La censure de l’article 3 n’empêche pas la cohérence de la loi » pour Yaël Braun-Pivet
La présidente LREM de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet observe également qu’un deuxième examen de l’article 3 « est tout à fait faisable ». « Mais dans ce cas précis, il ne s’impose pas forcément, car les articles du texte ne sont pas liés entre eux et fonctionnent individuellement. La censure de l’article 3 n’empêche pas la cohérence de la loi. Mais c’est au Président de décider. Cette interdiction individuelle de manifester nous avait été demandée par les forces de l’ordre ».