Loi de programmation militaire : Pierre Moscovici alerte sur « les incertitudes sur le financement de 7,4 milliards d’euros »
Auditionné par la Sénat sur le projet de loi de programmation militaire 2024-2030, le président du Haut conseil des finances publiques souligne les « incertitudes » qui planent sur 13 des 413 milliards d’euros prévus par le gouvernement pour les armées, en particulier sur 7,4 milliards qui ne sont pas « documentés ».

Loi de programmation militaire : Pierre Moscovici alerte sur « les incertitudes sur le financement de 7,4 milliards d’euros »

Auditionné par la Sénat sur le projet de loi de programmation militaire 2024-2030, le président du Haut conseil des finances publiques souligne les « incertitudes » qui planent sur 13 des 413 milliards d’euros prévus par le gouvernement pour les armées, en particulier sur 7,4 milliards qui ne sont pas « documentés ».
François Vignal

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Les sommes sont énormes. C’est un effort qui ne s’est pas vu depuis le général de Gaulle, du temps de la guerre froide. Le projet de loi de programmation militaire (LPM) pour la période 2024-2030, présentée en Conseil des ministres la semaine dernière, met sur la table pas moins de 413 milliards d’euros pour le budget du ministère de la défense. Ou plutôt 400 milliards + 13 milliards, on va voir pourquoi. Comparée à la loi de programmation militaire précédente, 2019-2025, qui s’élève à 295 milliards d’euros, la hausse est de plus de 100 milliards d’euros.

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Le budget annuel des armées passera ainsi de « 44 milliards d’euros en 2023 à 69 milliards en 2030 », a souligné la sénatrice centriste Sylvie Vermeillet, vice-présidente de la commission des finances, en ouverture d’une audition conjointe, ce mercredi matin, avec la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, de Pierre Moscovici, en tant que président du Haut conseil des finances publiques (HCFP), pour faire le point sur cette LPM sur le plan budgétaire. Celui qui est aussi premier président de la Cour des comptes a présenté l’avis du HCFP sur ce texte. Une première. Depuis fin 2021, le Haut conseil « peut rendre un avis sur les projets de loi de programmation dit sectoriels », a rappelé Sylvie Vermeillet, en lien avec la loi de programmation des finances publiques. Or même si elle a été adoptée par les sénateurs, la loi de programmation des finances publiques 2023-2027 n’a pas été adoptée par l’Assemblée, « ce qui rend l’exercice complexe »… Mais le Haut conseil s’est quand même basé sur le texte qui avait été présenté par le gouvernement pour établir son avis.

« Il y a un hiatus de 13,3 milliards d’euros »

Globalement, Pierre Moscovici exprime sur cette LPM un satisfecit à l’exécutif, en relevant cependant une lacune sérieuse. « La trajectoire de 400 milliards d’euros est compatible avec le projet de loi de programmation des finances publiques », soutient l’ancien ministre socialiste de l’Economie. « Le HCFP a constaté que les crédits inscrits dans la mission défense sont identiques », du moins pour la période 2024-2027 correspondant au projet de loi de programmation des finances publiques.

« En revanche, le Haut conseil ne peut pas assurer que la trajectoire des besoins programmés, qui est évaluée à 413 milliards d’euros, soit entièrement pris en compte dans le projet de loi de programmation des finances publiques », ajoute Pierre Moscovici. Autrement dit, « il y a donc un hiatus de 13,3 milliards d’euros ».

« 5,9 milliards d’euros sont documentés », mais manque de précisions pour 7,4 milliards

Dans le détail, « il ressort des échanges d’informations avec le gouvernement que ces 13 milliards seraient financés de trois manières : l’administration attend des ressources extra budgétaires, avec des recettes de cessions immobilières, des cessions de matériels et les recettes du service santé des armées. Le total s’élevant à 5,9 milliards d’euros sur la période. Ils sont documentés », soutient le président du Haut conseil. Pour le reste, soit 7,4 milliards d’euros, c’est plus flou. Et quand c’est flou… « Les besoins supplémentaires seraient financés par solidarité interministérielle, c’est-à-dire des transferts provenant d’autres budgets ministériels ayant des dépenses moindres que prévues. Et enfin par les marges frictionnelles, c’est-à-dire les moindres dépenses au sein du ministère de la Défense, ainsi que le report de charge du ministère, qui serait mobilisé pour assurer les besoins de financement résiduels. Ça, c’est moins documenté », pointe du doigt Pierre Moscovici. « Les incertitudes sur le financement de ces 7,4 milliards d’euros. Il est légitime de se poser des questions. […] Nous n’avons pas de réponse », insiste le président de la Cour des comptes.

« Sur les 400 milliards d’euros, il y a conformité, elle l’est moins assurée pour les 413 milliards »

« Ces 13,3 milliards d’euros de dépenses supplémentaires ne sont pas isolés dans la loi de programmation des finances publiques », note encore Pierre Moscovici, qui ajoute : « Le gouvernement n’a pas fourni d’élément permettant de s’assurer que ces 13 milliards de dépenses supplémentaires sont pleinement prises en compte dans la trajectoire de dépenses du projet de loi de programmation des finances publiques »

« Autant, sur les 400 milliards d’euros, il y a conformité, […] compatibilité. Elle l’est moins assurée pour les 413 milliards, surtout pour la différence entre 13,3 milliards et 5,9 milliards, qui n’est pas documentée », résume Pierre Moscovici. Au final, le président du Haut conseil conclut que « l’impact exact du projet de loi programmation militaire sur le montant des dépenses publiques prévu dans le projet de loi de programmation des finances publiques reste affecté d’incertitudes ». Au passage, il préfère parler « d’incertitude », plutôt que « d’insincérité, qui suppose un vrai désire de tromper. Je pense qu’en la matière, il faut toujours se garder de l’excès ».

« 13 milliards d’incertitudes, ce n’est pas une paille »

« 13 milliards d’incertitudes, ce n’est pas une paille. […] On est quasiment à 2 milliards d’euros par an », pointe Cédric Perrin, vice-président LR de la commission des affaires étrangères et de la défense. Il souligne au passage que « la vente de fréquences » hertziennes avait été évoquée aussi comme source de financement, mais le Haut conseil n’en parle pas aujourd’hui. Le sénateur du Territoire de Belfort ajoute :

Quand on fait un budget à 400 + 13, on ne fait pas un budget à 413 milliards d’euros. Il y a beaucoup de communication autour de ça, il faut être vigilant.

Concernant « ces 7,4 milliards d’euros à trouver », le sénateur LR Dominique de Legge, rapporteur pour avis de la commission des finances sur les crédits de la défense, note que les 13 milliards « correspondent exactement à la marche qui doit être franchie à partir de 2027, à 300.000 millions près ». La hausse du budget des armées sera en effet de 3 milliards par an entre 2024 et 2027, puis de 4,3 milliards jusqu’en 2030. « C’est une incertitude quand même très forte. La concordance de ces chiffres laisse à penser qu’on essaie de renvoyer à des jours meilleurs le règlement de ces impasses budgétaires… » s’étonne le sénateur LR. On pourrait aussi remarquer que le gros de l’effort est renvoyé après la prochaine élection présidentielle. Au risque, pour les armées, qu’un prochain chef de l’Etat ait d’autres priorités et décide de ne pas tenir les engagements pris par la majorité actuelle.

« Baisse en volume des autres dépenses de l’Etat », hors lois de programmation

Dernière observation de Pierre Moscovici : « Dans la mesure où environ 20 % des dépenses de l’Etat sont couvertes par des lois de programmation sectorielles (comme sur la sécurité et la recherche, ndlr), les dépenses qui restent devront faire l’objet d’une maîtrise encore plus stricte pour permettre le maintien de la trajectoire ». « Les lois de programmation vont connaître une dépense plus rapide que le budget de l’Etat », ajoute le président du Haut conseil, « ce qui impose, pour respecter les objectifs de dépenses de la loi de programmation des finances publiques […] une croissance faible en valeur et même une baisse en volume des autres dépenses de l’Etat. Ces autres dépenses, les 80 % hors recherche, sécurité intérieure et programmation militaire, seraient amenés, en volume, à baisser de 1,4 %, en moyenne par an, sur 2023-2027, soit une baisse plus forte que par le passé ». La France faisant « face à une montagne d’investissements et des dépenses publiques indispensables pour restaurer notre défense, nos hôpitaux, nos universités et pour réaliser la transition énergétique et écologique », le tout avec ce que Pierre Moscovici appelle « un mur de la dette », on voit les difficultés qui sont devant.

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