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Loi de programmation militaire : « Un texte moins ambitieux que le précédent alors qu’on y met 40% de budget en plus », pointe le sénateur Cédric Perrin

Alors que les députés examinent la loi de programmation militaire 2024-2030, les sénateurs soulignent déjà les « lacunes » du texte. « Il y a des étalements de programme qui ressemblent à des renoncements », dénonce le sénateur LR et corapporteur, Cédric Perrin.
François Vignal

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C’est un effort de taille pour le gouvernement. Avec pas mal de lacunes ou un manque de stratégie, pointent les oppositions. La loi de programmation militaire (LPM) pour la période 2024-2030 prévoit une enveloppe de 413 milliards d’euros, en forte hausse comparé aux 295 milliards d’euros de la LPM précédente 2019-2025. Le texte vise large : il modernise la dissuasion nucléaire, les équipements, renouvelle le matériel, améliore le traitement des troupes, investit dans le cyber, le spatial ou encore la maîtrise des fonds marins.

Au moment où les députés ont commencé l’examen du texte à l’Assemblée, les sénateurs sont en pleines auditions sur le projet de loi. « On a le nez dans le guidon. On a 4 heures d’auditions par jour », raconte la sénatrice socialiste Hélène Conway-Mouret.

« Le tout Rafale pour 2030 que le Président a annoncé à grand renfort de com’, on n’y est pas du tout », selon Cédric Perrin

A l’Assemblée, la majorité présidentielle aura besoin des voix des députés LR, qui sont partagés. Au Sénat, les choses devraient être un peu plus simples. Les LR ont la majorité avec leurs alliés centristes. Cédric Perrin, sénateur LR du Territoire de Belfort, suit ces questions de défense de près. Pour le corapporteur de la partie du texte portant sur l’équipement des forces armées, le compte n’y est pas sur un certain nombre de programmes d’armement. « Il faut qu’on explique comment, avec une augmentation de 40% du budget, on a des cibles qui diminuent », pointe Cédric Perrin, qui insiste : « On a une LPM qui est moins ambitieuse que la précédente alors qu’on y met 40% de budget en plus. Notre défi, c’est comment améliorer la situation ».

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Le problème, pour le sénateur LR, vient du fait que les dépenses de plusieurs programmes « sont lissées. Il y a des étalements qui ressemblent à des renoncements ». Et « tous les programmes sont étalés : Griffon, Jaguar, Serval. J’avais aussi déniché le sujet des drones tactiques Patroller », à l’origine prévus au nombre de 17 et finalement ramenés à 28, soit « comme la LPM précédente ». « Le nombre de Frégates est à la baisse aussi. Et il y a le Rafale évidemment. Le tout Rafale pour 2030 que le Président a annoncé à grand renfort de com’, on n’y est pas du tout » recadre Cédric Perrin.

« Les marges de manœuvre qui n’existaient pas semblent arriver… »

« Il faut attendre de voir comment le texte sort de l’assemblée », dit-il. Mais le sénateur LR remarque déjà que « les marges de manœuvre qui n’existaient pas semblent arriver. On verra jusqu’à quel point le ministre a des marges, alors qu’il nous expliquait il y a quelques semaines qu’il n’en avait aucune… » Cédric Perrin pense au programme « Scorpion, où a priori, ils sont en train de lâcher un peu de lest ». Il résume : « En termes de matériel, l’objectif est de gratter un peu quelque chose ».

« Il n’est pas question de dire que l’augmentation n’est pas importante. Elle est importante », tempère Cédric Perrin. « Mais il y a l’inflation et l’histoire des 13 milliards d’euros qui sont incertains. Je dis que c’est un budget à 400 milliards. La Cour des comptes a dit exactement la même chose », rappelle le sénateur du Territoire de Belfort. Ces 13 milliards qui s’ajoutent aux 400 milliards initiaux, sont issus de ressources extrabudgétaires, notamment des cessions immobilières. « 13 milliards sur 7 ans, c’est 2 milliards par an. Or on est à + 3 milliards d’augmentation tous les ans. C’est quasiment la hausse du budget de la défense. Ce n’est pas négligeable », pointe Cédric Perrin.

La socialiste Hélène Conway-Mouret reconnaît « l’effort » budgétaire mais pointe « un affichage politique »

La socialiste Hélène Conway-Mouret reconnaît pour sa part l’effort budgétaire global. « Franchement, aujourd’hui, au vu de l’état des finances publiques, ne pas reconnaître l’effort qui est fait, en matière d’augmentation de budget de la défense, ne serait pas très honnête. Je suis de celles qui sont heureuses que cet engagement soit pris par le gouvernement », commence la sénatrice PS. Mais les critiques ne se font pas attendre. « Après, ce qui m’ennuie énormément, c’est que nous nous retrouvons avec un affichage politique. C’est l’effet d’annonce qui veut nous démontrer que c’est un texte historique – c’est toujours le même vocabulaire qui est utilisé – alors que nous nous retrouvons dans la continuité du quinquennat précédent », selon la sénatrice PS représentant les Français établis hors de France. Elle ajoute :

 On nous dit que c’est une LPM de transformation. Mais ce n’est pas une LPM de transformation, elle continue à être une LPM de réparation.  

Hélène Conway-Mouret, sénatrice PS

La socialiste pointe « la bosse budgétaire », c’est-à-dire le gros de l’effort, qui « se situe à la fin de l’exercice, avec un effort budgétaire plus conséquent dans le prochain quinquennat », laissant à un prochain Président la responsabilité de mener – ou pas – cette dernière marche de taille.

« On veut tout faire. Mais en voulant tout faire, on fait trop peu. On aurait dû dégager des priorités »

La sénatrice PS pointe aussi un problème de méthode, avec un texte « qui semble écrit sans concertations préalables. On n’a pas eu de livre blanc et on a eu une revue stratégique critiquée par tout le monde ». Sur le fond, elle dénonce surtout un manque de vision stratégique, avec un texte sans réelle priorité, partant un peu dans tous les sens. « On veut tout faire. Mais en voulant tout faire, on fait trop peu. On aurait dû dégager des priorités, en disant qu’on mettra l’accent sur tel et tel domaine. Mais là, on a voulu continuer à avoir une armée complète, sauf qu’on est obligé d’ajouter le cyber et de renforcer le renseignement (les services voient une augmentation de leurs budgets de 60%, ndlr), puis d’énormes projets comme le Scaf, l’avion du futur, ou le futur porte-avions, qui dévorent des crédits. Comment on va faire le reste ? » demande Hélène Conway-Mouret, également corapporteur du texte pour la partie sur l’équipement des forces armées. Elle craint que certaines « lignes budgétaires en cannibalisent d’autres ». Et d’ajouter :

 Si on fait un nouveau porte-avions, c’est très bien, mais si on n’a pas les avions et les missiles pour mettre dessus, on aura un problème. 

Hélène Conway-Mouret, sénatrice PS

« Nous sommes une puissance de taille modeste, mais nous aspirons de continuer à être dans le club des grands, où on doit être dans l’espace, le cyber, déployés partout. Mais je ne pense pas que ce soit tenable sur le plan budgétaire et humain », insiste l’ancienne ministre de François Hollande.

Malgré cette volonté de maintenir une armée complète, elle remarque paradoxalement « des lacunes, des trous dans le texte ». Ainsi, « la menace terroriste n’apparaît pas une seule fois, elle n’est pas mentionnée ». Alors que les sénateurs ont envoyé une cinquantaine de questions au ministre de la Défense, Sébastien Lecornu, « si on n’a pas de réponse, il y aura une flopée d’amendements », prévient Hélène Conway-Mouret.

« On rentre dans une course. Cette augmentation du budget paraît sans fin », dénonce le communiste Pierre Laurent

Si certains attendent d’entendre un autre son de cloche, il faudra notamment se tourner du côté des communistes. « On va avoir une voix singulière dans ce débat », prévient le sénateur PCF Pierre Laurent. Pour l’ancien numéro 1 de la Place du Colonel Fabien, « le débat stratégique n’a pas vraiment eu lieu pour le moment. J’entends souvent cette formule : « Si tu veux la paix, prépare la guerre ». Dans ce cas, il faut dire contre qui nous envisageons la guerre. Or ce débat n’est pas clairement mis sur la table, ou il est traité de manière implicite et n’est pas assumé ».

Lire aussi >> Loi de programmation militaire : un texte qui « politiquement tombe mal » en pleine contestation sociale ?

« On questionne les objectifs stratégiques, la trajectoire budgétaire », explique Pierre Laurent. « On va rendre de plus en plus insupportable l’effort, ou ça se fera au détriment d’autres budgets ou de besoins qui sont immenses, dans les domaines sociaux, la transition climatique ou pour un développement mondial partagé. Nous pensons qu’il faudra une autre logique pour travailler les questions de la sécurité mondiale ». « On rentre dans une course. Cette augmentation du budget paraît sans fin », dénonce encore le communiste, « sur la dissuasion nucléaire, nous doublons quasiment le budget. Le ministre dit que les dépenses dans le domaine nucléaire représentent 13% de la LPM. Soit 54 milliards d’euros, c’est-à-dire 7 à 8 milliards par an, contre 4 ou 4,5 milliards aujourd’hui ».

« Le surarmement mondial ne crée pas de la sécurité, il crée de l’insécurité grandissante »

« Nous ne disons pas qu’il n’y a aucun besoin de couverture de besoins militaires supplémentaires », tient à préciser Pierre Laurent, qui cite « la défense du territoire national dans le domaine sol-air, dans le cyber, où il faut investir, ou dans les frégates de protection de nos territoires ultramarins », soutient le sénateur PCF de Paris. Domaines qu’il ne « confond pas avec cet emballement ».

Le surarmement, plutôt qu’assurer la sécurité, mène-t-il à la guerre selon le sénateur PCF ? « Je le pense, et c’est malheureusement l’expérience qu’on a depuis 20 ou 30 ans. C’est le développement des conflits. Les interventions militaires de l’Otan n’ont pas réduit le risque sécuritaire mais l’ont aggravé, que ce soit en Afrique, dans le grand Moyen-Orient ou en Afghanistan », répond Pierre Laurent, qui conclut : « Le surarmement mondial ne crée pas de la sécurité, il crée de l’insécurité grandissante ». De quoi ouvrir sur quelques débats lors de la séance. Elle est prévue à partir du 27 juin au Sénat.

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