C’est du jamais vu dans l’histoire de l’Assemblée nationale sous la Ve République. Une pétition déposée sur le site de la chambre basse a récolté plus d’1,4 millions de signatures soit beaucoup plus que les 500 000 signatures nécessaires pour ouvrir la voie à un débat dans l’hémicycle. Cette pétition mise en ligne le 10 juillet formulait un vœu clair : « L’abrogation immédiate » de la loi Duplomb accusée d’être « une aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire. »
Cette proposition de loi co-écrite par les sénateurs LR Laurent Duplomb et le centriste Franck Menonville avait été adoptée après une commission mixte paritaire le 30 juin dont les conclusions ont été ensuite approuvées par le Sénat le 2 juillet et l’Assemblée le 8 juillet. Le texte prévoit notamment la réintroduction d’un pesticide interdit en France depuis 2020 : l’acétamipride. L’utilisation de ce néonicotinoïde était principalement réclamée par les agriculteurs des filières betteraves et noisettes bien qu’il soit suspecté d’avoir des effets néfastes sur la santé humaine.
Un débat sans vote non contraignant
La pétition lancée sur le site de l’Assemblée nationale avait ainsi été largement relayée par les ONG environnementales comme Greenpeace ou Générations Futures mais aussi les partis de gauche opposés au texte : le PCF, les Ecologistes, La France Insoumise, le Parti Socialiste qui réclament son abrogation. Loin d’aller jusque-là, la pétition signée par plus d’1 412 168 personnes permettra probablement la tenue d’un débat entre les députés à la rentrée. Elle a en effet passé le cap des 500 000 signatures permettant son inscription à l’ordre du jour de la prochaine Conférence des Présidents composée de Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, de ses vice-présidents, des présidents des commissions permanentes et des présidents des groupes politiques. Yaël Braun-Pivet a d’ailleurs indiqué qu’elle était « favorable » à la tenue de ce débat sans vote et donc non contraignant.
« Ce débat ne peut pas abroger la loi, même si l’abrogation est dans l’objet de la pétition », note Anne Charlène Bezzina, constitutionnaliste. Ainsi, à défaut de pouvoir modifier la loi définitivement adoptée, le débat pourra mettre en exergue les positions de chaque groupe politiques. « La pétition, c’est une forme d’outil d’alerte citoyen, c’est une manière de ressentir l’état de l’opinion mais ça a un effet pratique très limité », ajoute Anne Charlène Bezzina.
Le président, obligé de promulguer
Si le Parlement ne peut pas avoir de rôle décisif avec ce débat, plusieurs responsables politiques et ONG se sont tournés vers l’Elysée. L’association Générations Futures demande « solennellement » au président de République de « ne pas promulguer la loi Duplomb ». Le texte est actuellement examiné par le Conseil Constitutionnel après une saisine des parlementaires. « Le président n’interférera pas avant l’examen du Conseil constitutionnel demandé par une partie des parlementaires », indique l’entourage du chef de l’Etat contacté par Public Sénat.
Les Sages ont en effet un mois à compter de la saisine du 11 juillet pour rendre leurs décisions et éventuellement censurer tout ou partie du texte. Avant le 11 août, Emmanuel Macron n’a donc pas la possibilité de se saisir du texte. D’autant que l’article 10 de la constitution de la Ve République ne lui donne aucune marge de manœuvre : « Le Président de la République promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée. » « Ce n’est pas une option, sinon ça serait un retour au véto royal », explique Anne Charlène Bezzina.
Même en 2006, après les mobilisations contre le « contrat premier embauche (CPE) », Jacques Chirac avait annoncé promulguer la loi tout en demandant au gouvernement de proposer un nouveau texte de loi pour abroger l’article contesté. En effet, une modification d’une loi ne peut intervenir que par une nouvelle loi.
Concernant les décrets d’application de la loi qui doivent être pris après la promulgation par le gouvernement, la constitutionnaliste confirme qu’ils sont eux aussi obligés d’être signés et publiés. Mais ils peuvent aussi être attaqués par les associations environnementales devant la justice administrative et potentiellement annulés ce qui conduirait à empêcher l’application de la loi.
Une possible nouvelle délibération
Début août, une fois la décision du Conseil constitutionnel rendue, il reste néanmoins une option à Emmanuel Macron, elle aussi prévue à l’article 10 de la Constitution : « Il peut, avant l’expiration de ce délai, demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles. Cette nouvelle délibération ne peut être refusée. » C’est en ce sens que plaident par exemple la patronne des Ecologistes Marine Tondelier et les socialistes.
Pour le moment, cette option n’est pas commentée par l’Elysée qui se borne à attendre la décision des Sages. Mais « la deuxième délibération pourrait s’entendre dans un moment où il y a une fracture dans le consensus citoyen, détaille Anne Charlène Bezzina. On pourrait avoir un président de la République qui dit que la deuxième délibération pourrait tempérer les tensions après avoir vu ce que dit le Conseil constitutionnel ». Une procédure d’autant plus plébiscitée par les opposants au texte qu’il n’y avait pas eu d’examen à l’Assemblée nationale après l’adoption d’une motion de rejet du texte par ses promoteurs pour contourner les amendements de la gauche.
Sous la Ve République, cette deuxième délibération n’a été utilisée qu’à deux reprises sous Valéry Giscard d’Estaing et sous François Mitterrand rappelle Anne Charlène Bezzina. Emmanuel Macron avait également évoqué cette possibilité en 2023 pendant l’examen de la loi immigration si le texte était adopté avec les voix du Rassemblement national. « C’est un outil dont il a conscience, mais c’est peu probable qu’il s’en saisisse » sur ce texte, ajoute-t-elle.
Le dépôt d’une loi d’abrogation par l’opposition
Cette deuxième délibération ne conduirait probablement pas non plus à une abrogation du texte, mais elle rouvrirait le débat sur le fond de la proposition de loi. La députée Ecologiste de Paris Sandrine Rousseau a ainsi annoncé ce lundi sur franceinfo que « lors des prochaines niches parlementaires (les journées où l’ordre du jour est à la main d’un groupe politique même dans l’opposition, NDLR), chaque groupe du Nouveau Front populaire aura comme texte l’abrogation de la loi Duplomb ».
« Le débat sans vote peut permettre de voir comment une abrogation du texte serait soutenue dans l’hémicycle », avance Anne Charlène Bezzina qui y voit donc une manière de jauger les forces en présence. La prochaine niche parlementaire de la gauche sera celle de La France Insoumise le 27 novembre avant celle des socialistes le 11 décembre, des Ecologistes le 12 février et des communistes le 11 juin. Mais le texte devrait encore être adopté dans les mêmes termes au Sénat, ce qui paraît impossible puisque la majorité sénatoriale de droite et du centre est à l’origine et a soutenu la loi Duplomb.