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Crédit : NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Loi Duplomb : « Il ne faut rien exclure, redébattre et le cas échéant, revoter cette loi », selon le député Renaissance Pieyre-Alexandre Anglade

Le succès de la pétition contre la loi Duplomb devient un enjeu politique à gérer pour le gouvernement et la majorité. Elle remet en lumière les divisions de Renaissance sur le sujet. Pour le député Pieyre-Alexandre Anglade, si les autorités sanitaires « établissent à nouveau la nocivité de ce pesticide », il faudra « revenir sur la réautorisation de l’acétamipride ». Mais pour François Patriat, à la tête des sénateurs macronistes, « si on revient sur les lois votées, ce n’est plus la peine de les voter ».
François Vignal

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Ils n’avaient pas vu venir le coup. La pétition qui demande l’abrogation de la loi Duplomb continue d’affoler les compteurs. Mise en ligne sur le site de l’Assemblée, elle a atteint ce mardi près d’1,7 million de signatures, approchant une nouvelle barre symbolique des 2 millions de personnes. Elle vise ce texte qui réautorise un néonicotinoïde, l’acétamipride. Ce pesticide tueur d’abeilles est dénoncé par les écologistes pour ses effets sur la santé. Or les betteraviers ou producteurs de noisettes en ont cruellement besoin, faute encore d’alternative.

Le gouvernement et la majorité du socle commun s’en seraient bien passés. La pétition ayant atteint la barre des 500.000 signataires, la conférence des présidents de l’Assemblée pourra, à la rentrée de septembre, quand les députés siégeront à nouveau, demander un débat dans l’hémicycle. La présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, s’est prononcée en faveur de la tenue d’un tel débat. Pour l’heure, le premier ministre François Bayrou suit le sujet avec attention.

« Instrumentalisation »

Le sénateur LR Laurent Duplomb, auteur de la proposition de loi décriée, voit dans le succès de la pétition une forme de manipulation. « Je ne suis pas sûr que si elle n’avait pas été instrumentalisée par l’extrême gauche et les écologistes, les Français se seraient saisis de cette pétition de façon spontanée et auraient signé », a-t-il affirmé lundi sur RMC, estimant que ces pétitions sont faites « pour mettre de la pression au Conseil constitutionnel et espérer qu’il ne valide pas la loi ». Les Sages doivent se prononcer sur le texte d’ici le 10 août. Ce mardi, c’est le président LR du Sénat, Gérard Larcher, qui dénonce à son tour une « instrumentalisation » et une « désinformation massive ». Il ajoute :

 La science et la raison ont été dépassées par la polémique. Une pétition ne peut pas remettre en cause la démocratie représentative. Le Parlement a voté ce texte équilibré, fruit de discussions et de compromis. 

Gérard Larcher, président du Sénat.

Chez Renaissance, certains pointent pourtant le peu d’entrain des députés LR pour monter au front et prendre des coups. « Il faut que les députés LR prennent leur responsabilité. Et la ministre de l’Agriculture vient de ce groupe. C’est leur responsabilité de groupe aussi de défendre ce texte », estime un député Renaissance. La ministre en question, Annie Genevard, après un petit retard à l’allumage, a finalement réagi lundi. Pour ne pas faire de jaloux, le même député ajoute que « peut-être que les agriculteurs peuvent défendre aussi le texte. On les entend moins là… »

« Il y a des gens totalement désinformés » pointe François Patriat

Mais chez Renaissance, rien n’est évident non plus car le sujet divise les troupes. Au sein du groupe EPR (Ensemble pour la République), 63 députés ont voté pour l’accord obtenu en commission mixte paritaire (CMP), 15 contre et 10 se sont abstenus. Soit plus d’un quart du groupe qui n’a pas voté en faveur du texte. Au Sénat, sur la première version sénatoriale du texte, qui allait plus loin, 11 membres du groupe RDPI (Renaissance) ont voté pour et 7 contre. Mais 16 ont voté pour les conclusions de la CMP.

Interrogé lundi, lors de la présentation de la convention de Renaissance sur l’économie et le climat, le patron du parti, Gabriel Attal, a dû jouer les équilibristes. S’il dénonce « la grande régression climatique, y compris au sein même du gouvernement », il assume son vote pour la loi Duplomb, y voyant un moyen de défendre une « agriculture qualitative », tout en saluant l’organisation d’un débat à la rentrée, pour lequel il demande « l’avis » éclairé de « l’Anses (l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) ».

Au Sénat, le chef de file des sénateurs macronistes, François Patriat, n’est « pas surpris qu’il y ait du monde qui signe la pétition. Car il y a des gens totalement désinformés à qui on énonce des contrevérités et exagération ». Reste que politiquement, cette pétition met sa famille politique dans une situation complexe. « On peut être mal à l’aise pour l’expliquer, je comprends. Mais on est dans l’irrationnel. Il faut raisonner », avance le président du groupe RDPI du Sénat, qui ajoute : « La pétition peut monter et atteindre 2 ou 3 millions de personnes, mais la loi a été votée. Si on revient sur les lois votées, ce n’est plus la peine de les voter ».

« Il ne faut pas traiter ça par-dessus la jambe »

Pour Renaissance, l’enjeu est maintenant d’accompagner le débat qui s’annonce, sans se renier. « Est-ce que je comprends le message que des Français nous adressent par pétition ou par mail ? Bien sûr, je l’entends. Mais c’est parce que nous n’avons pas pu leur offrir le débat éclairé sur le sujet. Et bien, ayons ce débat », lance la députée Renaissance Prisca Thevenot, une proche de Gabriel Attal, qui insiste : « Si ça permet d’avoir un débat qu’on n’a pas pu avoir à cause de LFI, tant mieux ». Dénonçant l’obstruction de la gauche, les députés du socle commun s’étaient fait harakiri en adoptant une motion de rejet pour abréger les débats.

« Il ne faut pas traiter ça par-dessus la jambe. Il faut le traiter politiquement. C’est important. Il ne faut pas refuser non plus un nouveau débat. Il doit y avoir une explication à l’Assemblée sur ce sujet », réagit l’ancien ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, pour qui « 1,5 million de personnes, ça se respecte ».

Mais au sein du groupe, plusieurs figures ont voté contre, comme l’ex-porte-parole du gouvernement Maud Bregeon (qui avait d’abord voté pour avant de faire savoir qu’elle voulait voter contre), l’ancien ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, Mathieu Lefèvre et Pierre Cazeneuve, qui travaillent sur les finances. D’autres se sont abstenus, comme l’ex-ministre Roland Lescure et l’ancien président de groupe, le député de Paris, Sylvain Maillard.

« Il ne faut fermer aucune porte à ce stade » selon Pieyre-Alexandre Anglade

Pieyre-Alexandre Anglade, président Renaissance de la commission des affaires européennes, a également voté contre. Il n’est pas surpris de la tournure des événements. « Cette pétition dit beaucoup de la préoccupation qu’ont les Français de leur santé, de leur environnement et de la qualité de leur alimentation. Et de leur volonté de sortir progressivement des pesticides, comme on s’y était engagé en 2018. Le Président a amorcé un mouvement en ce sens, en faisant de la France un pays pionnier. Il ne faut pas dévier de ce chemin-là », soutient le député des Français établis hors de France.

Il assume sans problème son vote. « J’ai voté contre la loi car contrairement à ce qu’il peut être dit, les effets de ce néonicotinoïde sont avérés sur la santé humaine et sur les pollinisateurs. Il faut que le gouvernement entende cette pétition et que le débat ait lieu. La proposition de Gabriel Attal d’appeler aux autorités sanitaires pour débattre sur des faits est une bonne démarche. A partir de là, il ne faut rien exclure. Déjà de redébattre et le cas échéant, de revoter cette loi. Il ne faut fermer aucune porte à ce stade », affirme à publicsenat.fr Pieyre-Alexandre Anglade.

Autrement dit, il n’écarte pas la possibilité d’une loi qui reviendrait sur la loi Duplomb, soit le scénario lors du contrat première embauche (CPE). Encore faut-il trouver une majorité en ce sens. Mais pour le député Renaissance, si l’Anses pointe les effets, le gouvernement et le législateur devront en tenir compte :

 A partir du moment où on demande un rapport des autorités sanitaires, si elles établissent à nouveau la nocivité de ce pesticide, alors il faudra amorcer une nouvelle démarche législative pour revenir sur la réautorisation de l'acétamipride. Il faut être cohérent. 

Pieyre-Alexandre Anglade, député Renaissance des Français établis hors de France.

« On a totalement basculé dans l’irrationalité » regrette Stéphane Travert

Mais le débat se fera jusqu’au sein de Renaissance. « Aujourd’hui, on ne peut plus faire confiance aux réseaux sociaux et parfois à ce qu’il se raconte sur les chaînes info, car chacun vient avec ses vérités. On a totalement basculé dans l’irrationalité », regrette Stéphane Travert, qui « en tant qu’ancien ministre de l’Agriculture » demande aussi « que l’Anses et l’AESA (Autorité européenne de sécurité des aliments) documentent la réalité sur l’acétamipride ».

Le député glisse au passage que le texte aurait pu être pire : « En CMP, on a amélioré les choses sur l’Anses, sur l’eau, sur la séparation de la vente et du conseil – j’ai rédigé l’article – on a sauvé la séparation que Laurent Duplomb voulait supprimer ». Quant aux pesticides, « ce n’est pas open bar sur les néonicotinoïdes, c’est très encadré ». « On ne réintroduit pas. C’est une utilisation qui est faite dans un cadre extrêmement défini et exceptionnel », ajoute Prisca Thévenot, pour qui « ce n’est pas un enjeu partisan mais un enjeu de souveraineté ».

« Les gens qui habitent Paris ont une vision très folklorique de la manière dont on vit, nous. C’est insupportable »

Hors micro, certains apportent d’autres explications au rejet du texte de certains de leurs collègues. « Je peux comprendre, avec la peur de la dissolution qui pourrait arriver, avec des électeurs qui leur en tiendraient rigueur », glisse un député de la majorité. Le clivage pourrait se lire aussi selon la classique opposition des campagnes contre les villes. « Certains ne sont pas élus d’un territorial rural, mais d’un territoire urbain. Les gens qui habitent Paris ont une vision très folklorique de la manière dont on vit, nous. C’est insupportable. On est peut-être des ploucs, mais qui ont une qualité de vie sur nos territoires. Et on ne dégrade pas notre environnement, on vit en permanence dedans », s’énerve un parlementaire Renaissance. Un autre n’en pense pas moins :

 Les gens qui parlent du monde agricole et qui sont des bobos parisiens, ils ne savent pas de quoi ils parlent ! 

Un parlementaire Renaissance.

Reste à voir si l’histoire va continuer tout l’été, comme un boulet au pied de la majorité. « Ça va feuilletonner, bien entendu », pense un parlementaire Renaissance, pourtant « pas particulièrement inquiet ». « Ça va dépendre de l’actualité », tempère un autre, « penser que l’été va permettre de tasser les choses… Si vous n’avez rien d’autre à dire, les médias seront là-dessus ». François Patriat préfère pour l’heure rester zen et vise la prochaine étape : « Avant toute chose et d’envisager tous les scénarios, il faut déjà savoir ce que va dire le Conseil constitutionnel ». S’il valide tout ou partie du texte, ses défenseurs auraient un argument de plus dans leur besace.

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