C’est dans le huis clos d’une salle au Sénat que c’est décidé le sort du texte, ô combien clivant, de Laurent Duplomb (LR) et Franck Menonville (centriste) visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », par la réintroduction des pesticides, le néonicotinoïde, l’acétamipride. Au vu des équilibres politiques au sein de la commission mixte paritaire qui réunissait cet après-midi, 7 députés et 7 sénateurs, le compromis trouvé sur cette proposition de loi n’est pas vraiment une surprise puisque la gauche et les écologistes étaient en minorité. Le compromis a été adopté avec 10 voix pour et 4 contre, parmi lesquels deux élus socialistes, un LFI et un écologiste. Dans la matinée, Les élus écologistes s’étaient d’ailleurs réunis près du Sénat à l’occasion d’un banquet paysan organisé pour s’opposer à la loi Duplomb.
« Les débats ont été riches mais se sont déroulés sans un esprit apaisé et courtois »
Quelques heures plus tard, après l’issue conclusive de la CMP, la majorité sénatoriale de droite est satisfaite. « Les débats ont été riches mais se sont déroulés sans un esprit apaisé et courtois. On partait du texte du Sénat mais les travaux de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale n’ont pas été balayés », s’est félicitée la présidente de la commission des affaires économiques du Sénat, Dominique Estrosi-Sassone (LR).
L’interrogation portait effectivement sur la nature du compromis. En janvier dernier, l’adoption du texte avait fortement divisé la gauche et la droite dans l’hémicycle. A l’Assemblée fin mai, la proposition de loi avait fait l’objet « d’un mur d’amendement (3 500) en provenance de LFI et les écologistes. Mais l’examen avait tourné court puisqu’une motion de rejet a été adoptée dès les premières minutes du débat. Cette motion avait eu comme particularité d’être déposée et adoptée par la droite et le bloc central pourtant partisans de ce texte. En l’absence de texte voté à l’Assemblée nationale, les débats de la CMP ont donc porté sur la version du Sénat. Certaines mesures sont perçues y compris dans le camp présidentiel comme des reculs environnementaux. Si pour la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard (LR) , il s’agit d’un texte « essentiel » pour les agriculteurs, pour la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher, le retour des néonicotinoïdes, est une « fausse solution ».
Était ici en jeu, l’article 2 du texte tel qu’adopté par les sénateurs qui prévoit la réautorisation de l’usage d’un pesticide de la famille des néonicotinoïdes, l’acétamipride, pour certaines cultures. Autorisée par l’Union européenne de façon provisoire, jusqu’en 2033, la substance a été interdite par la France en 2018, avec une dérogation accordée par le Conseil constitutionnel pour les exploitations de betteraves sucrières.
Dans sa version du Sénat, l’autorisation de l’acétamipride était possible uniquement par voie de dérogation, pour une substance active approuvée dans l’Union européenne, pour des produits et dans les cas où il n’existe pas d’alternatives ou insuffisamment et s’il existe un plan de recherche d’alternatives au produit dans la filière. Dans la version sortie de la CMP, la durée de la dérogation est prévue dans un premier temps pour trois ans après, puis pour un an dans un second temps, afin de vérifier que les critères d’autorisation sont toujours remplis.
« On a rappelé que l’acétamipride ne concerne pas que les agriculteurs mais tout le monde. Malheureusement, nos arguments n’ont pas porté leurs fruits. Je suis terriblement déçu que les questions de santé aient été absentes des débats. C’est un produit dont on trouve des traces dans les fœtus, dans le liquide céphalorachidien. On ne peut pas justifier son retour sous l’argument de la compétitivité car on devra toujours faire face à plus gros que nous, le blé ukrainien ou les fermes aux 1 000 vaches américaines », se désole le sénateur socialiste, Jean-Claude Tissot, agriculteur de formation qui rappelle également que ce texte est censé être une réponse « à la colère des agriculteurs l’année dernière leurs difficultés à vivre de leur métier. Or ce texte n’apporte rien en termes de revenus ».
« C’est un texte utile pour le monde agricole. Il est certes perfectible car il ne pouvait pas aborder tous les sujets car il est d’origine parlementaire », répond, Dominique Estrosi Sassone.
En matière de pesticides, la proposition de loi prévoit également de revenir sur une autre règle en vigueur : la séparation des activités de vente et de conseil aux agriculteurs sur l’achat de produits. Dans une recherche de compromis avec les députés, la séparation de la vente et du conseil de produits phytosanitaires est maintenue pour les fabricants de ces produits afin de pallier le risque de conflit d’intérêts. Mais la vente et le conseil sont de nouveaux autorisés pour les distributeurs, afin de tenir compte d’un effet contre-productif, celui de l’agriculteur livré à lui-même dans l’utilisation de ce produit.
Bâtiment d’élevages
L’article 3 permet lui de relever les seuils d’autorisations environnementales des bâtiments élevages. En effet, à partir d’un certain seuil, les élevages sont soumis à des règles pour des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Au-delà d’un certain seuil, la construction de bâtiments d’élevages est conditionnée à deux réunions publiques conformément à la loi Industrie verte. Le texte les remplace par de simples permanences en mairie afin de soutenir la concurrence européenne.
En CMP, le député écologiste, Benoît Biteau a fait valoir, en vain, que l’ICPE n’empêchait pas l’élevage mais comportait des garanties en matière de pollution, de bien-être animal. La demande de moratoire des écologistes sur l’élevage des saumons a également été rejetée malgré son vote en commission des affaires économiques de l’Assemblée.
Le rôle de l’Anses
C’était « une ligne rouge » pour le sénateur RDSE, Henri Cabanel. Le texte sorti du Sénat prévoyait la possibilité pour le gouvernement d’imposer des « priorités » dans les travaux de l’agence sanitaire nationale, mandatée depuis 2015 pour évaluer la dangerosité des pesticides mais aussi autoriser ou non leur mise sur le marché. Cette disposition a été retirée dans le cadre d’un compromis avec les députés, ce qui a permis à Henri Cabanel de voter les conclusions de la CMP. ». Désormais les agriculteurs ne sont pas soumis à d’autres réglementations que celles de l’Union européenne. On a enlevé les surtranspositions qui pesaient sur les agriculteurs. Tout ce qui est autorisé pour les Européens l’est pour les Français », résume-t-il
Mégabassines
La proposition de loi consacre un caractère « d’intérêt général majeur » aux retenues d’eau. Une façon, pour les auteurs du texte, de sécuriser l’usage agricole de la ressource. Pour rendre la disposition conforme au droit européen, seuls les stockages d’eau « qui visent spécifiquement à répondre à un enjeu de stress hydrique pour l’agriculture » et qui ont été « décidés localement, dans un cadre concerté », pourront être déclarés d’intérêt général majeur. Afin de parvenir au compromis, une mesure sur la définition des « zones humides » a été retirée.
OFB
Enfin, la proposition de Laurent Duplomb et Franck Menonville prévoit que les agents de l’Office français de la biodiversité (OFB) exerceront leurs missions sous l’autorité du préfet. Ils sont ainsi invités à privilégier « la procédure administrative, pour éviter autant que faire se peut des procédures judiciaires ». Cette mesure doit, selon les auteurs, « favoriser l’acceptabilité de la police environnementale au sein du monde agricole ».
Les conclusions de la commission mixte paritaire seront examinées au Sénat mercredi à 16h30 au Sénat et la semaine prochaine à l’Assemblée nationale.