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Loi immigration : « Macron a ses frondeurs et un ministre qui démissionne, c’est une gifle pour l’exécutif »

Le vote de la loi immigration a profondément divisé la majorité présidentielle et place Emmanuel Macron dans une nouvelle crise politique. Avec cette majorité relative, « ils étaient dans les mains de leur adversaire », souligne le professeur de droit, Benjamin Morel. Pour le communicant Philippe Moreau Chevrolet, « la rupture avec l’aile gauche est consommée. On assiste à un séisme politique ».
François Vignal

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Encore une. Les crises se succèdent pour Emmanuel Macron. Après des mois d’incertitude, de négociations et de tension, le chef de l’Etat a finalement son texte sur l’immigration. Mais à quel prix ? Sa majorité s’est profondément divisée, avec 59 parlementaires qui ont voté contre ou se sont abstenus, et un ministre, celui de la Santé, Aurélien Rousseau, qui claque la porte, en désaccord profond avec un texte dont les mesures reprennent en partie les idées du RN. Ce dernier ne s’y est pas trompé, en votant habillement les conclusions de la CMP, mettant en grande difficulté la majorité.

« En réalité, si le RN avait voté contre le texte, le texte ne serait pas passé »

Pour espérer faire passer la pilule, le gouvernement répète depuis hier soir ses éléments de langage : le texte a adopté sans les voix du RN, qui a pourtant bel et bien voté le texte. « En réalité, si le RN avait voté contre le texte, il ne serait pas passé. C’est de la communication politique, bien évidemment. Pour le gouvernement, ça permet de sauver la face par rapport à la gauche de sa majorité », recadre Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à Paris II. En effet, si les 88 députés RN avaient voté contre, hypothèse encore évoquée mardi matin par Jordan Bardella, le texte aurait été rejeté par 274 voix contre 261. Il fallait donc a minima l’abstention des députés RN pour que les conclusions de la CMP soient adoptées.

Pour Jean Garrigues, président du Comité d’histoire parlementaire et politique, « le RN n’a voté que pour des raisons de basse politique pour réaliser un coup et s’approprier le mérite d’un texte auquel ils n’ont absolument pas collaboré. C’est une supercherie totale pour se réclamer d’une victoire idéologique et embêter le gouvernement, et faire exploser la majorité de Renaissance. Pour le coup, c’est réussi ». Il ajoute : « C’est un piège qui a été tendu au gouvernement par LR et le RN ». Mais dans cette crise politique, Jean Garrigue note « une particularité : c’est un texte qui était soutenu par les Français. Le « en même temps », ça plaît aux Français ».

Au fond, on est ni plus ni moins, tempère l’historien, « dans la confirmation de la crise structurelle de ce deuxième quinquennat Macron, qui est la situation de majorité relative. Et cette situation a poussé le gouvernement à des concessions auprès des LR pour obtenir une majorité ».

« Le “en même temps” est une mission impossible sans majorité au Parlement »

Mais pour le communicant Philippe Moreau Chevrolet, « c’est une crise inédite sous la Ve République. Emmanuel Macron n’a connu quasiment que des crises inédites sous la Ve. C’en est une de plus », constate-t-il, ajoutant qu’« Emmanuel Macron se heurte au principe de réalité. Il n’a pas de majorité au Parlement. La seule façon de faire passer ses projets, c’est en étant en rupture avec le « en même temps », en rupture avec le macronisme. Il a tout fait pour l’éviter. C’était mission impossible. Le « en même temps » est une mission impossible sans majorité au Parlement, quand on a une majorité relative ».

Assiste-t-on à une crise politique nourrie par une forme de crise institutionnelle ? « En partie oui. Là, on a clairement une majorité relative. Elle va en sortir d’autant plus clivée. Mais le gouvernement a aussi mal joué. L’objectif, c’était d’embêter le RN avec un texte sur l’immigration avant les européennes et pour étouffer les LR, en disant qu’ils n’ont pas de valeur ajoutée, car sur l’économie, ils sont d’accord avec eux. Cette idée est très bonne sur le papier quand vous avez la majorité absolue. Si vous dépendez des LR et des cadeaux du RN, ça devient très compliqué. Ils étaient dans les mains de leur adversaire », pense Benjamin Morel. Mais pour le constitutionnaliste, on n’arrive pas pour autant aux limites de la majorité relative. « On arrive à gouverner. La Ve République est faite pour gérer ça. Le problème, ce ne sont pas les institutions, mais ceux qui tentent de s’en servir de manière très mal habile. Et forcément, ça ne marche pas ».

« La démission d’Aurélien Rousseau montre qu’on est à la fin du macronisme. La rupture avec l’aile gauche est consommée »

La démission du ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, vient renforcer le trouble et casse le récit que tente d’imposer l’exécutif. « C’est extrêmement rare. Il y a eu Jean-Pierre Chevènement sur la guerre en Irak. Ça veut dire quelque chose. La démission d’Aurélien Rousseau montre qu’on est à la fin du macronisme. La rupture avec l’aile gauche est consommée. On assiste à un séisme politique, en réalité. Ce qui met un terme à pratiquement 6 ans d’une fiction du nouveau monde, du « en même temps », et on a un retour brutal du clivage droite/gauche, avec une droite qui s’est radicalisée et une gauche qui s’est considérablement affaiblie et divisée. Beaucoup de responsables macronistes doivent se sentir trahis », analyse Philippe Moreau Chevrolet.

Le dirigeant de MCBG Conseil ajoute que « c’est une victoire politique et idéologique de l’extrême droite, qui est en train de remplacer la droite traditionnelle », dans un contexte où « la droite traditionnelle a franchi le Rubicon. C’est l’union des droites, que voulait faire Eric Zemmour, qui est réalisée par le tandem Ciotti/Le Pen ». Résultat, selon Philippe Moreau Chevrolet, « on peut imaginer que le macronisme aura accouché d’une présidence Marine Le Pen, avec des ministres venus de la droite traditionnelle. On est dans un processus de fusion des droites ».

Aujourd’hui, « la majorité est divisée. Il y a une fronde », constate encore Philippe Moreau Chevrolet, qui pense qu’« Emmanuel Macron réédite la faute politique de François Hollande avec la déchéance de la nationalité. En fait, Emmanuel Macron a eu tellement peur de suivre le modèle de François Hollande qu’il a fini par le rejoindre, d’une certaine façon. Il braque son aile gauche. Mais c’est la gauche qui l’a porté au pouvoir en 2017. Il saborde sa propre base électorale en adoptant une mesure d’extrême droite, et on voit bien que sa majorité explose. Macron a ses frondeurs et un ministre qui démissionne, c’est une gifle pour l’exécutif ».

« Il y aura d’autres épisodes. C’est inhérent à cette situation de majorité relative »

Selon Jean Garrigues, il n’y aura pas pour autant un avant et un après, suite au vote de la loi immigration. « Je pense qu’il y aura d’autres épisodes. C’est inhérent à cette situation de majorité relative. Et les LR ne veulent pas trouver la seule solution cohérente, qui serait un accord de gouvernement avec les macronistes. Et peut-être ni d’un côté, ni de l’autre : on voit que les LR sont dans une surenchère permanente pour empêcher cet accord véritable et coté macroniste, l’aile gauche n’est pas prête à accepter. On est dans quelque chose qui relève de l’impasse, à moins que les choses évoluent ».

Le chef de l’Etat interviendra ce soir depuis l’Elysée à la télévision, dans l’émission « C à vous », sur France 5. Il doit revenir sur l’année 2023 et aborder les perspectives de 2024, pour tenter de tourner la page. Pour Emmanuel Macron, les options sont en réalité aujourd’hui limitées, entre un remaniement qui risque de ne pas faire de miracle, une coalition improbable car refusée depuis juin 2022, et une dissolution qui risque de lui revenir en boomerang, avec le RN qui en tirerait profit. On voit mal quel « rendez-vous avec la Nation », mystérieusement annoncé par Emmanuel Macron pour janvier 2024, pourrait le sortir de l’ornière.

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