Après la réforme des retraites, le gouvernement ne va pas tarder à s’attaquer à un autre sujet de prédilection de la droite sénatoriale : l’immigration. Et la Première ministre Élisabeth Borne a beau avoir affirmé vouloir « bâtir une majorité solide » avec la droite sénatoriale sur ce texte, les ministres de l’intérieur et de la Justice ont beau louer « l’excellent rapport » sur l’immigration du président de la commission des lois, François-Noël Buffet (LR), le soutien de la chambre haute n’est pas encore acquis.
La Haute assemblée, aura la primeur de l’examen du texte au mois de mars, et la majorité de droite est bien décidée à réécrire le projet de loi de sa main. Voulant rassembler le plus largement possible sans trop braquer la gauche ni certains parlementaires de sa majorité, le gouvernement va présenter un projet de loi visant un délicat équilibre entre fermeté à l’égard de l’immigration irrégulière et des mesures en faveur de l’intégration, notamment avec la création d’un titre de séjour pour les travailleurs sans-papiers dans les « métiers en tension », qui manquent de main-d’œuvre.
« La cocotte-minute va exploser »
« Textes après textes, on a affirmé ce que nous pensions sur l’immigration. On ne change pas de ligne. Si Emmanuel Macron, Élisabeth Borne ou Gérald Darmanin veulent faire du en même temps sur l’immigration, ce n’est plus possible car demain la cocotte-minute va exploser. Il y aura une insurrection dans les urnes. Et c’est ce qu’attend évidemment quelqu’un comme Marine Le Pen », prévient le patron de la droite sénatoriale, Bruno Retailleau.
« Ce texte doit être l’occasion de définir une politique migratoire globale. Nous ne voulons plus de scénario au fil de l’eau », soutient François-Noël Buffet. « Ou on fait quelque chose d’utile pour la France et les Français ou alors il vaut mieux ne rien faire », ajoute le président du groupe Les Républicains.
Les LR qui gardent en mémoire l’occasion manquée du premier quinquennat lors de l’examen de la loi Asile Immigration, ont déjà posé des lignes rouges. « Je l’ai dit à Gérald Darmanin. Je n’accepterais pas la régularisation des travailleurs sans papiers dans les métiers en tension. Qui va décider quels seront les métiers en tension ? », s’agace Roger Karoutchi, vice-président LR du Sénat.
« Nous sommes le pays d’Europe le plus avantageux sur le droit d’asile »
« Pas d’appel d’air, pas de nouveau titre de séjour pour les métiers en tension parce que tout simplement, tous les métiers en France sont en tension », confirme Bruno Retailleau qui appelle également à « arrêter les pompes aspirantes ». « Nous sommes le pays d’Europe le plus avantageux sur le droit d’asile, sur l’accès gratuit aux soins pour les immigrés clandestins et aussi sur le regroupement familial », assure le président du groupe LR. Un compromis pourrait toutefois être trouvé pour la délivrance de titre de séjours pour les métiers qualifiés en tension.
Déjà votée en 2018 contre l’avis du gouvernement, La droite sénatoriale va réintroduire sa proposition d’un système de quotas, adopté au Parlement, pour contrôler l’immigration régulière.
Parmi les propositions qui devraient émerger lors des débats, on retient le conditionnement de la délivrance de titres de séjour longue durée à la réussite non seulement d’un examen de langue, mais aussi civique. La droite veut également réformer l’aide médicale d’Etat, et la remplacer par une aide médicale d’urgence.
François-Noël Buffet veut, en outre, impérativement inscrire dans la loi, le conditionnement de la délivrance de visas à celle des laissez-passer consulaires des pays d’origine.
Une proposition que devrait faire débat. Après de mois de tensions diplomatiques, fin décembre, Gérald Darmanin a annoncé « un retour à la normale » sur l’octroi des visas algériens, un an après les avoir divisés par deux. Il s’agissait d’une réponse au refus de ce pays de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires au retour des Algériens refoulés de France.
Sur Europe 1, Bruno Retailleau est allé jusqu’à conditionner son vote, au rétablissement du délit de séjour illégal supprimé sous François Hollande. « Ça, ça va poser un problème. On va regarder comment on peut faire, mais si ce délit a été supprimé c’est parce qu’il contrevenait aux conventions internationales », tempère un sénateur LR, fin connaisseur du dossier.
Le gouvernement promet de s’inspirer du rapport de François-Noël Buffet, « Services de l’État et immigration : retrouver sens et efficacité », remis l’année dernière, et assure vouloir accélérer les procédures d’examen des demandes d’asile afin de les réduire à 6 mois contre un an actuellement en moyenne.
Dans le journal le Monde, le ministre du Travail, Olivier Dussopt avait quant à lui évoqué l’idée de permettre aux demandeurs d’asile de travailler dès leur arrivée sur le sol français dans l’attente de la décision de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Là encore, véto de la droite du Sénat. « C’est une ineptie. On a 130 000 demandeurs d’asile tous les ans. 75 % sont déboutés au terme d’un an […] Raccourcissons les délais mais ne leur donnons pas la possibilité de travailler avant », soutient Roger Karoutchi.
A gauche, les demandes de la majorité sénatoriale ne sont pas passées inaperçues. « Le projet est en train d’évoluer, mais en pire. Tous les éléments intéressants proposés par Olivier Dussopt sur l’intégration par le travail sont en train de sauter », note le sénateur écologiste, Guy Benarroche. « Mais, ça se comprend car ce gouvernement n’a pas de cohérence idéologique. Il est dans la gestion et répond à des objectifs d’efficacité supposés ou avérés qui varient avec le temps », ajoute-t-il.
« Une majorité est en train de se créer avec la droite »
« On dit que le gouvernement navigue à vue, moi, j’ai tendance à penser qu’une majorité est en train de se créer avec la droite. Le texte sur les retraites est un moyen de la consolider. Sur l’immigration, j’imagine bien un deal, titres de séjour pour certains métiers en tension contre quotas votés au Parlement », analyse le sénateur socialiste, Jean-Yves Leconte. L’élu peine à comprendre certaines mesures, selon lui totalement inefficaces. « Si on empêche un demandeur d’asile de travailler pendant l’examen de sa demande, on empêche son intégration et a contrario on laisse entendre qu’ils ne peuvent pas être expulsés s’ils sont déboutés et donc que le système ne marche pas ».
Guy Benarroche indique que son groupe adoptera la stratégie appliquée lors de l’examen de la loi Lopmi. « Nous allons déposer des amendements qui proposent une vision différente comme la création d’un ministère de l’accueil et de l’intégration. Car il faut vraiment être utopiste dans le mauvais sens du terme pour imaginer que l’immigration va diminuer dans les prochaines années ».
En attendant, le pragmatisme pour le gouvernement sera de construire une majorité avec la droite du Sénat.