Loi Paris, Lyon et Marseille : sur quels motifs les sénateurs LR et de gauche vont déposer leurs recours devant le Conseil constitutionnel ?

Après l’adoption définitive de la proposition de loi réformant le mode de scrutin pour les municipales à Paris, Lyon et Marseille, les sénateurs LR et les trois groupes de gauche vont déposer chacun un recours devant le Conseil constitutionnel. Pour ses opposants, le texte comporte plusieurs fragilités juridiques.
François Vignal

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Ils ont perdu la bataille sur le terrain parlementaire. Ils tentent de la gagner sur tapis vert. Après l’adoption définitive de la proposition de loi réformant le mode de scrutin de Paris, Lyon et Marseille aux municipales, les sénateurs n’entendant pas lâcher le morceau.

Dans la nuit de mercredi à jeudi, ils se sont battus une dernière fois contre un texte qualifié de « tripatouillage » en faveur de la ministre « Rachida Dati », qui vise la mairie de Paris. Le gouvernement, qui s’était engagé par la voix du premier ministre, François Bayrou, à ne pas adopter le texte sans l’accord du Sénat, a retourné sa veste et très vite. Si certains, jusqu’au Président, ont parfois pu pointer la lenteur parlementaire, la PPL du député Renaissance Sylvain Maillard a fait la navette plus vite que l’éclair. Le texte a en effet fait son retour à l’Assemblée dès ce jeudi matin, le passage en commission et l’examen en séance, synonyme d’adoption définitive, étant bouclés en une matinée. Un record.

Les sénateurs fourbissent leur nouvelle arme. Ils vont saisir le Conseil constitutionnel. D’après les opposants au texte, qui sont nombreux à la Haute assemblée, la PPL comporte plusieurs limites juridiques.

« Cette foi a été vendue sur des mensonges »

« Dans les 48 heures, il y aura un recours déposé », annonce au micro de Public Sénat le sénateur LR de la capitale, Francis Szpiner, lui-même candidat à la mairie de Paris, qui entend contrer Rachida Dati à droite. Celui qui a accusé durant les débats le premier ministre d’avoir « menti » et d’être « un homme sans parole », pour ne pas avoir respecté son engagement vis-à-vis du Sénat, soutient que « cette foi a été vendue sur des mensonges » (voir la vidéo).

« On a menti aux Parisiens en leur faisant croire qu’on allait élire directement le maire de Paris. Or on n’élit pas directement le maire de Paris, comme on n’élit directement aucun maire dans aucune commune. On élit un conseil municipal, qui élit le maire », rappelle l’avocat. « Deuxièmement, on nous a dit qu’on fait cette loi pour qu’à Paris, on vote comme dans toute la France. Et à l’arrivée, on a inventé un système unique qui est la prime majoritaire à 25 % », alors qu’elle est de 50 % dans toutes les autres communes. Ce « régime totalement exceptionnel » pose « un problème constitutionnel », soutient le sénateur LR.

« Est-ce qu’on va appliquer ce régime aussi à Toulouse ? Tout ça n’est ni fait, ni à faire »

L’avocat souligne une autre limite sur ce point : « Comment peut-on imposer ce régime et le justifier, alors que Toulouse a dépassé Lyon (en nombre d’habitants) ? Est-ce qu’on va appliquer ce régime aussi à Toulouse ? Tout ça n’est ni fait, ni à faire. Et à Lyon, on votera trois fois, ce qui posera aussi des problèmes de financement ». « Enfin, on est en train de tuer la démocratie locale et les mairies d’arrondissement », dénonce l’ancien maire du 16e arrondissement de Paris.

Francis Szpiner soulève encore un autre argument : « A Paris, les arrondissements élisaient les conseillers à la métropole. Ce qui fait que les représentants à la métropole correspondaient à la sociologie, la démographie de Paris, aux arrondissements. Maintenant, il n’y aura plus de lien entre les conseillers métropolitains et les conseillers d’arrondissement. Ça m’apparaît sur le plan constitutionnel plutôt délicat ».

« Argument ridicule qui ne tient pas la route »

Les trois groupes de gauche du Sénat, PS, communiste et écologiste, vont aussi déposer un recours commun. « On va saisir le Conseil constitutionnel pour l’ensemble des sénateurs de gauche qui ont voté contre la loi PLM », annonce la présidente du groupe CRCE (communiste) du Sénat, Cécile Cukierman, qui en sera la première signataire. « Il sera déposé la semaine prochaine. On a déjà informé le Conseil qu’on allait le saisir », précise la sénatrice de la Loire.

Parmi les griefs, la sénatrice PCF pointe « le calendrier », avec un texte voté moins d’un an avant le scrutin, « et l’accélération. Le fait qu’on vote à 23 heures et qu’ils examinent le texte à 10h30 ce matin, c’est un vrai sujet. Quand le gouvernement veut, il peut. Tout dépend de la détermination de Madame Dati… » raille Cécile Cukierman.

La présidente du groupe communiste souligne par ailleurs « un risque sur la tenue des élections à Lyon, où il y aura les trois élections en même temps, car ils ont l’élection à la métropole aussi ». Et bien sûr « la question de l’égalité entre communes, car il y a une différence sur la prime majoritaire à 25 %, au lieu de 50 % », dénonce-t-elle aussi. Sur ce point, qui semble central, le ministre des Relations avec le Parlement, Patrick Mignola, a expliqué mercredi soir, sans convaincre les sénateurs, que ce choix de 25 % venait des assemblées des conseils régionaux, qui ont déjà une prime de 25 %. Le conseil de Paris étant similaire par la taille, le gouvernement a donc décidé d’appliquer le même taux. « N’importe quoi. L’argument est ridicule et ne tient pas la route », balaie d’un revers de main le sénateur PCF de Paris Ian Brossat, lui aussi candidat à la mairie de Paris. Il ajoute :

 Le texte a quand même été élaboré dans la plus grande des improvisations et il s’en dégage un sentiment de bricolage. 

Ian Brossat, sénateur PCF de Paris.

« Risque majeur » sur les comptes de campagne des candidats

« C’est un texte qui est une caricature du mauvais travail parlementaire », pointe également la sénatrice PS de Paris, Marie-Pierre de la Gontrie, qui y voit « un texte très compliqué, qui a été très instable dans les détails et son ingénierie. Il n’est pas lisible au premier coup d’œil. Ça peut être un des griefs contre la loi : sa lisibilité ». S’il est « exact que le fait d’adopter un texte de cet ordre, moins d’un an avant le scrutin, n’est pas inconstitutionnel. Le problème est qu’un mode de scrutin difficile à appréhender, avec des conséquences complexes, peut engendrer des difficultés, d’autant qu’à partir du 1er septembre, la période des comptes de campagne s’ouvre », relève Marie-Pierre de la Gontrie.

La socialiste développe ce point. « Jusqu’à présent, le candidat à la mairie central n’avait pas de compte de campagne propre et donc à Paris, ses dépenses de campagne étaient réparties dans les comptes de campagne des têtes de liste d’arrondissements, qui étaient les seuls à en avoir. Demain, le candidat à la mairie de Paris va avoir un compte de campagne. Mais pour autant, il y aura peut-être des conseillers de Paris qui seront aussi candidat dans les arrondissements. Il faudra inventer une règle de répartition des dépenses qui soit assez robuste pour ne pas entraîner le rejet des comptes de campagne et l’inéligibilité ».

« Le futur président de la commission des comptes de campagne nous avait dit que ça allait être complexe », ajoute la socialiste, « c’est compliqué de faire connaître les règles aux futurs candidats ». Il faudra organiser ses comptes de campagne « sans se planter, car le risque est majeur. D’où le problème de compréhension de la loi. C’est un gros point d’interrogation », soutient la sénatrice PS de Paris, qui ajoute que « la gauche, à l’Assemblée », va aussi déposer son recours. Les Sages auront de la lecture pour cet été. Mais entre la proximité du scrutin, qui arrive dans huit mois, et le début des comptes de campagne au 1er septembre, ils ne pourront pas trop tarder pour rendre leur décision.

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