« Certaines dispositions du projet de loi pour une école de la confiance génèrent des réactions passionnées », remarque d’emblée Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture au Sénat. Et pour cause, les « stylos rouges » ne cessent de faire part de leur mécontentement face à un texte dont ils redoutent qu’il mette à mal l’école publique. Ce mouvement des enseignants en colère, lancé fin 2018, redoute plusieurs mesures, à commencer par le rapprochement des écoles et des collèges, ou encore l’instruction obligatoire à partir de 3 ans. Certains crient à la disparition de la profession de directeur école, d’autres s’inquiètent de l’avenir des écoles maternelles ou encore de l’impact du projet de loi sur le budget des communes.
Des fake news, selon le ministre de l’Éducation. Ou plutôt des « fausses nouvelles » en bon français, voire même des « bobards » comme il le répète à l’envi. Lors de son audition au Sénat, ce mardi, Jean-Michel Blanquer a tenu, une fois encore, à remettre les pendules à l’heure : « Il y a deux semaines, des enfants ne sont pas allés à l’école pour lutter contre une mesure qui n’existe pas. Je pense que nous sommes dans un danger démocratique. L'accoutumance au mensonge dans le débat public est dangereuse, je ne m’accoutume pas », martèle-t-il. Et d’ajouter qu’« il y a œuvre de clarification à faire », ce à quoi il s’attèle avant même les questions des sénateurs.
« Nous n'avons aucune envie d’en finir avec l’école maternelle »
« Nous n'avons aucune envie d’en finir avec l’école maternelle, mais au contraire de la magnifier », assure tout d’abord le ministre à l’adresse de ceux qui redoutent que les jardins d’enfants soient amenés à exercer le même devoir d’instruction que les écoles maternelles du fait de l’abaissement de l’instruction obligatoire à 3 ans.
Autre inquiétude sur cette même mesure, celle d’une réduction du budget des communes attribué à l’école publique. En effet, l’abaissement de l’âge pour l‘instruction obligatoire a un coût, que les communes sont en devoir de compenser. Mais il existe aussi « une obligation constitutionnelle pour l’État de compenser ces compensations », précise Jean-Michel Blanquer. Le tout devrait coûter environ 100 millions d’euros et le ministre de l’Éducation nationale certifie que « cette compensation n’est pas prise en compte dans l’augmentation de 1,2% des dotations des communes ».
« Jamais il n’a été question de remettre en cause le principe d’un directeur d’école par site »
Deuxième dossier, tout aussi polémique, celui du rapprochement entre écoles primaires et collèges, dans l’objectif, notamment, d’ « éviter que des enfants se perdent entre le CM2 et la 6ème », explique le ministre. Un rapprochement qui se matérialiserait par la création d’établissements publics locaux d'enseignement de savoirs fondamentaux (EPLESF). « Cette disposition suscite de fortes inquiétudes chez les élus locaux, qui voient en cet établissement le cheval de Troie du regroupement forcé des petites écoles », met en garde Max Brisson, rapporteur (LR) du projet de loi pour une école de la confiance.
Au-delà de la peur que ce rapprochement se fasse au détriment des directeurs d’école, les sénateurs craignent que cela impacte les écoles rurales. Jean-Michel Blanquer « entend les inquiétudes, les comprend » mais assure être « le premier défenseur de l’école rurale » et garantit que « jamais il n’a été question de remettre en cause le principe d’un directeur d’école par site ». Conscient du mécontentement qui s’exprime aux abords des écoles comme au sein du Palais du Luxembourg, il se dit toutefois « prêt à une nouvelle rédaction » de cette disposition et fait part de l’existence d’une véritable « coopération » avec les collectivités locales à ce sujet. « J’ai également proposé aux organisations syndicales de proposer des idées », ajoute-t-il.
Pour acter la création d’un établissement public local d'enseignement de savoirs fondamentaux, le ministre érige le « consensus local » en maître mot, à savoir un « double accord de la communauté éducative et des élus ». Il ajoute même être disposé à « ajouter des garanties sur le fait que l’objectif n'est pas le regroupement physique de l’école et du collège ».
Jusqu’au bout, le ministre de l’Éducation nationale a voulu faire preuve de flexibilité pour contre-attaquer: « D’un malentendu peut naître un bien. Il est certain que le texte peut évoluer et il y gagnera. » Reste à savoir de quel côté il évoluera. Les amendements du gouvernement adoptés à l’Assemblée nationale n’ont pas été vus d’un bon œil par les sénateurs, qui reprochent à l’exécutif d’ainsi faire passer des mesures en contournant toute étude d’impact. « Il faut résoudre un paradoxe : qu’on reproche au gouvernement d’être dans des textes trop bloqués, puis lui reprocher de prendre des amendements », rétorque Jean-Michel Blanquer. Sur la forme comme sur le fond, les débats s’annoncent riches. Le texte arrivera au Palais du Luxembourg courant mai.