« En cherchant à imposer la primauté d’une véritable philosophie d’Etat sur les diverses convictions ou croyances, on risque bien d’attenter à l’équilibre fragile de notre démocratie républicaine. » Devant la commission des Lois du Sénat, l’historienne, Valentine Zuber, a, pied à pied, pointé les faiblesses du projet de loi confortant les principes de la République.
Dans le cadre de l’examen du texte, les sénateurs ont également convié mardi Patrick Weil, historien, spécialiste français des questions d’immigration et de citoyenneté et Gil Delannoi, directeur de recherche au Cevipof. Patrick Weil, a tenu une ligne proche de Valentine Zuber considérant que le projet de loi prenait le contre-pied de l’esprit de la loi de 1905.
« Le projet de loi propose un peu l’inverse que ce qu’ont fait Briand et Clemenceau, ils ont choisi d’ouvrir la porte de la République et de la loi à la masse des croyants et de cibler les individus, ceux qui mettaient en cause les lois de la République. Je voudrais dire que quand je lis ce projet de loi, j’y vois l’inverse c’est-à-dire qu’au lieu de la responsabilité individuelle des faiseurs de troubles, on crée une responsabilité collective de l’ensemble des cultes, on les met sous tutelle en les soumettant à un régime d’autorisation », a pointé Patrick Weil devant la commission.
L’historien a, par ailleurs, largement insisté sur l’article 19 qui, selon lui, « est très dangereux vis-à-vis de la stabilité, et juridique et politique de l’accord que nous avons passé avec le Vatican entre 1923 et 1924. »
Valentine Zuber a, pour sa part, exposé les limites d’un projet qui, à son sens, travestit l’esprit libéral de la loi sur la séparation des Eglises et de l’État : « Tout retour à une philosophie gallicane ou bonapartiste à travers l’imposition d’une régulation étatique de type autoritaire à l’égard des cultes menace notre idéal séparatiste depuis 1905 à savoir la distinction fondamentale entre celui de l’Etat et celui des organisations religieuses ». L’historienne s’inquiète que ce texte « semble devoir encore renforcer les pouvoirs de l’Etat en matière de contrôle et de police des cultes au détriment de l’autonomie et des libertés de ces derniers pourtant garanties par les grands textes internationaux des droits de l’homme ratifiés par la France ».
L’exposé des historiens n’a pas rencontré une forte adhésion du côté la rapporteure du texte, Jacqueline Eustache-Brinio. « Nous avons des quartiers entiers qui sortent de la République au nom de principes religieux », a prétendu la sénatrice. « A vous écouter l’un et l’autre, j’ai l’impression que cette loi n’apporte rien et j’ai envie de vous dire : qu’est-ce que vous nous proposez de faire ? Vous nous parlez de liberté d’expression, mais moi ma liberté est menacée tous les jours », a-t-elle réagi.
A contrario, le directeur de recherche, Gil Delannoi s’est lui montré bien moins hostile à ce projet de loi tout en soulignant les difficultés qu’il pose : « Les concepts soulevés concernent principalement une religion mais il ne faut pas tomber dans le piège de ne plus parler que d’une seule religion, il y a des comportements religieux qui peuvent être contraires aux valeurs de la République dans toutes les religions. Et en même temps, il ne faut pas mettre hypocritement toutes les religions au même niveau ».
Pour le politologue, en Europe « chacun par ses moyens - le sécularisme en Angleterre et la laïcité en France - est arrivé à une solution de compromis qui semblait acceptable jusqu’à ce que les transferts de populations et un retour à une conception fondamentaliste d’une ou plusieurs religions viennent brouiller les pistes ».
Ce mercredi, la commission des Lois poursuit ses auditions et recevra le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et la ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa ainsi que le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti.