La porte-parole du gouvernement Maud Bregeon a assuré ce mercredi à la sortie du Conseil des ministres qu’Emmanuel Macron a acté qu’il n’y avait pour le moment pas « de socle plus large que celui qui est en place aujourd’hui » pour gouverner. Mais, après les consultations des responsables de partis mardi, « le président continue à écouter et à tendre la main ».
Louis Gallois : « Dans cette situation exceptionnelle, je ne trouverais pas anormal de relever les tranches supérieures de l’impôt sur le revenu »
Par Fanny Conquy
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Créée en janvier à la demande du groupe Les Républicains, la mission d’information sur « l’évolution et la lutte contre la précarisation et la paupérisation d’une partie des Français » est présidée par la sénatrice socialiste des Côtes-d’Armor Annie le Houerou. Après un cycle d’auditions, les conclusions des travaux seront rendues en juin. Objectif de cette mission sénatoriale : dresser un état des lieux de l’évolution du phénomène de paupérisation ces dernières années, déjà vivement exprimé par le mouvement des Gilets Jaunes, et d’autant plus criant depuis le début de la crise sanitaire et économique liée au covid.
Baisse du pouvoir d’achat
Louis Gallois, président de Territoires zéro chômeur de longue durée, a rappelé quelques chiffres : depuis la crise de 2008/2009, le taux de pauvreté a augmenté de 1 % à 1,5 %, sans jamais être rattrapé. Au cours des 3 - 4 dernières années, les 8 % de la population les plus pauvres n’ont pas été touchés par la revalorisation de la prime d’activité, mais ils ont subi des baisses de certaines aides, comme les APL par exemple. « C’est la seule catégorie de population qui a vu son pouvoir d’achat baisser depuis 2018/2019. Le baromètre du Secours catholique estime qu’il y a eu une baisse de pouvoir d’achat de 5 euros par mois en 2019 par rapport à 2018, pour une population à l’euro près, cela compte beaucoup. »
De nouvelles populations concernées
Fin 2019, on constatait déjà une certaine dégradation de la situation, qui se traduisait notamment par l’arrivée de nouvelles catégories de population désormais concernées par la paupérisation et la précarité. Tout d’abord les étrangers, mais aussi les travailleurs pauvres. « Des personnes qui sont en emploi mais qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts », explique Louis Gallois. Il y a aussi les jeunes, en situation d’absence de revenu, de formation et d’étude. « Je vous donne un chiffre : 25 % des personnes en centre d’hébergement ont moins de 25 ans. C’est quelque chose que nous ne connaissions pas il y a quinze ans. » Les familles monoparentales sont également concernées. Enfin la pauvreté rurale, qui est encore très peu suivie et mal connue.
Avec un seuil de pauvreté de 14 % en France, le pays fait mieux que la moyenne européenne, à 16 % (taux en Allemagne et en Grande-Bretagne par exemple). Pour Louis Gallois, ce résultat est largement dû au système de redistribution français : « Avant redistribution le taux de pauvreté est de 24 %. C’est après redistribution que l’on tombe à un taux de 14 %. Cela signifie que le système redistributif permet à 10 % de personnes de sortir de la pauvreté. »
Les effets de la crise sanitaire
Le confinement et la crise du covid ont particulièrement touché les populations les plus fragiles. « Nous n’avions pas anticipé la disparition de la manche par exemple, ou encore la disparition des petits boulots, le travail au noir qui donnait des revenus d’appoint, les saisonniers qui n’ont pas pu effectuer leur travail. On a eu aussi les conditions de logement précaire qui ont impacté la capacité à garder les enfants à la maison et leur apporter le suivi éducatif dont ils avaient besoin ». Louis Gallois souligne que les effets ont été visibles : « En 2020 les titulaires du RSA ont augmenté de plus de 7 % et ce n’est pas fini. Par ailleurs, la distribution alimentaire a vu apparaître de nouveaux publics, des jeunes, des familles… »
Fracture numérique
Pour le président de Territoires zéro chômeur de longue durée, un des enjeux, c’est la fracture numérique, qui ne concerne pas seulement les populations rurales. « Ça, c’est un vrai sujet. Par exemple, demander à avoir la CMU, sans assistance c’est impossible. Ça veut dire que les travailleurs sociaux passent une grande partie de leur temps à aider les personnes à accéder à leurs droits. Et pendant ce temps-là, ils ne font pas autre chose. Ils sont derrière leur ordinateur à remplir des formulaires. On passe tous au numérique, mais il faut faire attention aux plus fragiles : soit ils ne sont pas équipés, soit ils ne savent pas comment faire. Et on le voit même chez les jeunes. »
L’économie sociale et solidaire
Avant la crise, il y avait entre 2 et 3 millions de chômeurs de longue durée, selon Louis Gallois. L’impact de la crise va faire augmenter le taux de chômage. « Je m’attends à ce que le chômage de longue durée ne régresse plus et même progresse dans les mois qui viennent. Il n’y a qu’une seule solution : l’économie sociale et solidaire, qui représente 10 % de l’emploi en France, et qui a toujours créé de l’emploi, même en 2008 / 2009. Cela concerne les grandes mutuelles jusqu’aux structures d’insertion en passant par les parcours emploi compétences. »
Un ensemble vaste et très diversifié, mais qui partage certaines caractéristiques. Tout d’abord, il n’y a pas les mêmes exigences de productivité, car c’est un secteur qui n’est pas soumis à la concurrence internationale. Par ailleurs, il n’y a pas la même exigence de rentabilité car il n’y a pas d’actionnaires à satisfaire. Enfin, c’est un secteur pour lequel Bruxelles admet les aides publiques. « Ce secteur peut être créateur d’emplois, et peut aller chercher les chômeurs de longue durée », plaide Louis Gallois.
Former des comités locaux
Rapprocher les structures d’insertion des territoires, c’est une des pistes avancées par Louis Gallois pour améliorer leur efficacité. « Je me demande s’il ne faudra pas créer un jour un comité local de l’emploi solidaire sur les territoires, pour parler pas uniquement de Territoires zéro chômeur, mais de toutes les solutions disponibles, pour qu’il y ait un travail ensemble, pas chacun dans leur couloir. Il faut créer des ponts. » Pour le président de Territoires zéro chômeur de longue durée, il est nécessaire que les structures d’insertion retrouvent un fort ancrage territorial.
Augmenter les impôts ?
Interrogé par les sénateurs sur la réforme de l’assurance chômage, Louis Gallois estime que la modification des critères est trop rude. « Pour les personnes en situation de précarité, avec des emplois qui se succèdent, avec des périodes de chômage, je trouve que l’addition est trop forte. Ce n’est pas à eux de payer le prix de leur précarité. »
Louis Gallois fait un constat : la situation des 20 % les plus pauvres s’est dégradée, leur taux d’endettement s’est accru. En revanche chez les 20 % les plus aisés, on a vu l’épargne augmenter. « Leur situation tranche face aux moins riches. Et dans une situation si exceptionnelle que la crise que nous traversons, je ne trouverais pas anormal de demander, pour 2 ans, de relever les tranches supérieures de l’impôt sur le revenu. (Et je ne m’attaque pas aux impôts sur les successions, même si je pense qu’il y a un réservoir.) Ça ne me paraît pas scandaleux ».
La somme collectée par cette hausse des tranches supérieures de l’impôt sur le revenu pourrait être affectée directement aux plus fragiles, soit pour une garantie jeunes plus longue, soit pour l’extension, dans certaines conditions, du RSA aux 18/25 ans. « Je pense que le pays a besoin de manifestations de solidarité en cette période. Il ne s’agit pas de punir ceux dont la situation ne s’est pas dégradée en 2020, mais il faut que ces personnes puissent être appelées à contribuer pour ceux dont la situation s’est fortement dégradée en cette période, et qui sont en situation d’extrême difficulté », conclut Louis Gallois.