Louvre : la Cour des comptes étrille les choix stratégiques du musée, qui dispose pourtant de « beaucoup d’argent »

Dans un rapport sévère et très attendu après le « casse du siècle », la Cour des comptes estime que la rénovation des bâtiments du Louvre et leur remise aux normes ont été les parents pauvres des dépenses engagées ces dernières années. Le Louvre, qui dispose d’une « trésorerie extrêmement solide », a privilégié « les opérations visibles et attractives » au détriment des urgences techniques.
Romain David

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Pierre Moscovici, le premier président de la Cour des comptes, n’aura eu de cesse de répéter « qu’il ne s’agit pas d’un rapport sur la sûreté et la sécurité du musée ». Il n’empêche, trois semaines après le retentissant cambriolage du Louvre et le vol d’une partie des joyaux de la Couronne dans la galerie d’Apollon, le rapport que publie ce jeudi l’institution de la rue Cambon, sur les finances du plus grand musée du monde, attire immédiatement l’attention sur les moyens alloués par la direction à la protection du site.

Et le constat est plutôt accablant : entre 2018 et 2024, période passée au crible par la Cour des comptes et qui couvre à la fois le dernier mandat de Jean-Luc Martinez et le premier de Laurence des Cars à la tête du musée, le Louvre n’a mobilisé que 87 millions d’euros pour des travaux d’entretien et de rénovation du palais, contre 169 millions pour le réaménagement du parcours muséal et l’acquisition de nouvelles œuvres.

« Un retard considérable » sur les installations techniques

« Le problème du Louvre ne provient pas de l’attrition de ses moyens. Le problème est ailleurs, c’est celui de l’orientation de ses objectifs », a expliqué Pierre Moscovici lors de la conférence de présentation de ce rapport, largement rédigé avant le casse du 19 octobre. « Le vol des joyaux de la Couronne a suscité une émotion mondiale qui a accéléré la fin de nos travaux », a reconnu le premier président de la Cour des comptes. « Le vol ne vient que renforcer certaines constatations mais n’introduit pas de nouvelles donnes ».

L’incapacité chronique du Louvre à hiérarchiser les priorités en termes d’investissements s’exprime dans l’importance donnée « aux opérations visibles et attractives, au détriment de l’entretien et de la rénovation des bâtiments et des installations techniques, notamment de sûreté et de sécurité », notent les Sages de la rue Cambon. En conséquence, le musée a accumulé « un retard considérable » dans la remise aux normes de ses installations techniques.

« Le vol des joyaux de la Couronne est, à n’en pas douter, un signal d’alarme assourdissant »

Et pourtant, un audit réalisé en 2017 par l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice avait déjà mis en évidence l’inadaptation des dispositifs techniques supposés assurer la protection du site, et formulé une série de préconisations. Presque dix ans plus tard, le musée n’a engagé que 3 millions d’euros, sur la mise en œuvre de son nouveau schéma directeur de sûreté, principalement pour des études techniques, soit seulement 4 % d’un coût total estimé à 83 millions d’euros. « Le vol des joyaux de la Couronne est, à n’en pas douter, un signal d’alarme assourdissant : ce rythme est très insuffisant, ces délais sont beaucoup trop longs », a martelé Pierre Moscovici.

Auditionné par la commission de la culture du Sénat le 22 octobre, Laurence des Cars, la présidente directrice du Louvre avait indiqué aux élus avoir « été effarée de la situation de la sûreté et de la sécurité du Louvre à [s] on arrivée », soit fin 2021. « Le travail de la conscience est long », a ironisé Pierre Moscovici ce jeudi. « Le musée ne semble avoir pris conscience de l’urgence de la situation que fin 2023, lorsque les expositions Claude Gillot et Naples à Paris avaient alors été fermées de manière anticipée en raison d’avaries techniques », a-t-il pointé.

Prioriser des investissements déterminants pour l’avenir du musée

La Cour des comptes estime que le musée n’a pas besoin de moyens financiers supplémentaires de la part de l’Etat. « Le Louvre dispose de ressources abondantes, il a une trésorerie extrêmement solide », a souligné Pierre Moscovici. « Le Louvre a de l’argent, pas mal d’argent, beaucoup plus que n’importe quelle autre institution culturelle en France. L’argument des moyens ne tient absolument pas. » En 2024 notamment, la billetterie a rapporté au musée 125 millions d’euros, soit 60 % de ses ressources propres.

Pour assurer un meilleur fléchage des dépenses vers les travaux « déterminants pour assurer l’avenir du musée » la Cour des comptes invite le Louvre à s’appuyer davantage sur son fonds de dotation, notamment les revenus issus de la licence « Louvre Abou Dhabi », issue d’une coopération muséale entre la France et les Émirats arabes unis. Les Sages de la rue Cambon proposent également de faire sauter la règle statutaire qui prévoit que 20 % des recettes de billetteries soient consacrées aux acquisitions d’œuvres. En huit ans, le musée a dépensé 105 millions d’euros sur ses ressources propres pour l’acquisition de 2 754 œuvres, dont moins d’une sur quatre est aujourd’hui exposée, soit pour des questions de conservation, soit parce que ces œuvres servent aux travaux de recherche des équipes scientifiques du musée.

« Louvre – Nouvelle Renaissance », un financement fragile

La direction du Louvre indique accepter « la plupart des recommandations » formulées par la Cour des comptes, mais estime que le rapport ne prend pas en compte l’ensemble des actions menées pour renforcer la sécurité du musée et délaisse l’aspect salarial de la question, avec plus de 2 200 agents pour une charge de 140 millions d’euros. Par ailleurs, le musée reproche à la Cour des comptes de sortir de la période étudiée, en évoquant le projet « Louvre – Nouvelle Renaissance », présenté en janvier par Emmanuel Macron. Cet ambitieux plan d’agrandissement prévoit la création d’une seconde entrée, au niveau de la colonnade de Claude Perrault, afin de désengorger les espaces d’accueil situés sous la pyramide, mais aussi l’ouverture de nouvelles salles d’exposition sous la Cour carrée.

La Cour des comptes estime à 1,15 milliard d’euros le coût de ses travaux, contre 700 à 800 millions d’euros selon le chiffrage de l’Elysée. Sans remettre en cause la pertinence de ce projet dans un contexte d’augmentation du nombre de visiteurs, les Sages s’interrogent néanmoins sur son financement, qui repose selon eux « sur des hypothèses fragiles », en l’occurrence le mécénat, les recettes issues de la licence « Louvre Abou Dhabi » et la billetterie. Avec le risque que ces sommes ne viennent encore grever les investissements de rénovation.

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