Au moment où les investigations débutaient sur le site de l’usine Lubrizol par 13 enquêteurs de la Gendarmerie nationale (dont six experts incendie), la ministre de la Transition écologique, Élisabeth Borne était auditionnée pendant deux heures par la commission du développement durable du Sénat. Quelques minutes avant le début des questions, le président centriste de la commission, Hervé Maurey a indiqué que la proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête parlementaire avait été adoptée en fin d’après-midi.
Deux objectifs vont guider la future commission d’enquête qui sera officiellement actée jeudi matin en séance publique : « faire la lumière sur la gestion des conséquences de cet accident par les services de l’État, alors même que l’usine Lubrizol avait déjà connu plusieurs incidents graves par le passé », et « recueillir des éléments d’information sur les conditions dans lesquelles les services de l’État contrôlent l’application des règles applicables aux installations classées et prennent en charge les accidents qui y surviennent ainsi que leurs conséquences afin d’en tirer des enseignements pour l’avenir ».
« Notre rôle n’est pas de rassurer coûte que coûte mais de dire la vérité »
Audition d’Élisabeth Borne sur Lubrizol: « Notre rôle n’est pas de rassurer coûte que coûte mais de dire la vérité »
Dans son introduction, Élisabeth Borne n’a pas hésité à parler de « catastrophe industrielle » résultant de l’incendie, le 26 septembre dernier, de deux sites, l’usine Lubrizol classée Seveso, et l’entreprise mitoyenne, Normandie Logistique. « Nous comprenons l’inquiétude que vivent tous les habitants touchés par cette catastrophe » (…) « Notre rôle n’est pas de rassurer coûte que coûte mais de dire la vérité » a-t-elle pris soin de préciser. Dans cette affaire marquée par la multiplication de la parole ministérielle (Intérieur, Santé, Éducation…), Élisabeth Borne a rappelé, que pour sa part, son ministère « était chargé de la prévention des risques industriels, et en cas d’accident de prévenir tout risque de suraccident, de contrôler la réalisation par l’exploitant des opérations de dépollution et de superviser l’évaluation à court moyen et long terme de l’impact environnemental ».
« Les analyses ont été effectuées le plus précocement possible »
En ce qui concerne l’impact environnemental, la ministre a assuré que l’incendie n’avait « pas généré autour du site de niveaux préoccupants de fibres d’amiante dans l’air ». Les différentes séries d’analyses « n’ont pas mis en évidence de pollution particulière hormis la présence de plomb qu’il n’est pas possible de différencier de la pollution de fond » a-t-elle poursuivi.
Toutefois, c’est bien la présence potentielle de dioxines qui s’avère encore préoccupante, notamment en ce qui concerne la production agricole. « Ce sont des polluants très longs à analyser (…) Ce qui explique que les premiers résultats (inférieurs aux seuils existants pour les produits agricoles) ne sont connus que depuis la fin de la semaine dernière » (…) La surveillance se poursuit en lien étroit avec l’Anses » (…) Les analyses ont été effectuées le plus précocement possible » s’est-elle félicitée assurant que les prélèvements continueront autant que nécessaire.
Vendredi 11 octobre, un comité de suivi, sera mis en place avec le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume et la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, « pour assurer dans la durée, la totale transparence sur les conséquences environnementales et sanitaires de cet accident » a annoncé Élisabeth Borne.
« Principe du pollueur-payeur »
Sur l’indemnisation des préjudices des Rouennais et des agriculteurs des 110 communes frappées par cette catastrophe, Élisabeth Borne a assuré à plusieurs reprises, qu’elle comptait bien faire appliquer à Lubrizol « le principe du pollueur-payeur » (voir la vidéo de tête). L’exploitant devra également prendre à sa charge « un suivi environnemental de longue durée ». « Il devait nous présenter un plan de surveillance que nous devions valider au plus tard le vendredi 4 octobre. Le Préfet l’a retoqué car il n’était pas satisfaisant » a-t-elle indiqué avant d’estimer que l’entreprise n’avait pas « été à la hauteur dans la gestion de cette catastrophe ».
En cause, « le temps qui a été nécessaire pour nous fournir des listes (de produits) (…) qui ne sont pas parfaitement lisibles, du moins pédagogique ».
Quels produits de l’entreprise Normandie Logistique ont brûlé ?
Si l’entreprise Lubrizol est classée Seveso (nom de la directive européenne qui fixe la réglementation pour les sites industriels à risque), ce n’est pas le cas de l’entreprise Normandie Logistique, construite dans les années 50 et bénéficiant d’un « régime d’antériorité ». « La législation a évolué avec, par exemple, la mise en place pour certains entrepôts, d’un régime d’enregistrement et d’autorisation » La ministre a préféré rester « prudente » à ce stade et laisser à l’enquête administrative le soin de vérifier si des produits dangereux ont pu être stockés sans autorisation.
Le gouvernement a effectivement pris connaissance des produits stockés sur le site Normandie Logistique mais pas la liste de ceux qui ont brûlé dans trois entrepôts il y a deux semaines. « De la gomme arabique, des produits tels que de la magnésie et de la bauxite, des asphaltes pour le site de Total, également à côté, des produits finis et matières premières Lubrizol ». « Lubrizol nous indique avoir fait appel à Normandie Logistique pour le stockage de produits non dangereux ». « Il faudra qu’on vérifie que ces produits pouvaient bien se trouver sur le site » a-t-elle ajouté.
« Je constate que la plupart de ces plans de prévention des risques technologiques se mettent en œuvre lentement »
À l’image de la sénatrice LR, Marta de Cidrac, plusieurs sénateurs se sont interrogés sur l’efficacité des plans de préventions des risques technologiques (PPRT) mises en place en 2003 après la catastrophe d’AZF. « Je constate que la plupart de ces plans de prévention des risques technologiques se mettent en œuvre lentement. Donc je pense qu’on devra s’interroger sur le rythme de mise en œuvre des mesures prévues dans le cadre de ces plans » a-t-elle reconnu avant de rappeler que sur les sites Seveso, les fréquences minimales de contrôle étaient d’un an.