Lutte contre la haine sur Internet : pas d’accord entre députés et sénateurs
La commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à lutter contre les propos haineux sur Internet s’est conclue par un échec entre députés et sénateurs. Le sénateur LR Christophe-André Frassa pointe un texte « inabouti et pas solide constitutionnellement ». La députée LREM Laetitia Avia, auteure du texte, regrette « une opposition presque dogmatique de la droite sénatoriale ».

Lutte contre la haine sur Internet : pas d’accord entre députés et sénateurs

La commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à lutter contre les propos haineux sur Internet s’est conclue par un échec entre députés et sénateurs. Le sénateur LR Christophe-André Frassa pointe un texte « inabouti et pas solide constitutionnellement ». La députée LREM Laetitia Avia, auteure du texte, regrette « une opposition presque dogmatique de la droite sénatoriale ».
Public Sénat

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

Il fallait s’y attendre. Assemblée nationale et Sénat n’ont pas trouvé de terrain d’entente sur la proposition de loi (PPL) visant à lutter contre les propos haineux sur Internet. La commission mixte paritaire (CMP), réunissant députés et sénateurs ce mercredi au Sénat, a fait l’objet d’un échec sur ce texte de la députée LREM Laetitia Avia.

Christophe-André Frassa (LR) : « Le gouvernement préfère avoir un délit pénal bancal qui ne pourra pas être appliqué »

« C’est toujours le délit pénal qui coince » explique le sénateur LR Christophe-André Frassa, rapporteur du texte au Sénat. La Haute assemblée avait supprimé la principale disposition de la PPL : l’obligation pour les plateformes type Facebook ou Twitter de retirer sous 24 heures les contenus « manifestement » illicites, signalés par les utilisateurs ou la police. En cas de non-respect, il s’agirait d’un délit passible d’un an de prison et de 1,25 million d’euros d’amende pour les plateformes. La majorité sénatoriale de droite, tout comme les sénateurs de gauche, craignent que les plateformes pratiquent une surcensure pour éviter de payer l’amende. De quoi mettre à mal la liberté d’expression, accusent les sénateurs. Bruno Retailleau, chef de file des sénateurs LR, craint l’arrivée d’une « société de surveillance généralisée » et accuse le gouvernement de vouloir « privatiser la censure ».

« Pour nous, c’est inabouti et pas solide constitutionnellement. Le gouvernement préfère avoir un délit pénal bancal qui sera du droit pénal expressif, c’est-à-dire qui ne pourra pas être appliqué » selon Christophe André Frassa, qui s’appuie aussi sur les critiques exprimées par la Commission européenne. « On préfère une obligation de moyens qu’une obligation de résultats pour les plateformes » ajoute le rapporteur. C’était l’objet d’un amendement de la socialiste Marie-Pierre de la Gontrie, adopté en séance, qui maintient le principe d’un retrait sous 24 heures des contenus, mais n’en fait plus un délit. Un retour de la notion de 24 heures qu’avait dénoncé La Quadrature du Net, y voyant une « trahison du Sénat ». L’association avait d’abord salué « une première victoire », après le retrait de la principale mesure par les sénateurs.

Laetitia Avia (LREM) : « J’étais dans une démarche de co-construction la plus poussée possible avec le Sénat »

En amont de la CMP, la députée Laetitia Avia a bien tenté de trouver une voie médiane. « J’étais dans une démarche de co-construction la plus poussée possible avec le Sénat » assure la députée de Paris, « j’ai proposé de rétablir l’article 1 en intégrant tous les éléments qui avaient suscité des interrogations, en permettant aux plateformes une flexibilité pour contextualiser, ou au regard de la nature d’un contenu journalistique par exemple » explique la porte-parole d’En Marche, alors que la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, avait suscité au Sénat l’indignation de la gauche après des propos ambiguës sur le traitement réservé aux journalistes. Christophe-André Frassa reconnaît de son côté « que les efforts de Laetitia Avia sont louables, elle a voulu présenter un amendement d’assouplissement, mais dans lequel il y avait encore le délit pénal ».

Laetitia Avia regrette sur ce point « une opposition presque dogmatique de la droite sénatoriale, qui ne veut pas du délit, alors que les députés LR ont voté le texte… » Quant au risque de surcensure, la députée dit l’avoir entendu. « C’est pour ça que j’ai ajouté dans le texte une sanction en cas de surcensure Mais cela a été retiré par les sénateurs » pointe Laetitia Avia, qui glisse que « les plateformes ont fait un énorme lobbying. Il y a eu beaucoup d’appels ». La formule proposée par le Sénat ferait, justement, le jeu des géants du Net, selon la députée LREM :

« In fine, le Sénat fait plaisir aux plateformes, car elles n’ont plus d’obligation de résultats. C’est tout ce qu’elles veulent, c’est cadeau ! » (Laetitia Avia, auteure de la PPL)

Elle ajoute que l’amendement anti-usine à trolls du président du groupe LR « est inabouti juridiquement et attentatoire à la liberté d’expression ». Bref, chacun se renvoie l’accusation de museler la liberté de parole.

Le texte va maintenant faire son retour à l’Assemblée pour une nouvelle lecture le 20 janvier, avant de repasser à nouveau par le Sénat le 30 janvier. « Peut-être que d’ici le 30, la lumière jaillira. Je suis optimiste, mais Noël vient de passer… » sourit Christophe-André Frassa. Le texte fera ensuite un dernier passage devant les députés, qui auront le dernier mot. La date est encore inconnue, mais à partir du 17 février, les députés se consacreront à la réforme des retraites. Du côté de la majorité présidentielle, l’objectif est d’adopter définitivement le texte d’ici le premier trimestre 2020.

Dans la même thématique

Lutte contre la haine sur Internet : pas d’accord entre députés et sénateurs
3min

Politique

Éducation nationale : « Le retour du religieux est réel » alerte la proviseure Mahi Traoré

Autoritaire et bienveillante, Mahi Traoré est une femme qui défend des valeurs fortes : ouverture, égalité, laïcité. Sensible au sort des enfants, cette proviseure d’un lycée parisien a vu évoluer l’Education nationale, entre parents-consommateurs, atteintes à la laïcité, sur fond de racisme… Cette semaine, Rebecca Fitoussi reçoit Mahi Traoré dans Un monde, un regard sur Public Sénat.

Le

Lutte contre la haine sur Internet : pas d’accord entre députés et sénateurs
4min

Politique

Christophe Gomart : « Quand on parle d’industrie de défense, l’Allemagne entend ‘industrie’ et la France ‘défense’ »

Friedrich Merz, nouveau chancelier allemand, n’a été élu qu’au second tour du vote du Bundestag, le parlement allemand, une première depuis 1949. La coalition entre la CDU, parti conservateur, et le SPD, parti social-démocrate, semble fragilisée. Est-ce que cela pourrait avoir un impact sur le couple franco-allemand, sur fond de tensions internationales ? C’est le sujet cette semaine de l’émission Ici l’Europe, sur France 24, LCP et Public Sénat. 

Le

le pen ok
8min

Politique

Immigration : comment une proposition de loi des sénateurs PS tente de déjouer les plans de Marine Le Pen

Le sénateur PS des Landes, Eric Kerrouche, a déposé une proposition de loi constitutionnelle pour limiter sa révision via le seul article 89. Une réponse à un texte déposé par Marine Le Pen, qui entend réviser profondément la Constitution sur l’immigration, en recourant au référendum via l’article 11… Le socialiste veut ainsi protéger l’Etat de droit. Explications.

Le