Il fallait s’y attendre. Assemblée nationale et Sénat n’ont pas trouvé de terrain d’entente sur la proposition de loi (PPL) visant à lutter contre les propos haineux sur Internet. La commission mixte paritaire (CMP), réunissant députés et sénateurs ce mercredi au Sénat, a fait l’objet d’un échec sur ce texte de la députée LREM Laetitia Avia.
Christophe-André Frassa (LR) : « Le gouvernement préfère avoir un délit pénal bancal qui ne pourra pas être appliqué »
« C’est toujours le délit pénal qui coince » explique le sénateur LR Christophe-André Frassa, rapporteur du texte au Sénat. La Haute assemblée avait supprimé la principale disposition de la PPL : l’obligation pour les plateformes type Facebook ou Twitter de retirer sous 24 heures les contenus « manifestement » illicites, signalés par les utilisateurs ou la police. En cas de non-respect, il s’agirait d’un délit passible d’un an de prison et de 1,25 million d’euros d’amende pour les plateformes. La majorité sénatoriale de droite, tout comme les sénateurs de gauche, craignent que les plateformes pratiquent une surcensure pour éviter de payer l’amende. De quoi mettre à mal la liberté d’expression, accusent les sénateurs. Bruno Retailleau, chef de file des sénateurs LR, craint l’arrivée d’une « société de surveillance généralisée » et accuse le gouvernement de vouloir « privatiser la censure ».
« Pour nous, c’est inabouti et pas solide constitutionnellement. Le gouvernement préfère avoir un délit pénal bancal qui sera du droit pénal expressif, c’est-à-dire qui ne pourra pas être appliqué » selon Christophe André Frassa, qui s’appuie aussi sur les critiques exprimées par la Commission européenne. « On préfère une obligation de moyens qu’une obligation de résultats pour les plateformes » ajoute le rapporteur. C’était l’objet d’un amendement de la socialiste Marie-Pierre de la Gontrie, adopté en séance, qui maintient le principe d’un retrait sous 24 heures des contenus, mais n’en fait plus un délit. Un retour de la notion de 24 heures qu’avait dénoncé La Quadrature du Net, y voyant une « trahison du Sénat ». L’association avait d’abord salué « une première victoire », après le retrait de la principale mesure par les sénateurs.
Laetitia Avia (LREM) : « J’étais dans une démarche de co-construction la plus poussée possible avec le Sénat »
En amont de la CMP, la députée Laetitia Avia a bien tenté de trouver une voie médiane. « J’étais dans une démarche de co-construction la plus poussée possible avec le Sénat » assure la députée de Paris, « j’ai proposé de rétablir l’article 1 en intégrant tous les éléments qui avaient suscité des interrogations, en permettant aux plateformes une flexibilité pour contextualiser, ou au regard de la nature d’un contenu journalistique par exemple » explique la porte-parole d’En Marche, alors que la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, avait suscité au Sénat l’indignation de la gauche après des propos ambiguës sur le traitement réservé aux journalistes. Christophe-André Frassa reconnaît de son côté « que les efforts de Laetitia Avia sont louables, elle a voulu présenter un amendement d’assouplissement, mais dans lequel il y avait encore le délit pénal ».
Laetitia Avia regrette sur ce point « une opposition presque dogmatique de la droite sénatoriale, qui ne veut pas du délit, alors que les députés LR ont voté le texte… » Quant au risque de surcensure, la députée dit l’avoir entendu. « C’est pour ça que j’ai ajouté dans le texte une sanction en cas de surcensure Mais cela a été retiré par les sénateurs » pointe Laetitia Avia, qui glisse que « les plateformes ont fait un énorme lobbying. Il y a eu beaucoup d’appels ». La formule proposée par le Sénat ferait, justement, le jeu des géants du Net, selon la députée LREM :
« In fine, le Sénat fait plaisir aux plateformes, car elles n’ont plus d’obligation de résultats. C’est tout ce qu’elles veulent, c’est cadeau ! » (Laetitia Avia, auteure de la PPL)
Elle ajoute que l’amendement anti-usine à trolls du président du groupe LR « est inabouti juridiquement et attentatoire à la liberté d’expression ». Bref, chacun se renvoie l’accusation de museler la liberté de parole.
Le texte va maintenant faire son retour à l’Assemblée pour une nouvelle lecture le 20 janvier, avant de repasser à nouveau par le Sénat le 30 janvier. « Peut-être que d’ici le 30, la lumière jaillira. Je suis optimiste, mais Noël vient de passer… » sourit Christophe-André Frassa. Le texte fera ensuite un dernier passage devant les députés, qui auront le dernier mot. La date est encore inconnue, mais à partir du 17 février, les députés se consacreront à la réforme des retraites. Du côté de la majorité présidentielle, l’objectif est d’adopter définitivement le texte d’ici le premier trimestre 2020.