Lutte contre la précarité : le Sénat fait 49 propositions

Lutte contre la précarité : le Sénat fait 49 propositions

La mission sénatoriale d’information sur l’évolution et la lutte contre la précarisation et la paupérisation d’une partie des Français a remis son rapport. Elle formule une cinquantaine de propositions pour combattre le phénomène et « agir contre les vulnérabilités des Français ».
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La crise sanitaire et les confinements qui en ont découlé, ont jeté une nouvelle lumière sur la précarité en France. La mise sous cloche d’une partie importante de l’économie a accentué la situation de précarité de certaines personnes, comme une partie des étudiants, dépendants des petits boulots. À l’hiver dernier, une mission d’information au Sénat avait été formée pour aborder le phénomène de paupérisation dans toutes ses dimensions, et dans une perspective longue.

Durant plusieurs mois, les auditions s’étaient enchaînées, au plus près des publics concernés et des associations en prise avec cette dure réalité. Au printemps, les Restos du cœur tiraient la sonnette d’alarme : la fréquentation de leurs antennes bondissait de 30 %. Une association caritative n’hésitait pas à parler de « crise humanitaire » en France, quand la Fondation Abbé Pierre rappelait une trop vieille réalité : « Les gens se saignent pour garder un toit au-dessus de la tête ».

Le nombre de bénéficiaires de minima sociaux a augmenté de plus de 30 % en 10 ans

La mission d’information, présidée par Annie Le Houerou (PS), a adopté le 14 septembre les conclusions du rapport de Frédérique Puissat (LR). La sénatrice rappelle en préambule que le taux de pauvreté (fixé à 60 % du niveau de vie médian) s’établissait à 14,8 % en 2018, en France métropolitaine, soit 9,3 millions de personnes.

Le niveau est certes « stable » sur la dernière décennie, mais il s’agit d’un trompe-l’œil. Le nombre de bénéficiaires de minima sociaux a augmenté de plus de 30 % depuis la crise financière de 2008, pour atteindre 4,25 millions de personnes en 2019. La pandémie a, depuis, accentué cette progression. Le rapport sénatorial regrette au passage que les indicateurs de suivi de la pauvreté ne permettent pas « d’être suffisamment réactifs face aux situations de crise ». Le taux de pauvreté est calculé avec deux années de retard sur l’année en cours.

Cette politique de redistribution des ressources a joué un rôle d’amortisseur mais n’empêche ni la sortie durable de la pauvreté, ni la progression d’un sentiment d’injustice. Frédérique Puissat alerte d’ailleurs au passage sur le fait que l’augmentation des dépenses sociales n’est pas tenable sur le long terme.

Progression du sentiment de déclassement

Le rapport met en exergue une précarisation du monde du travail, avec un bond du travail indépendant et la persistance d’emplois à temps partiel. En 2017, les trois quarts des embauches se sont faites par des contrats courts. A ce sujet, le rapport tire à boulets rouges sur le système de bonus-malus introduit dans la réforme de l’assurance chômage pour faire évoluer à la hausse ou à la baisse les cotisations employeur en fonction du recours à ces contrats courts.

« La crise a révélé que beaucoup de jeunes sont sortis du système éducatif et sont en situation d’emploi précaire », avait mis en évidence une audition d’économistes en mars. Frédérique Puissat préconise des « politiques d’insertion plus simples, décidées au plus près du terrain et résolument tournées vers l’emploi », résume-t-elle. La sénatrice, qui avait été rapporteure du projet de loi « avenir professionnel » en 2018, plaide pour des politiques de formation « en adéquation avec les besoins de l’économie », et tournées en priorité vers les jeunes, notamment les moins qualifiés. Fidèle à des positions déjà exprimées de longue date au Sénat, la mission encourage à aller plus loin dans la décentralisation des politiques d’insertion et d’emploi.

La mission sénatoriale voit dans le « revenu d’engagement » annoncé par Emmanuel Macron une « piste intéressante », même si ses contours demeurent flous. « Il constitue en tout état de cause une solution bien préférable à un RSA jeune puisqu’il intègre l’exigence de formation et d’accompagnement vers l’emploi », souligne le rapport sénatorial.

Le doublement de la valeur du chèque énergie demandé

Derrière les pourcentages des enquêtes nationales sur la faiblesse des revenus, le ressenti est encore plus élevé. Près d’un cinquième des ménages français interrogés se déclare pauvre. La progression du poids des dépenses contraintes est en cause, logement et énergie en tête. La Fondation Abbé Pierre estime à 14,6 millions les personnes ayant des difficultés de logement.

La hausse des prix de l’essence et du gaz, à l’approche de la saison froide, sera difficilement soutenable. Le gouvernement a annoncé il y a quelques heures une aide exceptionnelle de 100 euros aux 5,8 millions de ménages éligibles au chèque énergie, d’un montant moyen de 148 euros. Comme les associations, les sénateurs demandent un doublement de ce chèque énergie, qui ne peut couvrir à peine 20 % de la facture annuelle d’un ménage en précarité énergétique. Demandant d’agir « avec beaucoup de vigueur » contre l’indécence des logements, le rapport conseille de revenir à une TVA à 5,5 % sur les travaux de rénovation effectués par les bailleurs sociaux.

Sur le volet du logement, le rapport estime que cette priorité de la population doit devenir une « priorité politique ». Il appelle à relancer la « construction et la densification », en adaptant les besoins selon les territoires. Comme une réédition de leurs positions portées dans le projet de loi 3DS, les sénateurs ont insisté sur la nécessité d’assurer une compensation intégrale pour les municipalités de la taxe foncière, exonérée sur le logement social. L’accueil de la population se prolonge en effet par des dépenses d’infrastructures et de services publics. Sur le budget alimentation des ménages, le rapport encourage un renforcement du soutien budgétaire aux structures d’aide alimentaire, indispensable pour de nombreuses familles.

Quant au filet de sécurité que représentent les prestations sociales, celui-ci doit être à la fois « plus juste et plus accessible », insiste le rapport. Qu’il s’agisse des difficultés d’accès aux droits ou du recul de la présence des agents dans les institutions de l’Etat sur les territoires, la mission sénatoriale accueille « favorablement » l’idée d’une automaticité de ces aides. Afin de renouer avec la dimension incitative du RSA, la mission appelle à « repenser l’articulation » entre le revenu socle du RSA et le complément de revenu des travailleurs modestes, « de manière à rendre plus prévisible pour les allocataires l’impact d’un retour à l’emploi ».

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