Erigée en « grande cause nationale » par le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, la lutte contre le narcotrafic a pris la forme deux propositions de loi sénatoriales que les élus de la chambre haute ont adoptées en commission des lois, ce mercredi. La première traduit les recommandations de la commission d’enquête transpartisane de l’année dernière. Le second texte est une proposition de loi organique visant à créer un parquet national antistupéfiants (Pnast). Un amendement des rapporteurs Jérôme Durain (PS) et Muriel Jourda (LR) l’a remplacé en parquet national anticriminalité (Pnaco). Une appellation plus large qui correspond mieux à la porosité entre le trafic de stupéfiants, d’êtres humains, d’armes.
Nullités de procédures provoquées par certains avocats
En ce qui concerne la proposition de loi « visant à sortir la France du piège du narcotrafic », composé de 24 articles, les sénateurs ont décidé de reporter à la séance publique, l’examen des amendements portant sur l’article 20. Un article qui concerne les nullités de procédures provoquées par certains avocats de narcotrafiquants. « Vous avez des détenus qui envoient des dossiers de plus de 150 pages au magistrat instructeur. A l’intérieur, il y a une phrase où il demande sa remise en liberté. Si on ne la voit pas et donc on n’y répond pas dans les délais, le détenu sort », avait expliqué en novembre dernier à publicsenat.fr, Aurélien Martini, secrétaire général adjoint de l’Union Syndicale des Magistrats (USM).
« Cet article est très complexe. Il était préférable de différer les amendements à la séance publique pour être au point », confirme Jérôme Durain.
Parmi les points forts de la proposition de loi, on retrouve à l’article 1, le renforcement de l’Office antistupéfiants (Ofast) structurée en une véritable « DEA à la française » (Drug Enforcement Administration, l’agence américaine de lutte contre la drogue, ndlr). L’office serait placé « sous la double tutelle des ministères de l’intérieur, et de l’économie et des finances » avec « une compétence exclusive sur les crimes liés au narcotrafic, ainsi qu’un pouvoir d’évocation sur l’ensemble des enquêtes ».
Refonte du statut de repenti
S’inspirant de la législation italienne « anti-mafia », les sénateurs souhaitent réformer le statut des repentis qu’ils jugent insuffisamment exploité en France. Les élus ont pris conscience, lors de leurs travaux, qu’un « informateur n’est pas celui qui est innocent de toute infraction ». C’est pourquoi ils proposent d’étendre le statut de repenti à ceux qui ont commis des crimes de sang. Ils veulent aussi renforcer son attractivité avec « la perspective d’une réduction de peine en échange des informations transmises à l’autorité judiciaire ». Toutefois, le repenti aurait aussi des devoirs fixés dans une convention « et dont le non-respect sera sanctionné par l’interruption des mesures de protection mises en place par la justice ».
Un amendement des rapporteurs ouvre la possibilité de recourir aux dispositifs des « repentis » en matière de trafic d’armes. Il crée également un système d’immunité de poursuites, décidé à titre exceptionnel et par les seuls magistrats spécialisés.
De même, le Sénat souhaite révolutionner le statut des informateurs transformé sous leur plume, en infiltrés civils (à distinguer des policiers ou gendarmes infiltrés) en contrepartie d’une complète immunité pénale sous réserve de respecter des conditions strictes.
Le rapporteur de la commission d’enquête et co-auteur de la proposition de loi, Etienne Blanc (LR) s’inquiétait du risque pour les policiers infiltrés « d’être accusés de laisser perdurer l’infraction, d’être complices, coauteurs voire d’inciter à la commission de l’infraction. Un amendement des deux rapporteurs de la proposition de loi écarte ce risque en précisant « que ne constituent pas une incitation à commettre une infraction les actes qui ne font que contribuer à la poursuite d’une infraction déjà préparée ou débutée au moment où le magistrat compétent a autorisé le lancement de l’infiltration ».
Autre série de mesures jugées primordiales par les élus, la confiscation et les saisies des avoirs des trafiquants. « La seule fois où j’ai vu pleurer un trafiquant, ce n’est pas quand on lui a annoncé la décision de justice mais quand on a annoncé qu’on saisissait sa maison », avait confié un policier auditionné par la commission d’enquête.
Un amendement du sénateur écologiste, Guy Benarroche qui traduit également une recommandation de la commission d’enquête prévoit que « les maires soient informés des suites des suites judiciaires des affaires liées au trafic de stupéfiant et surtout permettre une plus grande coopération avec les autorités judiciaires ou préfectorales au sein des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance ».
Les deux propositions de loi seront examinées en séance publique à partir du 28 janvier.