Paris : Loi immigration adoptee par assemblee nationale

Macron, Ciotti, Retailleau, Le Pen… Comment ils ont changé de pied sur le texte immigration

Le projet de loi immigration a vu ses principaux acteurs évoluer sur certains sujets, allant jusqu’à parfois accepter ce qui était pour eux des lignes rouges. Des évolutions qui ne sont pas rares en politiques, qui montrent aussi comment les débats, tout au long de la procédure parlementaire, se font dans un mélange de conviction et d’opportunités politiques.
François Vignal

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Les moins jeunes se souviendront peut-être du titre du chanteur Thierry Hazard, « un jour c’est oui, un jour c’est non ». « Tu changes d’avis sans arrêt, tu dis un truc et 5 minutes après, tu dis l’contraire ». Ce morceau qui nous vient des années 90 résume assez bien ce à quoi les Français ont assisté durant tous les débats autour du texte immigration : des changements de pied, des lignes rouges qui deviennent vertes, des responsables politiques qui se contredisent d’un mois à l’autre, voire le même jour.

Entre jeu démocratique classique, avec ses changements de point de vue dans le cadre des débats, coups de poker menteur pour mieux faire monter la pression avant de lâcher, hypocrisie, simple mensonge ou post-vérité… chacun choisira son explication. Toujours est-il que le projet de loi immigration a vu les responsables politiques parfois évoluer du tout au tout, quitte à rendre par moment les débats peu lisibles pour ceux – il doit bien en avoir – qui ont tenté de suivre le déroulé de l’histoire, qui a duré un an.

Droit opposable sur les métiers en tension : « Ce n’était pas sérieux », explique finalement Emmanuel Macron

Après le vote des conclusions de la CMP immigration, où sa majorité s’est profondément divisée, Emmanuel Macron est venu faire lui-même le service après-vente sur France 5, mercredi soir. Sur la question des régularisations, qui a été longtemps le point de discorde du texte, le chef de l’Etat a eu des propos pour le moins étonnants. Il a affirmé que « le projet de départ aurait été censuré par le Conseil constitutionnel ». « Certains ne voulaient pas de contrôle du préfet. C’était impossible, on vous crée un droit opposable. […] Ça, ce n’était pas sérieux », a avancé le Président. Très tranquillement, il explique que « c’était une bonne chose de corriger le texte initial », en prévoyant le pouvoir discrétionnaire du préfet, comme le Sénat l’a adopté.

Autrement dit, il critique le texte de son propre gouvernement, présenté en Conseil des ministres, en sa présence, et défendu alors par ses ministres Gérald Darmanin et Olivier Dussopt et ensuite par toute sa majorité. Contradiction majeure ? Grand écart ? Autocritique ? Mauvaise foi ? La pensée est sûrement trop complexe.

Dans une interview commune des ministres de l’Intérieur et du Travail, le 2 novembre 2022, dans Le Monde, pour présenter le texte, Oliver Dussopt défendait pourtant la mesure. « Nous souhaitons, tout particulièrement dans les métiers en tension, comme ceux du bâtiment, que le travailleur immigré en situation irrégulière puisse solliciter la possibilité de rester sur le territoire sans passer par l’employeur », expliquait le ministre du Travail, « ce titre de séjour spécifique sera là pour régulariser une situation parce qu’on démontre qu’on travaille dans un métier en tension ». De nombreux parlementaires Renaissance, à commencer par le président de la commission des lois de l’Assemblée, Sacha Houlié, ont défendu ensuite pendant des mois, et dans tous les médias, ce nouveau titre de séjour…

Régularisations : après en avoir fait « une ligne rouge », Bruno Retailleau les accepte mais avec des critères durcis et sur décision du préfet

Il l’a dit en long, en large et en travers pendant des semaines : Bruno Retailleau ne voulait pas de mesure de régularisation dans le texte. Le 4 septembre dernier, le patron des sénateurs LR explique ainsi à publicsenat.fr : « C’est une ligne rouge. La fraude créerait le droit d’entrer illégalement sur le territoire, créant un droit opposable. Ce serait une nouvelle pompe aspirante ». Il ajoutait qu’« il y a un demi-million d’étrangers sans emploi, 1,4 million de jeunes Français, ni en formation, ni en emploi, près de 3 millions de chômeurs. Qu’on ne vienne pas nous dire que c’est la solution. La solution, c’est un meilleur taux d’emploi ».

Fin septembre, sur C News/Europe 1, Bruno Retailleau martèle sa position : « Jamais nous ne voterons un texte qui donnerait une prime à la fraude pour les clandestins ». Le sénateur LR de Vendée ajoute que cela constituerait un « appel d’air ». « Si demain, la France envoie le message que par la fraude, on peut obtenir des régularisations, on ne tiendra plus nos frontières », insiste encore Bruno Retailleau sur publicsenat.fr fin octobre.

Arrive l’examen du projet de loi au Sénat, début novembre. Après des semaines de blocage, un compromis est finalement trouvé avec les sénateurs centristes. L’article 3 sur les métiers en tension est supprimé, remplacé par un article 4 bis qui supprime le droit opposable. Mais le principe des régularisations est bel et bien conservé dans le texte. Mais elles se feront selon le pouvoir discrétionnaire du préfet, au cas par cas, et selon une série de critères durcis. Reste que des étrangers « clandestins », qui travaillent, et à condition qu’ils remplissent plusieurs critères durcis, obtiendront des papiers pour un an.

Interrogé sur notre antenne après l’accord conclu en CMP avec les députés, qui a conservé l’article en le modifiant légèrement, Bruno Retailleau défend le compromis, quand on lui fait remarquer qu’il permet des régularisations : « On a renforcé la circulaire Valls dans son champ d’application – ce sont seulement les métiers en tension – et renforcé dans son contrôle, avec le mode de vie, l’ordre public, les principes de la République, le casier judiciaire vierge ».

Sur X (ex-Twitter), le président de groupe, qui y voit globalement une victoire du Sénat et de la droite salue le texte : « Pour la première fois depuis longtemps, la France se donne les moyens de reprendre le contrôle de sa politique migratoire ». Résultat des courses pourtant : les LR ont adopté un texte qui permettra, selon le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, « 10.000 régularisations » de travailleurs sans papier par an. Comprenne qui pourra.

Eric Ciotti prend ses distances avec le texte voté par le Sénat… avant d’exiger que le gouvernement le reprenne

Après le vote du Sénat sur le texte, en novembre, Eric Ciotti ne saute pas de joie. « Je le dis très clairement : l’article 4 bis, qui s’est substitué à l’article 3, qui introduisait dans la loi le principe de régularisation, me gêne. […] En tout état de cause, ce texte n’inversera pas les grandes tendances qui nous ont conduits à accueillir près de 2 millions d’étrangers depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Très sincèrement, ce n’est pas avec une loi simple qu’on y arrivera », réagit dans Le Figaro le président de LR. Il fait même « un préalable » de « l’attitude de la majorité » sur « la réforme constitutionnelle » des LR sur l’immigration, qui a finalement été rejetée.

Cette prise de distance avec la version sénatoriale du texte exaspère alors les sénateurs LR. « Ils ont une posture politique irresponsable. Ils foutent en l’air ce qu’on fait. Mais la politique politicienne, à un moment, ça se retourne contre vous », grogne un sénateur de droite. C’est particulièrement les critiques du député Aurélie Pradié qui exaspèrent les sénateurs LR (voir plus loin). Bruno Retailleau prendra sa plume pour écrire aux députés LR et défendre le travail de sénateurs.

Le changement de pied d’Eric Ciotti intervient avant l’examen du texte en séance, à l’Assemblée. « Seul le texte sorti du Sénat, et uniquement celui-ci, nous convient », prévient-il dans un entretien au Parisien. Et d’ajouter : « La seule condition pour voter ce texte serait que le gouvernement reprenne intégralement tous les points du Sénat et qu’il s’engage à travailler sur une réforme constitutionnelle approuvée par référendum ». Le même texte du Sénat qui était loin d’être parfait, quelques jours plus tôt…

Aurélien Pradié vote le texte, après avoir dénoncé « une reculade »

Aurélien Pradié a joué les girouettes sur ce projet loi. A peine voté par la Haute assemblée, le député du Lot dénonce la mouture sénatoriale, y voyant un « renoncement » et le texte « des centristes ». « Nous n’avons pas le droit de tromper les Français », attaque-t-il dans La Tribune. Sur France Info, il persiste et signe : « Je ne parlerai pas de victoire. Je parlerai de ce que c’est : une reculade », fustige le député, qui avait déjà joué sa propre partition lors de la réforme des retraites. « Il vaut mieux entendre ça que d’être sourd. Il faut qu’il travaille, qu’il le lise […] C’est comique, c’est une plaisanterie », s’agace au micro de Public Sénat Bruno Retailleau.

Finalement, Aurélien Pradié rentre dans le rang. Les LR soutiennent l’accord conclu en CMP, qui leur est largement favorable. Les députés LR réussissent cette fois à rester groupés, y compris Aurélien Pradié, qui vote le texte. Sur X, il réagit après l’adoption du projet de loi : « Ce soir l’Assemblée nationale a adopté les mesures que Les Républicains portaient pour le pays. Les Français sauront distinguer les contorsionnistes, les opportunistes de ceux qui servent l’intérêt général ».

Marine Le Pen et le RN : des « lignes rouges » le matin, une « victoire idéologique » le soir

La politique est aussi affaire d’opportunité. Marine Le Pen en a présenté un bel exemple mardi, lors de l’adoption définitive du texte. La leader d’extrême droite surprend, et met surtout en difficulté toute la majorité présidentielle, quand elle annonce tout sourire que les députés RN voteront les conclusions de la CMP. Une volte-face que l’ancienne candidate à la présidentielle justifie en revendiquant une « victoire idéologique ». Le projet de loi introduit en effet une dose de préférence nationale sur les aides sociales, mesure exigée depuis toujours par le RN, et revient en partie sur l’automaticité du droit du sol.

Pourtant, le matin même, sur France Inter, le président du RN, Jordan Bardella, tient à autre discours. « J’ai toujours dit que la ligne rouge du RN serait les mesures de régularisation des clandestins. Or, il y avait dans le texte initial des mesures permettant d’accélérer la délivrance de titres de séjour à des gens qui viendraient travailler dans notre pays y compris en y étant de manière clandestine, et ça, c’est une prime à l’illégalité », souligne-t-il, craignant un « nouvel appel d’air ». Le président du RN prévient : « Si ces mesures sont maintenues, c’est une ligne rouge, donc on s’abstiendra ou on votera contre ce texte ». Il précisait même que « si les mesures qui visent à faciliter la régularisation d’immigrés clandestins sur le sol français sont retirées, nous pourrions voter ce texte ». Résultat : l’article permettant les régularisations de travailleurs sans-papiers est conservé et le RN vote l’ensemble du projet de loi…

Pour rajouter un peu de sel et de contradiction, les trois sénateurs RN ont voté contre le texte, lors de l’examen au Sénat, en novembre. Un texte alors pourtant très proche de sa version définitive. « Nous restons persuadés que l’article 4 bis ne constituera nullement un frein à l’immigration illégale et au travail clandestin », explique à la tribune Christopher Szczurek, sénateur LR du Pas-de-Calais, dénonçant en définitive « une reculade ». Les trois mêmes sénateurs RN ont finalement voté pour les conclusions de la CMP. Visiblement, il y a des circonstances politiques qui valent bien quelques reculades.

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