« J’ai tout mon temps ». C’est au centre d’un gymnase, au milieu de 600 maires, qu’Emmanuel Macron a lancé le grand débat national qu’il a lui-même annoncé en décembre dernier, en réponse à la crise des gilets jaunes. Le lieu choisi, Grand Bourgtheroulde (3.700 habitants), est une commune de l’Eure, département de Sébastien Lecornu. Le secrétaire d’Etat joue les Monsieur loyal en animant l’échange.
Pas de Français lambda, mais une session de rattrapage du congrès des maires
Un lancement paradoxal : si le grand débat s’adresse à tous les Français, c’est aux maires que le chef de l’Etat a répondu ce mardi 15 janvier. Après avoir séché le dernier congrès des maires de France, l’événement a pris des allures de session de rattrapage pour le locataire de l’Elysée. Et Emmanuel Macron a pris le temps : plus de six heures. On l’accuse d’être trop arrogant, trop distant. Le chef de l’Etat a voulu montrer le symbole d’un Président à l’écoute.
Beaucoup d’écharpes tricolores donc, mais point de gilet jaune. Les Français lambda attendront – peut-être longtemps – s’ils veulent échanger directement avec le Président. En s’adressant aux élus préférés des Français, l’échange était forcément beaucoup moins risqué. Et plus policé. Les sujets soulevés concentrent les difficultés des collectivités. Mais les questions posées par ces élus essentiellement ruraux recoupent, pour partie, les revendications des manifestants des ronds-points.
Assis sur une chaise, Emmanuel Macron écoute sagement, pendant deux heures d’abord, les doléances des maires. Il attend d’eux d’être « des facilitateurs » du grand débat. Aline Bertou, maire de Boisemont, remercie le Président « car les maires sont remis au cœur du débat ». Elle pointe le problème « de la mobilité » en zone rurale. Jean-Noël Montier, maire du Mesnil-en-Ouche, ajoute :
« Nous souffrons d’isolement en n’étant pourtant qu’à 160 km de Paris et nous demandons de rester en contact avec l’Etat et les services publics ».
Valéry Beuriot, maire de Brionne, 4.300 habitants, insiste sur « l’enjeu de justice sociale, de justice fiscale et de justice territoriale ».
« L’ISF, un cadeau pour les cent Français les plus riches » lance un maire
Francis Courel, maire de Saint-Philbert-sur-Risle, fait appel à la mémoire de son père qui « a fait 2 mois et demi de grève en 1936 pour obtenir 15 jours de congés payés, la semaine de 40 heures et la première convention collective. Je lui ai promis de continuer le combat ». L’élu dénonce la suppression de l’ISF, « un cadeau d'un million d'euros aux 100 Français les plus riches ». Regardez :
Francis Courel, maire de Saint-Philbert-sur-Risle, interpelle Emmanuel Macron sur l'ISF lors du lancement du grand débat
Quand Franck Meyer, maire UDI de Sotteville-sous-le-Val, aborde les questions de bioéthique et affirme que les Français « ont dit qu’ils ne souhaitent pas la marchandisation du corps humain, ni la modification des règles de l’assistance médicale à la procréation », Hélène Obissier, maire d’Origny-le-butin, commune de 100 habitants de l’Orne, prend la parole et demande à Emmanuel Macron d’aller « au bout de ses engagements de campagne et de donner l’accès à la PMA à toutes les femmes ». Le débat s’engage, du moins entre les maires.
« Je suis prêt à rouvrir la loi NOTRe »
Pendant une heure, Emmanuel Macron a pris le temps de répondre une première fois, quasiment à chacun. D’abord les sujets qui touchent directement les élus : il a rappelé que les dotations de l’Etat aux collectivités n’ont pas baissé depuis qu’il est à l’Elysée, contrairement à ce qu’a fait son prédécesseur, qu’il ne cite pas... Il fait une promesse : « Je viendrai ouvrir l’AMF l’année prochaine ». Surtout, il se dit « prêt à rouvrir la loi NOTRe ». « Il y a besoin d’une respiration » ou « d’aménager ». Il évoque « des travaux d’évaluation faits à l’Assemblée et au Sénat ». Regardez :
Grand débat : Macron est « prêt à rouvrir la loi NOTRe »
La commune inscrite dans la Constitution ?
Haute assemblée qu’il cite à plusieurs reprises, comme s’il cherchait à faire la paix avec les sénateurs, remontés après sa lettre aux Français, où Emmanuel Macron évoque la transformation du Sénat (voir notre article). Sur le statut de l’élu, il entend s’appuyer sur le « travail fait par deux sénateurs », en l’occurrence Jean-Marie Bockel et Mathieu Darnaud, « ça fait partie d’une réponse qui sortira de ce débat ». On voit qu’Emmanuel Macron a déjà quelques idées sur les conclusions… Last but not least : « La place de la commune dans la Constitution peut faire partie des points de sortie de ce débat. Il n’y a pas d’interdit ».
Revenir en partie sur le non-cumul des mandats ?
Répondant à une question d’un maire qui dénonçait les effets du non-cumul des mandats, Emmanuel Macron n’a pas écarté l’idée d’ajuster la mesure pour les élus des petites collectivités. Une nouveauté. « Faut-il permettre de réavoir des mandats locaux, du moins dans certaines proportions, sans être dans des exécutifs de premier plan peut être ? C’est à vous et aux parlementaires d’avoir ce débat » a affirmé le président de la République.
ISF : « Si des mesures qui ont été prises pendant ces 20 mois n’ont pas d’effet, elles seront corrigées »
Voilà le gros sujet : l’ISF et sa disparition. « Ce n’est ni un tabou, ni un totem » assure d’emblée le chef de l’Etat, qui refuse jusqu’ici de revenir sur cette réforme symbolique. « Faut pas raconter des craques. C’est pas parce qu’on remet l’ISF comme il y a un an et demi que la situation d’un seul gilet jaunes s’améliorera. Ça, c’est de la pipe (sic) » lance Emmanuel Macron. Mais pour la première fois, Macron semble ouvrir la porte (rhétoriquement ?) sur cette réforme : « L’ISF doit faire partie de ce débat (…) Il doit être évalué par les parlementaires. (…) On ne va pas renoncer à la réforme qui a été faite il y a un an. (…) Mais si des mesures, qui ont été prises pendant ces 20 mois n’ont pas d’effet, ne sont pas pertinentes ou sont contre-productives, elles seront corrigées. J’essaie d’être pragmatique » (voir la première vidéo).
« Faire quelque chose de plus intelligent » sur les 80km/h ?
Autre ouverture, plus claire : les 80km/h. « On voit bien qu’il y a une bronca ». S’il n’entend pas « arrêter », le chef de l’Etat se demande si « on peut faire quelque chose de plus intelligent ? Sans doute oui, en construisant davantage localement », « parce que nous on sait quel est le tronçon dangereux et pas l’autre ». C’est Edouard Philippe, qui a pesé pour cette mesure, qui va être content.
Avec le RIC « on tue la démocratie parlementaire »
Sur le référendum d’initiative citoyenne, une demande des gilets jaunes, il s’est montré peu emballé. « Si on crée un RIC qui pouvait chaque matin revenir sur ce que les parlementaires ont voté, on tue la démocratie parlementaire ». Le RIC « viendrait complètement anéantir le travail fait par les représentants du peuple » a mis en garde Emmanuel Macron, tout en se disant ouvert à l’expression des citoyens, y compris par voie « référendaire ». Mais « quand il y a une décision difficile à prendre, ce sont souvent les représentants qui la prennent ».
Macron « ouvert » pour refaire les cartes d’identité en mairie
Question mobilité, un maire rural pointe l’obligation de prendre sa voiture pour aller faire sa carte d’identité. Emmanuel Macron donne une réponse immédiate à cette doléance. « Je suis totalement ouvert à ce sujet-là » de pouvoir refaire les « passeports et cartes grises » en mairie. « On a voulu faire une grande cathédrale en disant qu’on va tout numériser. Mais le Défenseur des droits a dit que des milliers de concitoyens, notamment plus âgés, ne se sont pas faits au numérique » reconnaît le Président.
Côté fiscalité, il évoque des pistes. Sur la TVA, « peut-être qu’on peut la rendre encore plus juste ». Mais sur le CICE, il n’est « pas pour le bouger ». Il est près de 19 heures et les maires reprennent le micro pour une série de questions. Une demi-heure plus tard, ça continue. A 21 heures, Emmanuel Macron répond encore et tombe la veste... « La soirée ne fait que commencer » sourit Sébastien Lecornu. Le grand débat aussi.