Questionné sur l’allocation aux adultes handicapés (AAH) par Lucie Carrasco, styliste atteinte d’une amyotrophie spinale sur le point de se marier si elle devait choisir entre « l’amour » et son indépendance, Emmanuel Macron a admis au micro de France Info qu’une révision des critères d’attribution de l’AAH est nécessaire. « On doit bouger sur ce point », estime-t-il. Une mesure électoraliste ? La proposition ne figure pas dans le volet handicap du programme du président sortant.
Solidarité nationale vs. Solidarité conjugale
Versé sous condition d’âge, de ressources et en fonction du taux d’incapacité de la personne, le montant maximal de l’allocation peut atteindre jusqu’à 919 euros par mois depuis la dernière revalorisation le 1er avril dernier. Aujourd’hui, 1,2 million de personnes bénéficient de l’AAH dont 270 000 sont en couple. L’attribution de l’allocation est notamment liée aux revenus du conjoint, si les revenus d’un couple sans enfant à charge dépassent les 19 626,12 euros annuels, l’allocution n’est plus accessible au conjoint en situation de handicap. Ce critère conjugal dans le mode de calcul fixe un plafond « injuste » pour de nombreux adultes handicapés qui doivent « choisir » entre autonomie financière et vie de couple. « Au motif de la solidarité conjugale, les personnes en situation de handicap sont mises sous tutelle. C’est un principe qui remonte au Code Napoléon. L’Etat ne doit pas se défausser de ses responsabilités sur le conjoint », souligne Pascale Ribes, présidente de l’APF France Handicap. « Sur cette question, c’est la solidarité nationale qui doit l’emporter. »
Ce système « absurde » selon Emmanuel Macron peut créer des situations « aberrantes. » En cas de réélection, le président candidat promet de mener une réforme. Pour le moment, il n’a pas détaillé son choix pour parvenir à cet objectif entre décorrélation du statut marital ou « un revenu qui permettrait d’accompagner, mais qui ne soit pas conditionné. » La déclaration du candidat sur cette question est à contrecourant de l’action menée par son gouvernement et la majorité présidentielle à l’Assemblée pendant le quinquennat. « Je n’ai pas compris l’aveuglement de Monsieur Macron et de la majorité sur cette question, je me réjouis qu’il ait enfin changé d’avis », explique Pascale Ribes, présidente de l’APF France Handicap.
Un chemin de croix parlementaire
Le principe de déconjugalisation ou d’individualisation de l’AAH a été au cœur d’une longue bataille législative entre la majorité présidentielle et les oppositions. Cet affrontement a atteint son apogée lors de la « niche » parlementaire du groupe communiste (GDR) en juin 2021 à l’Assemblée nationale. Les députés examinaient pour une deuxième fois une proposition de loi reprenant le texte « portant sur diverses mesures de justice sociale », déposée par la députée Jeanine Dubié (Libertés et Territoires) en décembre 2019. En deuxième lecture, le texte a été vidé de « sa substance » par les membres de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale notamment en revenant sur le principe de déconjugalisation, principe remplacé par un abattement forfaitaire de 5 000 euros sur les revenus du conjoint. Craignant un vote sous tension, le gouvernement a eu recours à la procédure du vote bloqué, ne laissant d’autres choix aux députés que de voter sans retouche la version approuvée par l’exécutif. « Cet épisode a été extrêmement choquant même si tout cela reste parfaitement légal. On a assisté à un déni de démocratie au sein de la représentation nationale », précise Pascale Ribes.
Ce marathon parlementaire avait débuté en 2018 au Palais du Luxembourg, à l’époque la sénatrice Laurence Cohen avait déposé une proposition de loi portant pour un meilleur calcul de l’allocation. Le texte avait été rejeté en séance après avoir reçu un avis défavorable du gouvernement. L’élue du Val-de-Marne avait regretté l’attitude des groupes LR et LREM et dénonçait le « blablabla » de l’exécutif. En août 2021, une autre proposition visant « à plus de justice et d’autonomie en faveur des personnes en situation de handicap » est déposée par les députés LR Aurélien Pradié et Damien Abad, à l'Assemblée. Examinée au cours de la journée parlementaire du groupe LR, cette proposition est conçue comme une réplique à la version déposée par les communistes. Elle a été rejetée le 7 octobre 2021 en séance.
Lors des discussions dans les deux chambres, Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des Personnes handicapées craignait un « effet domino » d’une individualisation de l’AAH à d’autres minima sociaux. « Cette mesure remettrait en cause l’ensemble de notre système sociofiscal fondé sur une solidarité familiale à laquelle nous tenons, et creuserait les inégalités sociales en faisant des perdants parmi les plus modestes et des gagnants parmi les plus aisés », avait expliqué en octobre 2021 le sénateur Martin Lévrier. Pour la présidente de l’APF, cette question représente « le nœud du problème. » « L’AAH n’est pas un minima social comme un autre, les bénéficiaires subissent une solution non choisie », précise-t-elle.
La proposition de loi portant « diverses mesures de justice sociale » est finalement adoptée en deuxième lecture au Sénat. Les élus ont de nouveau voté en octobre 2021 en faveur de la « déconjugalisation » contre l’avis du gouvernement en réintroduisant les dispositifs supprimés à par la majorité présidentielle à l'Assemblée. Début décembre, les députés de la majorité présidentielle de l’Assemblée adoptent la proposition de loi sans l’article 3 du texte qui promettait l’individualisation de l’AAH. Retransmise au Sénat pour une troisième lecture le 3 décembre 2021 cette nouvelle version n’a pas encore été présentée aux parlementaires. Pour le rapporteur du texte à la chambre Haute Philippe Mouiller, ce prochain examen sera très attendu. « Pour nous, ça ne servait pas à grand-chose de remettre un texte à l’ordre du jour un texte qui a essuyé deux refus avant la fin de la session parlementaire », explique le sénateur LR. En cas de réélection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, « les choses pourraient aller très vite mais que de temps perdu », déplore Philippe Mouiller.