En annonçant l'opposition de la France à l'accord UE-Mercosur, sur fond de discorde environnementale avec le Brésil, Emmanuel Macron menace d'enterrer un traité qui embarrasse jusqu'à sa propre majorité, alimentant ainsi un procès en "hypocrisie" instruit par l'opposition.
A la veille du G7 à Biarritz et alors que l'attention internationale est tournée vers la forêt amazonienne ravagée par les flammes, Emmanuel Macron a saisi une occasion parfaite pour possiblement signer l'arrêt de mort d'un legs gênant: le traité de libre-échange entre l'Union européenne et les quatre pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay) dont les négociations ont soudainement abouti fin juin après 20 ans de tractations.
"Compte tenu de l'attitude du Brésil ces dernières semaines, le président de la République ne peut que constater que le président Bolsonaro lui a menti lors du sommet (du G20, ndlr) d'Osaka" fin juin, a déclaré vendredi l'Elysée, estimant que "le président Bolsonaro a décidé de ne pas respecter ses engagements climatiques ni de s'engager en matière de biodiversité".
Source de la colère affichée par M. Macron, "l'écocide" en cours en Amazonie et la nécessité de "stopper un processus de déforestation industrialisé". "Très concrètement, l'Amazonie brûle et c'est une question qui concerne le monde entier", a encore plaidé le chef de l'Etat, assurant avoir "très profondément changé" sur les questions écologiques, dans une interview au media en ligne Konbini.
"Dans ces conditions, la France s'oppose à l'accord Mercosur en l'état", a donc fait savoir la présidence française, au grand dam de Berlin qui estime cette réponse pas "appropriée". Un veto définitif de Paris suffirait pour enterrer le texte car il doit être approuvé par chaque Etat-membre.
Cette prise de position a été globalement saluée vendredi, à commencer par les agriculteurs mais aussi la majorité présidentielle. Celle-ci n'avait pas masqué ses fractures internes lors de l'adoption par l'Assemblée en juillet du Ceta, le traité de libre-échange avec le Canada (52 abstention, 9 votes contre chez LREM), déjà sur des interrogations environnementales. Or, ces réticences étaient décuplées sur l'accord avec le Mercosur, avec une pression accrue du secteur agricole inquiet pour l'avenir de certaines filières (boeuf, volaille...).
Conscient de la tiédeur des troupes, l'exécutif avait actionné début juillet le frein à main en demandant "des actes" et pas seulement du "déclaratif" à Jair Bolsonaro, dixit le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, tandis que Matignon avait installé une commission d'évaluation chargée notamment d'étudier l'impact environnemental du traité.
- "La ficelle est grosse" -
"Nous étions 75 députés LREM à considérer que cet accord en l'état n'était pas tenable. Aujourd'hui, clairement le président de la République fait le choix du climat et du juste échange", a souligné vendredi la porte-parole du parti présidentiel et députée des Yvelines Aurore Bergé.
"C'est une opposition légitime et bienvenue. Je m'en félicite", a pour sa part déclaré à l'AFP l'eurodéputé LREM Pascal Canfin, ancien patron du WWF, qui avait prévenu que le vote des élus européens LREM en faveur de l'accord n'était "pas acquis".
De son côté, l'ancien ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot, démissionnaire en août 2018, a salué une "première étape essentielle". "Elle doit être suivie de sanctions commerciales interdisant les importations de produits agricoles brésiliens pour tenter de stopper la déforestation", a ajouté M. Hulot.
Mais pour l'opposition, dont l'eurodéputée La France insoumise Manon Aubry, "la ficelle est grosse". "Seul Macron pouvait imaginer que Bolsonaro était écologiste", a encore raillé LFI dans un communiqué, tout en saluant "une victoire du combat social et écologiste contre le libre-échange".
"Mais nous ne pourrons que la traiter d'hypocrite si dans le même temps Emmanuel Macron ne revient pas sur les autres traités écocides", poursuivent encore les Insoumis.
A l'université d'été EELV à Toulouse, le député européen Yannick Jadot a souligné que M. Bolsonaro "a massacré l'Amazonie" depuis son entrée en fonction. "Alors considérer qu'aujourd'hui sa complaisance vis-à-vis des incendies (...) est un mensonge, je trouve que c'est exagéré", a-t-il poursuivi, en appelant Emmanuel Macron à prononcer "un embargo sur les importations de soja transgénique".