Un socle pas très stable. La majorité gouvernementale, ou « socle commun », qui rassemble sur le papier les groupes DR (LR), EPR (Renaissance), Modem et Horizons de l’Assemblée, n’en finit plus de tanguer. Cette majorité très relative est régulièrement elle-même divisée, fragilisant un peu plus un édifice par essence instable. Le bateau prend souvent des allures de galère.
L’examen du budget, en cours à l’Assemblée, part dans tous les sens. Y compris dans le socle commun, où les députés Renaissance ne se privent pas de dénoncer les hausses d’impôts du gouvernement Barnier. Mais les critiques viennent aussi du groupe LR. « C’est classique », minimise une ministre, « vous avez déjà vu un budget où il n’y a pas de défense de ligne ? C’est toujours le texte où on veut obtenir un peu plus ». Pour un de ses collègues, « le problème est que le groupe EPR n’est pas stable. Ils s’affaiblissent eux-mêmes. Il y a tellement de querelles, de chapelles. Au sein d’une majorité fragile, le premier parti est fragilisé », pointe ce membre du gouvernement, issu de la droite.
« Il faut que chacun fasse des efforts »
Un épisode a marqué les esprits : celui de l’accord conclu cet été entre Gabriel Attal et Laurent Wauquiez, à la tête des députés Renaissance et LR, sur la répartition des postes à responsabilité, vite mis à mal à la rentrée. Un bras de fer entre les deux groupes a coûté la présidence de la commission des affaires économiques aux macronistes. « On a un groupe qui est devenu un groupe pivot. Il faut que la Droite républicaine trouve sa place. Mais il faut que chacun fasse des efforts », avance après coup une députée LR.
Le gouvernement ne montre pas non plus toujours l’exemple. La cohésion n’y est pas toujours au rendez-vous. On comprend pourquoi le premier ministre Michel Barnier a demandé, vendredi, lors d’un séminaire gouvernemental, de veiller à « l’esprit d’équipe et au collectif ».
« Il y a un esprit intergroupe qui doit se créer »
Si les anicroches et tensions sont régulières dans la majorité, c’est aussi par un manque de vie commune. Avant les textes budgétaires, « on n’a pas pu faire de réunion du socle commun, pour s’appréhender, se comprendre », justifie l’un des membres du gouvernement cité plus haut, qui ajoute qu’« il y a un esprit intergroupe qui doit se créer ».
On observe bien quelques tentatives pour mettre de l’huile dans les rouages. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui n’hésite pas à défendre sa ligne droitière, a invité les députés du socle commun de la commission des lois à dîner Place Beauvau lundi soir, comme le raconte Politico. Ils lui reprochent de ne pas les informer de la tonalité de ses déclarations. Quant à l’initiative de Gabriel Attal de réunir tous les présidents de groupes du socle commun pour une réunion, elle a fait pschitt, Laurent Wauquiez ne voulant pas d’intergroupe et les autres n’appréciant pas la fuite dans la presse. Ce n’est pas gagné. Un ministre reconnaît la difficulté :
« Cette majorité est mouvante, pas facile à définir »
C’est grave docteur ? Vu du Sénat, où on regarde ces tensions avec plus de distance, on ne s’étonne guère. « Il y a trois mois encore, on se foutait sur la gueule… » lâche ce mardi, à la sortie de la réunion de groupe hebdomadaire, une figure du groupe LR du Sénat. Autrement dit, les LR étaient dans l’opposition aux macronistes avant l’été. Mais depuis, tout a changé.
« C’est vrai que c’est une situation à la fois nouvelle, inattendue et compliquée », reconnaît Jacqueline Eustache Brinio, sénatrice LR du Val-d’Oise, qui ajoute : « Cette majorité est mouvante, pas facile à définir. Ce sont des gens qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble. Mais pour moi, le socle commun, c’est la France et les Français ».
« Ce n’est pas une coalition. C’est un accord pour ne pas renverser le gouvernement »
En réalité, ce qui les fait tenir, c’est l’absence d’alternative, à leurs yeux. « Pourquoi on appelle ça un socle commun. Car ce n’est pas une coalition. C’est un accord pour ne pas renverser le gouvernement. On est réunis ensemble car cette situation atypique l’exige », avance le sénateur LR Cédric Vial, proche de Michel Barnier. « On n’est pas d’accord sur tout. On a souvent été élus les uns contre les autres », rappelle le sénateur de la Savoie, terre d’élection du premier ministre. Mais il n’y a pas le choix, ajoute Cédric Vial : « On est condamnés à être ensemble, car il n’y a pas de majorité et que la situation du pays exige une solution ».
L’option d’une coalition en bon et due forme n’était pas tenable non plus. « Ça faisait des années que les LR n’étaient pas d’accord avec les macronistes. Et si du jour au lendemain, on se faisait des bisous sur la bouche, vous pensez que les Français comprendraient mieux ? » demande un parlementaire LR.
« A quoi bon s’accrocher à des gens qui vont nous amener à la catastrophe ? Ici, on pense aux municipales »
Au Sénat, à majorité LR-centriste, les choses se passent, pour l’heure, mieux. « Ici, c’est différent. Le président du Sénat a déjà construit une majorité à facteurs variables, avec les centristes », rappelle un sénateur. Mais la majorité élargie n’a pas vraiment encore été mise à l’épreuve à la Haute assemblée, où l’arrivée du budget sera l’épreuve du feu. Or on sent que les anciens réflexes ne sont pas loin.
« Le socle commun, c’est compliqué. Les macronistes n’ont plus bonne presse. A quoi bon s’accrocher à des gens qui vont nous amener à la catastrophe ? Ici, on pense aux municipales », fait remarquer un sénateur LR d’expérience, d’autant que les municipales préfigurent les sénatoriales. « A l’Assemblée, on a des députés qui n’ont pas d’expérience locale, en particulier avec le camp Macron. C’est la limite du macronisme », ajoute pour sa part Jacqueline Eustache Brinio, qui estime qu’« il y a probablement une différence entre ceux qui sont dans le déni et ceux qui ne le sont pas. Or on voit des postures chez les macronistes sur l’immigration, le vivre ensemble ».
« 2027, ça fera partie des éléments de ceux qui appuierons sur le bouton »
Malgré ces tensions, le gouvernement devrait encore durer, pense Cédric Vial. « Pourquoi ça ne tiendrait pas ? Tant qu’il n’y a pas de meilleure organisation possible, ça tiendra », soutient le sénateur LR, « et ceux qui pensaient que ça durerait trois semaines ont perdu leur pari ». Emmanuel Macron retrouvera son pouvoir de dissolution en juillet. Mais dissoudre pour aller aux urnes en septembre ou octobre par exemple, soit à la veille du budget 2026, semble difficile à imaginer. C’est pourquoi les plus optimistes voient Michel Barnier rester encore plus d’un an à Matignon, sans censure. La fin viendra sûrement des ambitions des uns et des autres. « 2027, ça fera partie des éléments de ceux qui appuierons sur le bouton », lâche un parlementaire du socle, « mais Michel Barnier n’a pas d’ambition, c’est un peu son assurance vie ». Mais en politique, il ne faut jamais dire jamais.