La politique, ce sont des actes. C’est aussi l’art du mouvement et de la communication. Le premier ministre en a fait l’illustration ce mardi. Après les annonces sur le retrait provisoire de l’âge pivot, que le pouvoir présente comme un « compromis » avec les syndicats réformistes, c’est l’heure pour l’exécutif de tenter d’en tirer les gains politiques. Si l’histoire n’est pas terminée – la grève continue, plusieurs grands ports sont aujourd’hui bloqués – le gouvernement montre qu’il est déjà tourné vers la suite. À l’issue d’un séminaire gouvernemental, Edouard Philippe a présenté le programme des six prochains mois. Le message envoyé est clair : l’exécutif continue de réformer. La page retraite n’est pas encore tout à fait tournée, mais le gouvernement veut reprendre le fil de son quinquennat et ne plus subir l’agenda.
La grève à la RATP et la SNCF est « sans issue » et a « trop duré »
« La vie politique des six prochains mois ne sera pas exclusivement dédiée à la mise en œuvre du système universel de retraite », prévient le premier ministre, « même si nous sommes à mi-mandat et que des échéances électorales se dessinent, il est hors de question de ralentir. Nous voulons continuer sur la même lancée ».
Il n’a pas éludé pour autant le sujet brûlant du moment. Mais pour appeler à la fin du mouvement contre la réforme des retraites. Il a redit que « la grève à la RATP et à la SNCF (lui) paraissaient sans issue et qu’elle n’avait que trop duré ». « Il est temps de sortir par le haut » ajoute-t-il. Edouard Philippe précise au passage que le projet de loi, dont la version modifiée prenant en compte le « compromis » a été envoyée au Conseil d’Etat, sera examiné selon « la procédure parlementaire accélérée ». Le calendrier devrait ainsi pouvoir être tenu. Un doute existait depuis que le premier ministre avait parlé, visiblement de manière indue, de deuxième lecture dans sa lettre aux syndicats, samedi dernier.
« Allier transition écologique et soutien populaire »
Le gouvernement a encore quelques « chantiers » à lancer. Les « six prochains mois » seront tournés vers l’écologie – Emmanuel Macron avait voulu en faire un des objectifs de l’acte II – le régalien, l’économie et l’Etat providence, avec le dépôt d’un projet de loi sur la dépendance « à l’été ». « Nous maintenons l’ambition d’en faire un des grands acquis sociaux du quinquennat » soutient le premier ministre.
Edouard Philippe a pris le temps de parler écologie, mais sans faire d’annonces. Elles viendront peut-être après la convention citoyenne sur le climat. Elle présentera en avril « des mesures ambitieuses, qui montreront qu’on peut allier transition écologique et soutien populaire ». Il a surtout énuméré les décisions déjà prises : « Mise en œuvre du plan climat », « programmation pluriannuelle de l’énergie », fermeture prochaine de la centrale nucléaire de Fessenheim (arrêt du premier réacteur le 22 février et du second en juin), application de la loi anti-gaspillage, adaptation des territoires au changement climatique, « virage des véhicules électriques et hybrides » dans l’administration, décret d’application sur la loi mobilité en avril « pour la mise en place de zones à faibles émissions pour répondre aux urgences urbaines de la pollution atmosphérique ». Et en juin, rendez-vous est pris pour le congrès mondial de la nature, à Marseille. La corbeille de la mariée n’est pas pleine, diront les sceptiques. Il faudra attendre la convention climat pour voir si l’exécutif donne davantage corps à son ambition écologique. Pour l’heure, le prochain Conseil de défense écologique est attendu pour février.
Loi de programmation sur la recherche « au printemps »
Sur le plan régalien, l’exécutif prépare son plan de lutte contre l’islam radical et les communautarismes, présenté par le Président « d’ici le mois de mars ». Un « livre blanc de la sécurité » sera « présenté à la mi-mars » et une loi de programmation suivra à la « fin du premier semestre ». Un projet de loi de programmation sur l’aide publique au développement est aussi dans les cartons. Il sera présenté en Conseil des ministres « au premier trimestre ».
Pour la recherche, le projet de loi de programmation attendu « sera très prochainement déposé au Conseil économique, social et environnemental, et déposé en Conseil des ministres au printemps ». Enfin, viendra « au second trimestre le pacte productif souhaité par le Président après le grand débat » afin de « poursuivre la transformation économique à l’horizon 2025 ».
Sujet au premier abord technique mais important : le bilan d’application des lois. Le taux s’est amélioré, avec « 95% de publication des décrets », qui permettent de réellement mettre en œuvre la loi, une fois votée par le Parlement.
Sur Ségolène Royal : « La diplomatie, c’est une mission, la politique, c’en est une autre »
Edouard Philippe n’a étonnamment pas parlé, en revanche, du projet de loi « 3D » – décentralisation, différenciation, déconcentration – porté par la ministre Jacqueline Gourault. Le texte débutera son parcours législatif par le Sénat, qui compte bien imprimer ce texte de son empreinte très territoriale.
Interrogé sur le cas Ségolène Royal, qui s’estime licenciée de ses fonctions d’ambassadrice des Pôles après ses critiques contre l’ecxécutif, Edouard Philippe répond que « la diplomatie, c’est une mission, la politique, c’en est une autre », rappelant « l’obligation de réserve » des ambassadeurs. Si un courrier a été adressé à l’ancienne ministre, il soutient que la « décision » sera prise après les « observations » formulées par Ségolène Royal.
« Le temps utile n’est que jusque juillet 2021 pour le Parlement »
En rappelant le calendrier, sans faire d’annonce, l’exécutif entend rappeler que le mouvement est constitutif du positionnement du chef de l’Etat – En marche. « La retraite est une des réformes phares du gouvernement. Mais il s’agit de montrer que le gouvernement continue de réformer jusqu’au bout sur des sujets aussi sensibles que la santé ou l’environnement » résume François Patriat, président du groupe LREM du Sénat. Mais si Edouard Philippe insiste autant sur l’écologie, ce n’est pas uniquement en raison de l’urgence climatique. LREM craint une poussée verte lors des municipales, après le bon score d’EELV aux européennes.
Le temps est aussi compté. Nous ne sommes qu’en 2020, mais le gouvernement a en réalité moins d’un demi mandat pour agir. « Le temps utile n’est que jusque juillet 2021 pour le Parlement » souligne François Patriat. En effet, le budget 2021 sera le dernier en année pleine du quinquennat. Et les derniers mois du mandat seront, sur le plan de l’action gouvernementale et parlementaire, brouillés puis stoppés par la campagne présidentielle de 2022.