Retailleau capture
Stephane Lemouton/SIPA

Manque de clarté de Lecornu, 49.3 : chez les LR, l’heure « des crispations »

Alors que l’annonce du gouvernement approche, l’absence d’engagement précis du premier ministre et son choix de renoncer au 49.3, pour tenter d’amadouer le PS, laisse dubitatif à droite. Manière aussi pour les LR de faire monter la pression, à l’heure du money time.
François Vignal

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C’était la surprise, de bon matin. Il est 8h03 quand les journalistes apprennent, sur la boucle presse de Matignon, que « le premier ministre fera une déclaration ce matin à 8h45 ». Elle n’était pas prévue. Moins d’une heure après, Sébastien Lecornu annonce sa décision de renoncer au 49.3, qui permet de passer en force à l’Assemblée.

« Le compte n’y est pas » pour Bruno Retailleau

C’était justement l’une des demandes des socialistes, qui étaient reçus en fin de matinée à Matignon. Peine perdue. A la sortie, le numéro 1 du PS, Olivier Faure, pointe « une copie très insuffisante et à bien des égards alarmante », sans pour autant fermer la porte pour la suite. Dans le camp du premier ministre, on salue à l’inverse le coup. « C’est habile et constructif. Parce que ça met l’opposition devant ses responsabilités », juge François Patriat, président du groupe RDPI (Renaissance) du Sénat. « Au bout du compte, je vois mal le PS voter la censure, même s’ils disent que le compte n’y est pas », prédit ce macroniste historique.

Un autre estime que « le compte n’y est pas ». C’est Bruno Retailleau. Le patron des Républicains l’a confié hier au Figaro. « Les discussions vont se poursuivre. À ce stade, la participation de la droite au gouvernement n’est pas acquise du tout », prévient le ministre de l’Intérieur démissionnaire.

« On attend une copie révisée »

Coup de pression pour mieux négocier ou réel malaise chez les LR ? En étant reçu jeudi après-midi par Sébastien Lecornu, le premier ministre lui a bien présenté un document. Mais pas la lettre d’engagement attendue et promise, depuis le début de la semaine. Pour la seconde fois de la semaine, le président des LR a convoqué députés et sénateurs LR jeudi soir, pour une réunion d’urgence en visio.

« Le premier ministre lui a lu un texte, mais destiné à la terre entière et sans réponse à nos demandes », pointe le sénateur LR Roger Karoutchi. « On attend une copie révisée. Car là, il n’y avait que des généralités sur l’immigration, rien sur la politique des visas, sur laquelle Bruno Retailleau demande à reprendre le contrôle. Rien sur les délais en centre de rétention et pas de pistes précises sur la baisse des dépenses publiques », regrette la sénatrice Agnès Evren, porte-parole des LR. Maintenant, les « LR attendent une réponse rapide, circonstanciée et détaillé », insiste son collègue Max Brisson, porte-parole du groupe LR du Sénat.

Les consultations s’enchaînent. Ce midi, le président des LR a « refait une visio avec tous les présidents de fédérations départementales des LR, pour expliquer la situation », précise Agnès Evren, à la tête de la fédé de Paris. « La décision sera collective si on entre au gouvernement », rappelle la sénatrice.

« On sent qu’il y a une montée des crispations », constate Roger Karoutchi, qui ajoute que « Bruno Retailleau ne voit pas comment un gouvernement sera mis en place dans les 24 ou 48 heures ».

Renonciation au 49.3 : Bruno Retailleau craint la « coalition des démagogues »

Et ce n’est pas l’annonce de Sébastien Lecornu sur le 49.3 qui va arranger les choses, au contraire. Sur X, on sent Bruno Retailleau très mitigé sur ce choix de se passer de l’arme nucléaire parlementaire. « Le premier ministre fait le choix de renoncer au 49.3 pour laisser la place au dialogue et mettre le Parlement devant ses responsabilités. Dans un contexte d’absence de majorité c’est un choix qui se comprend, à condition qu’une coalition des démagogues n’aboutisse pas au vote d’un budget qui serait contraire aux intérêts supérieurs de notre pays. Si tel était le cas, ce serait dramatique pour la France et les Français », met en garde le numéro 1 des LR.

« Dont acte, mais nous attendons toujours les réponses du premier ministre à nos attentes, en terme programmatique, et l’expression de nos priorités », réagit pour sa part Mathieu Darnaud, président du groupe LR du Sénat.

« Un peu surréaliste et sidérant »

Dans les rangs des LR ce matin, on s’étonne suite à « ce message qui vient uniquement pour ses négociations à gauche, mais laisse dubitatif à droite. C’est quand même un peu surréaliste et sidérant ».

Si « le parlementaire (qu’il est) ne peut que se réjouir que le Parlement puisse débattre au fond de l’ensemble des textes », Max Brisson se dit « à titre personnel circonspect, de renoncer comme ça à un outil constitutionnel. Sur la durée, on verra ce qu’il en sera, de cette renonciation matinale et spectaculaire ». Alors que les LR semblaient confiants ces derniers jours, lui aussi pointe une forme de déséquilibre :

 Aujourd’hui, il se tourne vers la gauche dans une sorte de gesticulation constitutionnelle qui lui appartient mais il faut aussi qu’il regarde vers sa droite. 

Max Brisson, sénateur LR des Pyrénées-Atlantiques.

Le sénateur des Pyrénées-Atlantiques minimise la portée d’une renonciation au 49.3. « Il ne faut pas non plus imaginer une rupture extraordinaire. Jusqu’à présent, les lois étaient déjà votées à l’Assemblée et au Sénat. Ça changera quoi pour nous, sénateurs ? Il y a belle lurette qu’on a pris l’habitude de réécrire les textes à l’aune de nos convictions », rappelle Max Brisson, alors que le 49.3 n’existe pas au Sénat.

« Le problème, ce n’est pas le 49.3, c’est quel budget dans quel délai », souligne Roger Karoutchi

Roger Karoutchi fait lui un peu d’histoire. « En 2008, lors de la réforme constitutionnelle que j’ai portée avec Rachida Dati, on avait souhaité réduire considérablement l’utilisation du 49.3 », mais « beaucoup de parlementaires très aguerris nous avaient dit, attention, conservez quand même le minimum, notamment sur le travail budgétaire. Ce qu’on avait fait ».

L’ancien ministre des Relations avec le Parlement s’étonne de ce choix de se passer de cette arme. « Le problème, ce n’est pas le 49.3, c’est quel budget dans quel délai », pointe Roger Karoutchi. Car à l’Assemblée, on risque de nouveau d’avoir un budget Frankenstein. « Ce qu’il peut se passer, s’il n’y a pas l’arme du 49.3, c’est le problème du calendrier », alors que l’Assemblée nationale doit examiner le projet de loi de finances dans un délai de 40 jours, maximum. « Si le budget n’est pas voté dans les temps, et sans 49.3, vous rendez une copie blanche au Sénat et c’est le texte du gouvernement qui nous vient », souligne Roger Karoutchi. Par ailleurs, « vous ne renoncez pas à la censure, en renonçant au 49.3 ». Les oppositions peuvent toujours déposer une motion de censure spontanée.

« On va finir par un accord, mais hier, on a rétabli l’épreuve de force »

Alors les LR, échaudés par un premier ministre dont les choix manquent de clarté, vont-ils finir par claquer la porte ? On n’en est pas là. D’autant que la présence des LR au gouvernement leur a été bénéfique. « On ne va pas se mentir. Notre participation au gouvernement nous a redonné de la crédibilité, de la visibilité depuis un an. Mais pas à n’importe quel prix », avance Agnès Evren, « mais 90 % de nos électeurs souhaitent qu’on reste au gouvernement ».

Sous couvert d’anonymat, un parlementaire LR croit à une issue positive. « Je pense qu’on va finir par un accord, mais hier, on a rétabli l’épreuve de force, car Lecornu est en train de penser qu’il y a une sorte d’automaticité à notre présence et que la feuille de route très vague allait suffire », confie un parlementaire LR.

Analyse partagée par Roger Karoutchi : « Je pense qu’on peut arriver à quelque chose. Que chacun va faire un pas, mais il faut faire vite. On a un gouvernement démissionnaire depuis un mois », avance le sénateur LR des Hauts-de-Seine, qui conclut : « On verra d’ici demain si on trouve une voie de compromis ou si on retourne vers la crise. Mais je crois que tout le monde a intérêt à une voie de compromis ».

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