Marine Le Pen est condamnée à 5 ans d’inéligibilité.

Marine Le Pen inéligible : quelles conséquences la décision de justice peut-elle avoir pour le Rassemblement national ?

Reconnue coupable de détournement de fonds publics, la cheffe de file du Rassemblement national est condamnée à cinq ans d’inéligibilité. La peine entre immédiatement en application et prive Marine Le Pen d’une campagne présidentielle en 2027. Un coup de tonnerre pour le parti. Analyse.
Rose-Amélie Bécel

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Sur les coups de midi, sans attendre le prononcé de sa peine, Marine Le Pen quitte précipitamment le tribunal de Paris, sans dire un mot. Un signe de la fébrilité de la présidente du groupe Rassemblement national, qui affichait hier encore sa sérénité auprès de La Tribune Dimanche. « Avec l’exécution provisoire, les juges ont un droit de vie ou de mort sur notre mouvement. Mais je ne crois pas qu’ils iront jusque-là », avait-elle confié à l’hebdomadaire.

C’est pourtant la peine à laquelle Marine Le Pen vient d’être condamnée. Reconnue coupable de détournement de fonds publics dans l’affaire des assistants parlementaires européens, elle écope de cinq ans d’inéligibilité avec exécution immédiate, de quatre ans de prison dont deux ans ferme avec port de bracelet électronique, ainsi que de 100 000 euros d’amende.

Dès la sortie du tribunal, son avocat a annoncé faire appel de la décision. Mais l’exécution provisoire rend la peine d’inéligibilité applicable dès maintenant, ce qui compromet la candidature de Marine Le Pen à tous les prochains scrutins, de la présidentielle de 2027 à d’éventuelles élections législatives anticipées. Un véritable coup de tonnerre pour le parti. Ce lundi après-midi, les principales figures se retrouvent pour une réunion de crise, au siège du RN. Une pétition de soutien est déjà lancée sur le site du parti, assorti d’un appel à la « mobilisation populaire et pacifique ».

Un basculement, de la normalisation vers le « trumpisme »

« Jusqu’aux réquisitions de novembre dernier, le Rassemblement national considérait que l’affaire des assistants parlementaires était insignifiante. Hier encore, ils se projetaient dans une logique de peines légères, à portée symbolique, avec du sursis pour marquer le coup », estime le politologue Luc Rouban, directeur de recherches au Cevipof. Une relative insouciance dénoncée par la présidence du tribunal. « Les prévenus n’ont marqué, pour la plupart, aucune volonté de vouloir s’expliquer, niant parfois jusqu’à l’évidence », a soulevé Bénédicte de Perthuis pendant l’audience.

Avec cette condamnation, c’est aussi la stratégie de normalisation du Rassemblement national qui prend un coup. Ces dernières années, Marine Le Pen comme Jordan Bardella ont plusieurs fois insisté sur l’importance de l’exemplarité des élus. Sur le plateau de BFM TV au mois de novembre, le président du RN affirmait : « Ne pas avoir de condamnation à son casier judiciaire est pour moi une règle numéro une lorsqu’on souhaite être parlementaire de la République ». Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, il estime au contraire que « la démocratie française est exécutée ».

« Les réactions des personnalités du RN convergent vers une remise en cause frontale de la justice, de nos institutions, de la légitimité de la démocratie libérale. Cela annonce peut-être un basculement du parti vers une forme d’outrance, de trumpisme, alors qu’il était jusqu’à maintenant dans une démarche de modération », analyse le politologue Olivier Rouquan, chercheur associé au CERSA.

« Il y a un terreau pour rallier au RN des électeurs critiques du système »

Si un tel discours trouve ses adeptes outre-Atlantique, peut-il percer en France ? « Un trumpisme à la française aurait un espace électoral non négligeable », estime Olivier Rouquan, pointant la moindre confiance des citoyens dans la justice. Selon un baromètre du Cevipof, publié en février dernier, seuls 44 % des Français accordent en effet leur confiance au pouvoir judiciaire. « Il y a un terreau pour rallier au RN des électeurs critiques du système », pointe Luc Rouban, « en capitalisant sur l’idée que la justice empêche les électeurs de voter pour les personnalités qu’ils souhaitent, que nous vivons sous un gouvernement des juges. »

Pour d’autres électeurs, en revanche, la décision de ce 31 mars pourrait entrainer un rejet du RN, au profit de candidats de la droite traditionnelle. « Si le parti va trop loin dans sa remise en cause des principes fondamentaux de la démocratie, alors les électeurs les plus récents, qui se sont tournés vers le RN lors des élections législatives, pourraient être plus réservés », souligne Olivier Rouquan. « Pour les électeurs des classes moyennes et supérieures, qui ont dernièrement délaissé Les Républicains au profit du RN, un candidat comme Bruno Retailleau peut être vu comme plus sérieux », ajoute Luc Rouban.

« Le scénario de Jordan Bardella semble le plus logique, mais ce n’est pas le seul »

Pour ceux qui souhaitent toujours porter leur vote en direction du RN lors de la prochaine élection présidentielle, une question persiste : qui sera le candidat du parti ? Jordan Bardella apparaît déjà comme le successeur naturel. Pour la première fois, au micro de BFM TV juste avant d’entrer au tribunal, Marine Le Pen a même assuré que l’eurodéputé avait « la capacité d’être président de la République ».

Passer d’un « ticket » pour 2027, avec Marine Le Pen présidente et Jordan Bardella Premier ministre, à une candidature sans la cheffe de file du parti ne semble toutefois pas encore acquis. « Marine Le Pen reste le moteur idéologique d’un parti très hiérarchisé, très vertical. Jordan Bardella n’a pas la même expérience ni le même profil », juge Luc Rouban. « Le scénario de Jordan Bardella semble le plus logique, mais ce n’est pas le seul », affirme de son côté Olivier Rouquan, « Marine Le Pen ne va pas disparaître de la vie politique du jour au lendemain, elle pourrait mettre en place une succession progressive, mais des désaccords pourraient aussi émerger en interne. »

Auprès des sympathisants du Rassemblement national, le président du parti semble en tout cas déjà être en passe de devenir plus populaire que la députée. Selon le baromètre Odoxa pour Public Sénat, publié ce 31 mars, 60 % des adhérents du parti déclarent préférer Jordan Bardella à Marine Le Pen. À l’échelle de l’ensemble des Français, la cote de popularité du chef de parti affiche seulement deux points d’écart avec celle de la députée, à 35 % contre 37 %. Les électeurs sont-ils déjà passés à autre chose ? « Avec ce procès, qui intervient après la disparition du fondateur du parti au début de l’année, certains vont peut-être se demander s’il n’est pas temps de tourner la page de l’organisation du parti autour d’une famille », observe Luc Rouban.

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