Martin Bouygues minimise l’influence du groupe TF1 et riposte aux propos de Xavier Niel

Martin Bouygues minimise l’influence du groupe TF1 et riposte aux propos de Xavier Niel

Auditionné par la commission d’enquête sénatoriale sur la concentration des médias, le premier actionnaire du groupe TF1 a défendu le projet de fusion avec le groupe M6, « essentiel » vu la croissance des grandes plateformes. L’industriel n’a pas laissé sans réponse les critiques brutales de Xavier Niel, auditionné plus tôt.
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En bon professionnel du bâtiment, Martin Bouygues a bétonné sa communication. Auditionné sous serment ce 18 février par les membres de la commission d’enquête du Sénat sur la concentration des médias, le principal propriétaire du groupe TF1 a défendu le bien-fondé du projet de fusion avec le groupe M6, sur lequel les instances de régulation doivent se prononcer dans quelques mois.

La fusion est « essentielle » à ses yeux, « même si elle ne réglera pas tout », pour pouvoir survivre dans une époque où la consommation de contenus se détourne de plus en plus du poste de télévision au profit de grandes plateformes américaines. A l’instar du PDG du groupe TF1, entendu au Sénat le 14 février, Martin Bouygues a cherché à relativiser, voire à minimiser, le poids que constituerait TF1-M6, en cas de feu vert de l’Arcom (le gendarme de l’audiovisuel, l’ex-CSA) ou encore de l’autorité de la concurrence.

« TF1 appartient, d’une certaine façon, au patrimoine de ce pays »

« Ce que nous souhaitons faire, ce n’est pas grossir pour grossir. Nous avons seulement besoin qu’on nous permette de faire pivoter notre modèle », s’est défendu Martin Bouygues. Le président (non exécutif) du groupe éponyme, centré avant tout dans le BTP et les télécoms, a dépeint le modèle d’un groupe audiovisuel quasiment sur le déclin. Si la part des audiences s’est maintenue en valeur relative, le nombre de téléspectateurs en valeur absolue a diminué (38 % de baisse des 25-49 ans sur les dix dernières années). Conséquence de la désertion du poste cathodique, les recettes publicitaires « ne cessent de décroître ». Et parallèlement, les coûts de production de contenus ou des droits sportifs « s’envolent ».

Le rapporteur de la commission d’enquête, David Assouline a tenté de tempérer l’image d’un tableau noirci, en rappelant que les audiences restaient « très importantes à des moments clés » et que M6, l’autre partenaire de la fusion potentielle, était sur un chemin de croissance. Le premier actionnaire de TF1 a presque fait oublier que la chaîne était l’une des plus puissantes d’Europe. « Les journaux télévisés de TF1 et M6 représentent 34 % du nombre d’heures d’information diffusées quand les journaux du service public représentent 63 % », a-t-il tenu à comparer. Avant d’ajouter la montée en puissance des réseaux sociaux dans les moyens d’information des Français. « Si on veut parler de pluralisme, il faut parler de tous les médias. »

Dans un paysage audiovisuel marqué par le poids de Netflix, Disney ou encore Amazon, le chef d’entreprise français a justifié la fusion avec le groupe M6 comme un élément quasiment de survie. « Le projet de fusion n’est pas un projet de puissance politique médiatique ou économique. C’est différent, c’est un projet de souveraineté. » Le « prince du béton » a même ajouté que TF1 (privatisée en 1987) « appartient, d’une certaine façon, au patrimoine de ce pays ».

David Assouline frappé de la « férocité » des mots échangés entre Martin Bouygues et Xavier Niel

L’audition a parfois viré au règlement de comptes différé entre Martin Bouygues et Xavier Niel, qui l’a précédé devant la commission d’enquête. Le propriétaire de Free était monté au créneau de façon vigoureuse contre l’éventualité d’un groupe TF1-M6, en redoutant que ce « monstre » domine le marché publicitaire et renchérisse les prix. « J’ai été choqué parce que, finalement, il ramène un peu tout à des histoires d’argent, de son argent », s’est indigné le président du groupe Bouygues. En cas de fusion, TF1 et M6 pourraient détenir 75 % de parts de marché de la publicité à la télévision.

Martin Bouygues a expliqué aux sénateurs qu’un relèvement des tarifs aurait peu de chances de se produire. « Dire qu’on peut remonter les tarifs, peut-être, mais je ne suis complètement sûr que ce soit si possible. On est dans un monde très compétitif […] C’est le marché qui fait la tarification. » Et quand bien même cela se produirait, le propriétaire de TF1 a estimé que le mouvement n’aurait probablement que très peu d’incidences. Visiblement préparé à contre-attaquer, Martin Bouygues a affirmé qu’Iliad, la maison mère de Free détenue par Xavier Niel, avait dépensé 4 millions d’euros d’annonces publicitaires en 2021 sur TF1, à comparer à un résultat d’exploitation (avant intérêts, impôts et amortissement) de « l’ordre de 1,8 milliard d’euros ». « Je pense qu’il n’est pas tout à fait en péril », a considéré Martin Bouygues.

De la même façon, l’industriel a peu apprécié que Xavier Niel, devenu un concurrent dans la téléphonie en 2012, compare la fusion TF1-M6 à la création d’un « monopole ». « Il occulte le service public qui est plus gros. Quand on retire tout, effectivement, il reste des monopoles », a ironisé Martin Bouygues. Le rapporteur David Assouline a cependant rappelé que le service public – toutes chaînes confondues – ne dépassait pas 31 à 32 % d’audience, quand TF1 additionné à M6 représenterait 41 % des parts de marché.

Quant à l’influence qu’exercerait TF1 en matière d’information, Martin Bouygues s’est aussi permis de renvoyer la critique à l’expéditeur. « Il me semble que Le Monde, auprès des décideurs, a beaucoup plus de poids et d’influence que TF1. C’est une réalité historique », a-t-il rétorqué, toujours dans une réponse à peine dissimulée à Xavier Niel, l’un des actionnaires du quotidien du soir. « J’entends beaucoup parler d’influence, oui, mais laquelle, pourquoi, comment ? »

Bref, le propriétaire du groupe TF1 a rendu presque coup pour coup, sous le regard un peu médusé du rapporteur David Assouline. « Je suis frappé par la férocité de la concurrence, par exemple entre vous et M. Niel, la férocité des mots, les reproches, les sous-entendus. » Le sénateur de Paris laisse d’ailleurs entendre que le regroupement d’acteurs français ne risque pas de bouleverser les équilibres sur la scène internationale. « On se rend compte que ça ne fait pas trembler les plateformes étrangères, mais par contre, ça fait surtout peur à l’intérieur. »

Les interventions auprès des rédactions : des « chimères »

Interrogé à plusieurs reprises sur la situation des journalistes au sein d’un groupe impliqué dans plusieurs secteurs d’activité économique, Martin Bouygues a réfuté toute possibilité d’interventionnisme sur les équipes éditoriales. « Est-ce qu’on m’a fait le procès, moi, d’être présent dans la rédaction de TF1 ? On ne m’a jamais fait ce procès. Pour une raison simple, ce n’est pas le cas », a-t-il insisté, n’hésitant pas à qualifier ce type d’intervention de « chimères ». Martin Bouygues s’est aussi dit prêt à travailler avec l’Arcom pour « apporter des garanties supplémentaires, si c’était nécessaire » dans la future entité fusionnée.

La fusion fait aussi peser une menace sur les producteurs de contenus, qui ont eu l’occasion de partager leurs craintes vis-à-vis de cette fusion, devant la commission d’enquête. Là encore, le propriétaire de TF1 a assuré que les producteurs devraient rester « indépendants ». « Si vous pensez que l’intégration des diffuseurs et des créateurs de contenus sont une intégration verticale qui a du sens, vous vous trompez totalement. »

Quant aux chaînes que le groupe TF1-M6 serait susceptible de céder, pour respecter la loi, Martin Bouygues n’a pas indiqué qui parmi 6 Ter, TF1 Séries, TFX ou encore Gulli, pourrait être vendue. « Ce sera parmi celles-là, probablement. Je ne peux pas vous dire lesquelles. »

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