Mediator : quand le Sénat cherchait à comprendre le scandale sanitaire

Mediator : quand le Sénat cherchait à comprendre le scandale sanitaire

Des représentants des laboratoires Servier aux responsables des agences sanitaires françaises, une mission sénatoriale a mené un long cycle d’auditions en 2011 pour identifier les dysfonctionnements ayant conduit ce médicament, responsable de centaines de morts, à rester dans le circuit commercial pendant 33 ans.
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Près de 10 ans ont passé depuis le scandale du Mediator, un traitement soupçonné d’avoir causé la mort de plus de 2000 personnes. Le benfluorex (c’est son autre nom) était homologué comme antidiabétique. Dans les faits, le Mediator, utilisé par cinq millions de Français depuis 1976, a également été détourné de son usage en étant prescrit comme un coupe-faim. À l’origine de graves problèmes pour les patients (lésions de valves cardiaques ou encore hypertension artérielle pulmonaire), le médicament n’a été retiré qu’en 2010, malgré des alertes dès les années 1990.

Les laboratoires Servier, dont le procès s’ouvre ce 23 septembre, sont soupçonnés d'avoir dissimulé ces risques. Ils sont notamment poursuivis pour « escroquerie » et « tromperie aggravée ». L’Agence nationale de sécurité du médicament, mis en cause pour ses liens avec l’industrie pharmaceutique, se trouve également sur le banc des prévenus.

86 auditions au Sénat en 2011, quelques mois après le scandale du Mediator

Dans cette affaire retentissante, un front ne s’est pas seulement ouvert du côté judiciaire, le scandale a aussi ému la représentation nationale. Dès janvier 2011, une mission d’information s’est constituée au Sénat pour tenter de faire la lumière sur les failles de la politique de contrôle du médicament en France.

Pendant six mois, 24 sénateurs et sénatrices, issus de toutes les tendances politiques, ont mené leurs investigations. Cadres de Servier, ministres, directeurs de la Santé, représentants du « gendarme » du médicament, ou encore pharmacologues : 86 auditions se sont succédé pendant six mois. À de nombreuses reprises, les sénateurs se sont heurtés à l’ignorance de leurs interlocuteurs sur la question du Mediator. Regardez :

« Une info que je n’avais pas » : l'ignorance comme réponse lors des auditions sur le Mediator au Sénat
01:30

Une question taraudait les sénateurs : pour quelle raison le Mediator était toujours commercialisé en 2009, alors qu’un autre produit du laboratoire (l’Isoméride) avait été retiré en 1997, car il était responsable d’effets secondaires similaires ? « Écoutez, vous posez beaucoup de questions auxquelles malheureusement je n’ai pas compétence pour y répondre », s’est contenté d’indiquer Pierre Schiavi, directeur de la division scientifique pharmacologie de Servier.

Déplorant le « discours très stéréotypé » du laboratoire, selon les mots du président de la mission sénatoriale François Autain (Parti de Gauche), les sénateurs ont concentré leurs travaux sur la responsabilité l’Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS), l’ancêtre de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). « Les laboratoires Servier ont fait si bien en sorte de présenter le produit comme différent de l’Isoméride et des autres anorexigènes [coupes-faims], que l’ensemble de la communauté scientifique n’a pas considéré suffisamment le fait que le produit était proche, donc susceptible de donner les mêmes complications », a expliqué Philippe Lechat, le directeur de l’évaluation des médicaments à l’AFSSAPS.

Pourquoi le Mediator n'a pas été retiré comme l'Isoméride ? Les explications d'un cadre de l'AFSSAPS
00:55

Une double-casquette qui pose problème

Progressivement, la mission sénatoriale a identifié le cœur des dysfonctionnements : les experts collaborent avec les laboratoires et les représentants des firmes siègent dans les commissions d’autorisation de mise sur le marché (AMM), au titre d’invités permanents. « Si on veut restaurer la confiance, il va falloir mettre un terme à ces pratiques », déclarait le président de la mission François Autain. Un échange accablant avec le président de la commission d’autorisation de mise sur le marché de l’AFSSAPS, Daniel Vittecoq, illustre les négligences voire les conflits d’intérêts qui étaient à l’œuvre dans les procédures d’autorisation et de contrôle. Regardez :

Audition au Sénat sur le Mediator : échange tendu entre un sénateur et un cadre de l'AFSSAPS
02:16

La commission délivrant les autorisations de mise sur le marché est loin d’être la seule à intervenir dans la politique du médicament. Une commission de pharmacovigilance (pour suivre les effets indésirables), la Haute autorité de Santé, ou encore des administrations sous la responsabilité du ministère de la Santé interviennent à des degrés divers. « La puissance publique est fragmentée, et ne dispose pas d’une vision globale. Le seul qui a une vision globale de son produit : c’est l’industriel », s’inquiétait à l’époque William Dab, ancien directeur général de la Santé.

C’est toute la culture et l’état d’esprit de la chaîne de responsabilité qui scandalisent les sénateurs. S’exprimant face à Jean-François Girard, l’ancien directeur général de la Santé (1986-1997), le sénateur centriste, Jean-Marie Vanlerenberghe, faisait ainsi part de sa stupéfaction : « Vous avez dit qu’il fallait des morts – et vous prenez l’exemple de l’amiante – pour qu’on prenne conscience du danger d’un médicament. Je trouve que c’est terrible. Ça met en cause vraiment tout le dispositif sanitaire de vigilance qui est en place. C’est très grave »

Audition Mediator : « Je trouve que c’est terrible », déclare Jean-Marie Vanlerenberghe
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Les lanceurs d’alerte prêchaient dans le désert

Il est aussi ressorti des auditions sénatoriales un autre enseignement inquiétant : il était difficile pour les voix dissonantes et critiques de se faire entendre. « Le découragement à s’exprimer a manifestement joué un rôle important dans le drame du Mediator », nous confiait en 2011 Irène Frachon, la pneumologue brestoise qui avait alerté en premier sur les risques du Mediator. L’auteur de « Mediator 150 g : combien de morts ? » faisait notamment état de procès voire d’ « intimidations ».

« Le découragement à s’exprimer a joué un rôle important dans le drame du Mediator », raconte Irène Frachon
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Au terme de ses travaux, la mission sénatoriale a publié 65 propositions pour refondre la chaîne du médicament en France. Le rapport préconisait notamment la création d’un d’État d’experts de santé publique indépendants de l’industrie pharmaceutique. Parmi les pistes évoquées, les sénateurs soulignaient également l’importance de mieux encadrer les essais de médicaments ou de fixer une durée maximale pour la remise de résultats. Il était aussi question de mettre fin à la profession de visiteur médical, en confiant la formation de leurs successeurs à la Haute autorité de santé.

À la même période, le gouvernement présentait lui aussi un projet de loi (adopté fin 2011 au Parlement) pour renforcer la sécurité sanitaire. « Je sais pertinemment que sur ce dossier il ne doit pas y avoir de demi-mesures », déclarait devant notre caméra le ministre de la Santé de l’époque, Xavier Bertrand. Sur certains points, le texte du gouvernement était cependant moins ambitieux que les propositions sénatoriales.

Huit ans après, la perméabilité entre les agences et les industries pharmaceutiques s’est réduite. Les laboratoires sont désormais exclus des instances de décision. Et de grands progrès ont été réalisés du point de vue de la transparence et de la lutte contre les conflits d’intérêts. L’agence nationale de sécurité du médicament est même indépendante financièrement : son financement est assuré par une subvention de l’État et non plus par des redevances issues des entreprises pharmaceutiques.

Pour autant, les procédures d’autorisation de mise sur le marché restent encore très dépendantes des essais cliniques réalisés par les firmes pharmaceutiques. Le suivi au long cours des médicaments reste encore un angle mort de la politique, car les réseaux de pharmacovigilance sont toujours en attente d’une hausse de leur budget.

L’auteur du rapport du Sénat poursuivie elle aussi

Reste une « affaire dans l’affaire ». Auteure du rapport remis par la mission d’information, l’ex-sénatrice Marie-Thérèse Hermange (UMP) figure parmi les prévenus au procès du Mediator. Elle est soupçonnée d’avoir rédigé un rapport favorable aux laboratoires Servier. Selon Le Figaro, qui a consulté des transcriptions d’écoutes téléphoniques, une visite interroge les enquêteurs.

« Je me suis fichu des choses nulles qui n’avaient pas d’importance mais bien sûr j’ai regardé des phrases clés qui concernaient la responsabilité de Servier […] Et donc j’ai fait changer pas mal de choses », déclarait par téléphone l’ancien directeur de l’Inserm Claude Griscelli, à Jean-Philippe Seta, numéro 2 du laboratoire pharmaceutique Servier.

Marie-Thérèse Hermange (aujourd’hui membre du comité d’éthique de l’Académie de médecine) n’a jamais démenti avoir fait venir au Sénat Claude Griscelli pour une relecture mais s’est toujours défendue d’avoir corrigé son rapport sous la pression de Servier. « On peut demander un avis à quelqu’un et je n’ai pas écrit un rapport sous la dictée. C’est absurde de pouvoir laisser penser cela. Il s’agit simplement d’une consultation. Je n’ai pas fait relire un rapport, j’ai simplement discuté de 3 ou 4 pages du rapport avec l’ancien directeur de l’INSERM (…) Entre consulter un rapport et relire 3 ou 4 pages, vous avouerez qu’il y a un monde », avait-elle expliqué à Public Sénat. L’ancienne sénatrice UMP de Paris est poursuivie pour « trafic d’influence ».

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