Par les temps qui courent, les sujets rassemblant la quasi-unanimité des votes ne sont pas légions. En novembre 2024, avec 338 voix pour et seulement une voix contre, le Sénat avait largement approuvé la position du gouvernement sur le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur, à savoir un rejet du texte « en l’état ». Une position identique avait été prise par les députés, un jour plus tôt.
Le vote des députés et sénateurs n’était que consultatif et le traité commercial, compétence exclusive de l’UE, a été signé, quelques jours plus tard, en décembre 2024, entre la Commission et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay). Cet accord doit notamment permettre à l’Union européenne d’exporter davantage de voitures, de machines, de vins et de spiritueux en Argentine, au Brésil, en Uruguay et au Paraguay. En retour, il faciliterait l’entrée de viande, sucre, riz, miel ou soja sud-américains, au risque de fragiliser certaines filières agricoles européennes. Presque un an plus tard, les commissaires européens ont validé le texte de l’accord, et appellent maintenant les 27 Etats membres à faire de même.
La procédure de ratification de l’accord comporte, en effet, plusieurs étapes. La ratification du Mercosur nécessitera une simple majorité qualifiée du Conseil de l’UE, soit le vote de 55 % des Etats-membres, 15 Etats sur 27, qui devront représenter au moins 65 % de la population de l’Union. Puis viendra le tour de l’adoption par le Parlement européen. Le président du Conseil européen, António Costa avait fixé ces deux dernières étapes de la ratification d’ici la fin de l’année.
« Il y a une vraie influence française dans ce dossier »
Emmanuel Macron a longtemps affiché une opposition ferme. Dès 2019, il qualifiait le texte de « très mauvais » car exposait les agriculteurs français à la concurrence du bœuf brésilien aux hormones, des produits à moindre coût avec des standards environnementaux plus souples. Fin 2024, il considérait encore le texte comme « inacceptable en l’état » et trop sensible politiquement, en pleine période de manifestations musclées d’agriculteurs. « La commission européenne a entendu nos demandes. Il y a une vraie influence française dans ce dossier. Maintenant, on nous dit que nous avons été entendus mais il nous faut des preuves. A ce stade, on nous a présenté un premier document mais ce n’est pas l’entièreté de l’accord. Et le diable peut se cacher dans les détails », avance prudemment Marie-Pierre Vedrenne, eurodéputée française coordinatrice du groupe Renew au sein de la commission du commerce international (INTA).
« La grosse bataille contre le traité se fera au niveau du Parlement européen »
L’eurodéputée met ici le doigt sur ce qui pourrait infléchir la position française, les fameuses « clauses de sauvegarde ». L’exécutif européen s’est engagé à intervenir en cas d’impact négatif des importations sur certaines filières, comme le bœuf, la volaille, le sucre et l’éthanol. Des mesures immédiatement saluées à Paris. La porte-parole du gouvernement Sophie Primas s’est réjouie que l’Union européenne « ait entendu les réserves » françaises. « Macron est en train de se dégonfler. L’accord a été signé en décembre. Alors, je ne crois pas à ces mesures de rééquilibrage. Elles n’existent pas. C’est un habillage pour inciter les Etats à céder. La grosse bataille contre le traité se fera au niveau du Parlement européen. Les députés de droite et d’extrême droite qui pleurent des larmes de crocodiles sur le sort des agriculteurs de leur pays ne pourront pas se planquer », prévient l’eurodéputé écologiste, David Cormand.
« Il y a toujours des clauses de sauvegarde dans les accords commerciaux. Le sujet c’est leur efficacité, car en général, elles sont difficiles à déclencher. Sans oublier que le temps juridique n’est pas le même que le temps économique. C’est pourquoi, j’ai toujours anglé mon action en faveur de clauses de sauvegarde efficace », consent Marie-Pierre Vedrenne.
Le Mercosur est en tout cas moins un sujet partisan que national. Certains Etats, à commencer par l’Allemagne qui veut offrir de nouveaux débouchés à ses entreprises industrielles, l’appellent de ses vœux.
Au sein du Parlement européen, seuls les 46 parlementaires du groupe « the left » devraient voter unanimement contre. « Il y aura une large majorité de contre chez les Verts et il y a aura des pertes aussi chez les socialistes et Renew », prédit David Corman. Francisco Assis, eurodéputé socialiste portugais, estimait l’année dernière dans l’émission Ici l’Europe, sur France 24, LCP et Public Sénat que le Mercosur était « un bon accord » car « l’Union européenne a besoin de rompre son isolement et d’améliorer ses relations avec d’autres régions du monde. Ensuite, c’est un bon accord économique qui va créer un grand marché qui sera régulé. », justifiait-il.
L’eurodéputée socialiste française, Chloé Ridel indique de son côté sa participation au « groupe informel de parlementaires qui s’apprêtent à contester « la légalité » de cet accord devant la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). Les élus demandent à la Cour de statuer sur la conformité juridique du « split », qui permet de scinder l’accord afin de faciliter la ratification, aux principes du droit européen. Si la compétence commerciale de l’accord est une compétence exclusive de l’Union, la partie politique, sur la coopération et environnement devra, elle, être ratifiée par chaque État membre.
« Un coup de force de la Commission européenne contre nos agriculteurs », dénonce LR
Du côté de la droite, les sénateurs LR ont dénoncé dans un communiqué « un coup de force de la Commission européenne contre nos agriculteurs » qui « met l’écart les parlements nationaux ». « Nous appelons le Président de la République à mobiliser l’ensemble des Etats membres de l’Union pour refuser la ratification de ce traité », conclut le communiqué rédigé par le président du groupe, Mathieu Darnaud. La pression sur l’exécutif s’est également fait sentir du côté des syndicats agricoles. La FNSEA et les JA, appellent Emmanuel Macron « à honorer sa parole et à exprimer publiquement son opposition claire à cet accord » qualifié de « toxique ». Quand la coordination rurale, syndicat proche de l’extrême droite, évoque « une trahison, une trahison programmée ».
Alors que la France est plongée dans une nouvelle tempête politique et à l’approche d’échéances électorales majeures, aucune formation politique n’a intérêt à se jeter à bras-le-corps dans la défense du dossier Mercosur. Et ce, même si Marie-Pierre Vedrenne invite à étudier ce sujet dans un contexte commercial global, celui de la renégociation de la PAC, des négociations sur l’adhésion de l’Ukraine à l’UE ou encore en prenant en compte la hausse des tensions dans les relations commerciales de l’Union avec la Chine et les Etats-Unis.