Un secteur en plein boum. C’est ainsi que l’on peut résumer les conclusions de la mission d’information du Sénat - rendues publiques mardi – sur la méthanisation, c’est-à-dire la transformation de matières organiques en biogaz. La filière connaît depuis quelques années une « dynamique inédite », indique le rapport conduit par Daniel Salmon, sénateur écologiste d’Ille-et-Vilaine. Le biogaz produit peut-être injecté dans le réseau de gaz naturel ou servir à la production d’électricité. Fin 2020, la France comptait 1075 installations de production dont 80 % consacrés à la fabrication d’électricité. Selon un pointage réalisé en 2019, le biogaz représentait 3,4 % de la production d’énergie renouvelable en France. Comme le souligne le rapport, la méthanisation recoupe un triple enjeu : la protection de l’environnement, la gestion des déchets et la politique énergétique. Mais « le développement récent de la méthanisation en France suscite désormais des interrogations, voire des oppositions, dans de nombreux territoires. Filière prometteuse porteuse d’espoirs, elle provoque également des inquiétudes », notent les sénateurs.
Un important développement de la filière, que peine à accompagner la législation actuelle
« La production de biogaz, et singulièrement de biométhane, connaît, depuis plusieurs années, une forte croissance. Un cadre de soutien a promu la méthanisation depuis le début des années 2000, qui fait aujourd’hui l’objet d’une complète refonte. Du fait de ses ambiguïtés et de ses limites, ce cadre n’a pas encore permis de faire émerger un modèle français de la méthanisation », développent les élus de la Chambre Haute après sept mois de travaux, près d’une trentaine d’auditions et plusieurs déplacements de terrain.
Si la législation a impulsé, à travers une série de textes comme « Grenelle I et II » ou la loi de 2015 sur la transition énergétique, un important développement de la filière, il apparaît désormais que les capacités de production dépassent les objectifs définis par la programmation pluriannuelle de l’énergie, principal outil de pilotage de la politique énergétique française pour la période 2019-2023. En conséquence, le Sénat alerte sur les angles morts de la réglementation en vigueur et la faiblesse des mécanismes de soutien. D’autant que le coût de production moyen de la méthanisation reste élevé : entre 90 et 100 euros pour un mégawattheure, contre 25 euros pour le gaz naturel. Un chiffre qui doit cependant être contrebalancé par les effets positifs de ce mode de production.
Malgré ce fort développement, la France accuse un certain retard par rapport à d’autres pays européens. Ainsi, le biogaz représente chez nous moins de 1 % de la consommation de gaz contre plus de 20 % au Danemark. Mais, relèvent les sénateurs, cet écart est en partie imputable aux exigences qualitatives du système français. « La politique française […] prévoit, depuis 2015, un plafond de 15 % des cultures dédiées sur le tonnage brut annuel des intrants, alors que l’Allemagne les a promues via un bonus jusqu’en 2012. »
Une source de nombreuses inquiétudes
Décarbonation de l’énergie, outils d’indépendance énergétique, développement d’une économie rurale… les effets positifs de la méthanisation listés par la mission d’information sont nombreux, qu’ils soient indirects ou non. Par exemple, « le digestat issu de la méthanisation permet de réduire la quantité d’engrais azotés de synthèse et favorise l’augmentation des rendements agricoles en agriculture biologique ».
Pour autant, le rapport admet que la méthanisation continue de faire l’objet de débats, notamment parce que « ces impacts – positifs ou négatifs – ne sont que partiellement identifiés ». Les sénateurs rappellent ainsi que la Confédération paysanne a demandé un moratoire sur cette pratique, le temps d’établir un bilan complet de ses incidences environnementales. Car les zones d’ombre peuvent poser un problème d’acceptabilité. "Nous pouvons sortir par le haut de la crise de consciences que se dessine dans certains territoires, nous en sommes convaincus", a martelé mardi le sénateur Daniel Salmon, lors de la présentation du rapport.
Parmi les critiques : le biogaz reste une source d’émissions de gaz à effet de serre, même si ces émissions sont moins nombreuses que pour les énergies traditionnelles. « Selon les estimations disponibles, en analyse de cycle de vie, le biométhane émettrait de cinq à dix fois moins de CO2 que le gaz fossile », lit-on dans le rapport. Autres éléments d’inquiétudes : le risque d’accident industriel. Les sénateurs veulent tirer les leçons de l’accident de Châteaulin dans le Finistère, survenu à l’été 2020, où le débordement d’une cuve a privé 180 000 personnes d’eau potable. « Cet accident a mis la méthanisation sur le devant de la scène, elle a été très impactante pour de nombreux habitants », relève le rapporteur. « La méthanisation est un outil industriel qui arrive dans un monde agricole qui n’est pas forcément formé à la prévention des risques », ajoute-t-il. La pollution des sols par « surfertilisation » est un autre risque pointé du doigt par le rapport. Les sénateurs réclament aussi une vigilance accrue, du fait du développement rapide de la filière, sur une éventuelle concurrence entre les cultures dédiées à la méthanisation et les surfaces agricoles utiles.
Cinq axes de développement pour bâtir un « modèle français » de la méthanisation
"On a dans les cartons de nombreux projets, il faut que l’État garde une maîtrise de la méthanisation, de son développement pour que l’on puisse objectiver tout cela. Il faut que l’on planifie précisément où l’on veut aller", explique le rapporteur. Afin d'y parvenir, le rapport formule 61 propositions pour la mise en place d’un « modèle français » de la méthanisation, réparties à travers cinq axes de développement :
> Clarifier le cadre législatif, notamment à travers la loi quinquennale sur l’énergie de 2023 ;
> Aider la filière à se structurer à travers l’attribution de labels pour consolider la « démarche de qualité », mais aussi développer, en complément de la méthanisation, différentes formes de production de biogaz telles que la pyrogazéification ou la gazéification hydrothermale ;
> Territorialiser les projets grâce à une gouvernance locale articulée autour de comités régionaux de pilotage ;
> Développer les études d’impacts pour mesurer et potentialiser les effets positifs de la méthanisation sur le monde agricole ;
> Prévenir les risques à travers la sensibilisation des acteurs potentiels, notamment les étudiants dans les établissements d’enseignement agricole, mais organiser également la diffusion d’une information nationale pour le grand public.