Michel Aubier au tribunal : le procès du pneumologue accusé d’avoir menti devant le Sénat

Michel Aubier au tribunal : le procès du pneumologue accusé d’avoir menti devant le Sénat

Le pneumologue Michel Aubier est devant le tribunal ce mercredi pour « témoignage mensonger sous serment » devant la commission d’enquête du Sénat sur le coût de la pollution de l’air. Il n’avait pas informé les sénateurs qu’il avait des liens avec Total. Selon Le Monde, il a été rémunéré plus de 150.000 euros par an par le pétrolier en 2013 et 2014.
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C’est une première. Le professeur Michel Aubier est jugé ce mercredi, à Paris, pour avoir menti lors de son audition devant la commission d’enquête du Sénat sur le coût de la pollution de l’air. Lors de cette audition en avril 2015, passée sous serment, il avait déclaré n’avoir « aucun lien avec les acteurs économiques ». Or en mars 2016, Libération et le Canard enchaîné avaient révélé ses liens avec Total en tant que « médecin-conseil de la direction générale » de l’entreprise. Il touchait 50.000 à 60.000 euros par an du groupe pétrolier depuis la fin des années 1990, ce qu’il avait confirmé lors d’une nouvelle audition devant les sénateurs de la commission d’enquête. Lors de sa première audition, le 16 avril 2015, il avait affirmé que « le nombre de cancers dans les pathologies respiratoires liées à la pollution (était) extrêmement faible ».

Le bureau du Sénat avait décidé de transmettre son cas pour faux témoignage au procureur de la République, délit passible de cinq ans de prison et 75.000 euros d'amende. Signalement jugé recevable après enquête préliminaire du parquet de Paris, qui vaut aujourd’hui au pneumologue de comparaître pour « témoignage mensonger sous serment ». Comme publicsenat.fr le révélait le 31 mai dernier, le Sénat a ensuite décidé de se porter partie civile dans ce procès. Une première dans la vie parlementaire.

« Il devrait se regarder dans la glace »

De nouvelles révélations du Monde, ce mercredi, alourdissent le cas de Michel Aubier. Selon le quotidien, qui a eu accès au dossier, il a également été « rémunéré 109.956 euros en 2014, 106.787 euros en 2013 et 99.402 euros en 2012 » par Total et a reçu des actions. Selon les enquêteurs, cités par Le Monde, ces éléments mettent « en évidence un conflit d’intérêts entre les activités exercées par Monsieur Aubier au sein du groupe Total et son activité médicale au sein de l’hôpital Bichat ».

Ces nouveaux éléments sur les rémunérations perçues par Michel Aubier font réagir. « Ça nous renforce dans l’idée qu’il y a conflit d’intérêts avéré et sur le caractère délictuel. Là, on atteint des summums. C’est un champion du monde ! Il est le symbole de ce qui mine la sphère sanitaire et économique » lance Nadir Saïfi, vice-président d'Écologie sans frontière, l’une des deux ONG qui s’est portée également partie civile, et par ailleurs collaborateur parlementaire de Leila Aïchi, qui était rapporteure de la commission d’enquête. « C’est le procès de l’arrogance, de la cupidité et du sentiment d’impunité. C’est honteux que pour de l’argent, on puisse jouer avec la santé des Français. Il devrait se regarder dans la glace » ajoute Nadir Saïfi.

« Il n’est pas chargé de la production industrielle de Total, ni de sa propagande »

La défense de Michel Aubier fourbit ses armes. Son avocat, François Saint-Pierre, souligne à publicsenat.fr que le procès ne porte pas « sur le montant des rémunérations » perçues de la part de Total, mais sur l’éventualité d’un conflit d’intérêts. « Et le contenu même de la déposition de Michel Aubier devant la commission d’enquête n’a pas été mis en cause par le procureur de République » ajoute son avocat.

« Sur le fond, Michel Aubier n’a pas commis le délit de témoignage mensonger » selon François Saint-Pierre. Et dire le contraire serait tirer une conclusion « très hâtive, artificielle et dénouée de tout fondement ». Pour l’avocat, exercer « des fonctions de médecin du travail à temps partiel, chez Total ou Carrefour, ça ne change rien. Il n’est pas chargé de la production industrielle de Total, ni de sa propagande ».

Question de procédure

Mais avant d’aborder le fond, François Saint-Pierre compte déposer lors de l’audience une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) (voir notre article sur le sujet). Se référant à l’article 434-13 du code pénal, il estime qu’une commission d’enquête parlementaire ne peut être considérée comme une juridiction. De quoi stopper le procès, à ses yeux. « Cet article du code pénal dit que le faux témoignage est commis devant une juridiction. Or une commission parlementaire n’est pas une juridiction en raison de la qualité de ses membres, qui sont élus et ne présentent pas la qualité d’indépendance et d’impartialité des magistrats. On voit que l’attitude de la sénatrice Leïla Aïchi, tout à fait critiquable, ne correspond nullement à celui d’un membre d’une juridiction » souligne François Saint-Pierre.

Argument non valable, selon François Lafforgue, avocat d’Ecologie sans frontière et de Générations futures, l’autre ONG partie civile. La question « a déjà été tranchée par le Conseil constitutionnel en 2014 dans le cadre d’une autre affaire. La procédure est régulière » soutient l’avocat.

« En quoi le Sénat a-t-il souffert d’un préjudice ? »

L’avocat de Michel Aubier va aussi demander l’irrecevabilité des parties civiles. « En quoi le Sénat a-t-il souffert d’un préjudice ? C’est ridicule » lance-t-il. François de Saint-Pierre prévient : « Je vais attaquer durement le Sénat au tribunal en relevant qu’il a refusé de saisir le parquet du cas de Frédéric Oudéa, l’ex-PDG de la Société Générale ». La Haute assemblée n’avait en effet pas transmis son cas à la justice. Frédéric Oudéa avait déclaré lors d’une commission d’enquête sur l’évasion fiscale que son groupe n’était plus présent au Panama, alors que les Panama papers ont démontré le contraire. Le Sénat avait simplement estimé que ses propos avaient « pu comporter une part d'ambiguïté », mais qu'ils n'étaient « pas susceptibles d'être qualifiés de faux témoignage au sens du droit pénal ».

François Saint-Pierre va plus loin : « Et l’affaire du groupe UMP ? Est-ce que le Sénat va se constituer partie civile ? Pourquoi le Sénat n’agit-il pas ? A-t-il des liens économiques avec le groupe UMP et la Société Générale ? » Selon l’avocat, « les sénateurs se sont attaqués à un médecin pour se racheter une petite vertu. Ça ne trompe personne. Cette constitution de partie civile est une tartufferie et met gravement en cause la crédibilité du Sénat ».

François Lafforgue récuse l’irrecevabilité en tant que partie civile des ONG qu’il représente. « Lorsqu’un professeur comme le professeur Aubier vient devant une commission d’enquête sénatoriale et qu’il nie avoir des liens d’intérêt avec des acteurs économiques alors qu’il est salarié de Total, cela constitue un mensonge qui est préjudiciable car il va induire en erreur la représentation nationale et il va avoir une influence sur la réglementation adoptée, au préjudice des associations  qui luttent pour la préservation de l’environnement de la santé » répond François Lafforgue. Regardez (images de Cécile Sixou) :

François Lafforgue, avocat d’Ecologie sans frontière et de Générations futures, sur le procès Aubier
00:42

« On profite de ce procès pour mettre en avant les thématiques santé et environnement »

Au-delà du cas Aubier, les ONG comptent utiliser l’audience de demain comme une tribune médiatique. « On profite de ce procès pour mettre en avant les thématiques santé et environnement. On attend que le ministre de l’Environnement Nicolas Hulot, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, et de la Justice François Bayrou puissent se saisir de ce sujet » explique Nadir Saïfi, « on espère une loi Bayrou 2 pour moraliser au niveau de la sphère économique et de la santé ».

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