C’est une proposition qu’il a mis du temps à accepter. Prompt à croquer le monde politique, Mathieu Sapin s’est interrogé avant de s’embarquer dans une immersion longue au sein du ministère de l’Intérieur : « J’avais une réticence parce que j’avais peur de l’étiquette qu’on allait pouvoir me coller. Ça a été amplifié par le fait que j’ai voulu, au départ, faire une BD collective pour diluer la responsabilité. J’ai proposé à des camarades dessinateurs et dessinatrices, tous m’ont dit non. Je me suis rendu compte que la réticence que j’éprouvais était partagée. »
Pour celui qui se classe à gauche, suivre les activités du ministère de l’Intérieur qui incarne l’ordre, la sanction, n’était pas une évidence : « En traitant ce sujet, c’est une forme de communication. On peut légitimement se demander si je ne suis pas au service du sujet que je traite ».
Casque sur la tête, équipé de bottes et genouillères, celui qui est plus habitué à rendre compte des meetings et des réunions à l’Élysée que des manifs a pu embarquer avec les compagnies de CRS. De quoi revoir certains préjugés : « Parmi les policiers que j’ai croisés, beaucoup avaient une opinion positive du mandat de Bernard Cazeneuve, qui est de gauche. C’est vrai qu’il y a une image droitière » admet le dessinateur.
« On éprouve de l’empathie pour les gens qu’on observe »
Mais la rencontre qui l’a le plus marquée reste celle avec le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. « Ce qui m’a frappé, c’est le rapport quasiment quotidien à la mort, puisque qu’au ministère de l’Intérieur, on est confronté à toutes sortes d’horreurs. Le ministre n’y échappe pas, il reçoit un texto 2 à 3 fois par jour pour l’informer d’un homicide. Quand il y a un problème grave, on va directement le solliciter à sa chambre, on ne l’appelle pas », explique l’auteur.
Si l’ouvrage n’a pas été relu, l’auteur assume une forme de vigilance sur l’empathie qu’il a éprouvé au fil du temps passé avec les policiers : « Plus on passe de temps, plus on peut se faire une idée précise du sujet, et plus on va éprouver de l’empathie pour les gens qu’on observe. Je le raconte aussi, je ne prétends pas être clinique, neutre », avoue-t-il.
« Je ne balance pas pour balancer »
Mais son sujet favori reste la politique, dont il dévoile parfois les secrets. Ainsi, il raconte que les politiques sont plus « coulant » avec lui, dessinateur, qu’ils ne le sont avec des journalistes. Comme ce jour de 2017 où il assiste au débat de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Depuis les coulisses, dans la loge de celui qui n’est encore que candidat à l’élection présidentielle, il assiste au milieu des équipes d’Emmanuel Macron au débat, et dessine Richard Ferrand, secrétaire général d’En Marche à cette époque, qui hurle : « Vas-y, plie-là ! Plie-là ».
« Je dévoile beaucoup de choses, mais je les dévoile dans une durée moins problématique par rapport à un journaliste qui va parler à chaud », estime le bédéiste. « On me reproche des choses, mais j’essaye d’être honnête, de ne pas balancer des trucs pour les balancer. Mais ça dresse un portrait assez juste, tant pis si ça irrite » assume-t-il.
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