Vladimir Poutine muscle son jeu. Le président russe a annoncé mercredi matin la « mobilisation partielle » des Russes dans le cadre du conflit en Ukraine. « Seuls les citoyens qui se trouvent sur les listes de réserve doivent être mobilisés et surtout tous ceux qui ont une expérience militaire pertinente », a-t-il indiqué. Selon des précisions apportées par le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, cette décision concernerait quelque 300 000 hommes sur les 25 millions mobilisables en Russie. L’annonce fait suite aux importants revers subis par Moscou au début du mois de septembre, après une contre-offensive ukrainienne qui a permis à Kiev de reprendre le contrôle de plusieurs territoires dans la région de Kharkiv dans l’est du pays, notamment Izioum, un nœud ferroviaire stratégique pour le ravitaillement des troupes russes. Cette percée inattendue a ouvert de nouvelles perspectives dans un conflit qui semblait s’enliser depuis plusieurs mois, les Ukrainiens étant tributaires des fournitures d’armes par les Occidentaux, et les Russes faisant face à d’importantes difficultés logistiques.
« Ce sont des déclarations extrêmement menaçantes et belliqueuses qui ne correspondent pas à ce qu’il avait dit lors du sommet de Shanghai [l’Organisation de coopération de Shanghai, qui s’est rassemblée les 15 et 16 septembre à Samarcande, ndlr] où il avait semblé se positionner pour une désescalade », relève auprès de Public Sénat le sénateur LR Christian Cambon, président de la commission des Affaires étrangères. « Le durcissement auquel on assiste aujourd’hui montre l’affaiblissement de la Russie qui s’enlise dans ce conflit depuis un certain temps. Les revirements de Vladimir Poutine trahissent une forme de fuite en avant », analyse l’élu. Même constat du côté de l’historienne Galia Ackerman, spécialiste de la Russie : « Poutine est acculé et refuse de reconnaître la défaite. Il sait que s’il ne gagne pas, il sautera. »
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« Le terme ‘partiel’ est une feuille de vigne »
L’annonce d’une mobilisation tranche avec le lexique employé jusqu’à présent par le Kremlin pour caractériser l’invasion de l’Ukraine, refusant le terme de « guerre » et se contentant d’évoquer une « opération spéciale » destinée à protéger les populations russophones d’un pouvoir qualifié de « nazi ». « Mobiliser 300 000 hommes ne passera pas inaperçu. Dans les foyers, au sein des familles russes, le regard porté sur ce conflit ne sera plus le même si un proche se voit envoyé au front », pointe Christian Cambon. « Le terme ‘partiel’ est une feuille de vigne. Tous les réservistes peuvent être appelés sous les drapeaux, or, tous ceux qui ont fait l’armée sont considérés comme des réservistes, sauf raisons médicales », précise Galia Ackerman. Selon elle, 2 à 3 millions de Russes pourraient être indirectement impactés pas cette décision : parents, grands-parents, épouses, enfants, frères ou sœurs de réservistes. « Tant que la guerre était loin, elle bénéficiait d’un fort soutien dans la population. On peut s’interroger sur la manière dont les Russes vont réagir. »
Selon l’Agence-France-Presse, les recherches Google utilisant les termes « billets » et « avion » ont explosé dans le pays depuis l’allocution de Vladimir Poutine. Les vols à destination de la Turquie – l’espace aérien européen étant fermé à la Russie depuis le début du conflit – seraient complets sur les quatre prochains jours. Selon une information du Monde, les compagnies aériennes russes ne sont plus autorisées à vendre des billets d’avion aux hommes de 18 à 65 ans, à moins de détenir un laissez-passer fourni par le ministère de la défense.
Une armée qui patine
Lors d’un rare bilan annoncé mercredi, le ministre de la Défense a fait état 5 937 soldats tués depuis le début de l’offensive le 24 février. Des chiffres largement en deçà des estimations faites par les Occidentaux. Début août, le Pentagone estimait à « 70 000 ou 80 000 » le nombre de soldats russes blessés ou tués sur le terrain. À la même période, Kiev faisait état de 10 000 morts et 30 000 blessés parmi ses propres forces armées.
Les difficultés de l’armée russes sur le terrain interrogent aussi sur la mobilisation annoncée. La logistique militaire, déjà à la peine, sera-t-elle capable de prendre en charge 300 000 hommes de plus ? « Cela ne veut pas dire qu’ils seront tous envoyés au front demain. Par ailleurs, on peut s’imaginer que certains iront remplacer en Russie des soldats réguliers qui ont déjà été envoyés en Ukraine », nuance Galia Ackerman. Il est probable que Vladimir Poutine, qui perd du terrain, cherche aussi à sécuriser les positions russes avant l’hiver. « Il est certain que ce sera, pour les deux pays, une épreuve supplémentaire », abonde Christian Cambon.
Quatre référendums d’annexion
Vladimir Poutine a également indiqué que Moscou conduirait les référendums d’annexion que les territoires pro-russes de Donetsk et de Lougansk, dans la région du Donbass, mais aussi ceux de Kherson et Zaporijia, dans le sud, ont annoncé vouloir organiser du 23 au 27 septembre. « Certaines provinces nous ont sollicités pour mettre en place des référendums. Je vous annonce que nous allons appuyer leurs démarches », a déclaré le président russe.
« On n’organise pas des référendums sous le feu d’artillerie ennemie », relève Galia Ackerman. Mardi, Emmanuel Macron a estimé devant l’Assemblée générale des Nations Unies qu’il s’agissait d’un « simulacre » démocratique, dénonçant également « le cynisme contemporain qui désagrège notre ordre international sans lequel la paix n’est possible ». Le résultat de ces consultations ne laisse guère de place au doute ; le rattachement officiel de ces deux territoires à la Russie, huit ans après l’annexion de la Crimée, irait certainement de pair avec une nouvelle escalade puisqu’il permettrait à Moscou de justifier en interne une nouvelle démonstration de force.
Menace nucléaire
« Nous utiliserons certainement tous les moyens à notre disposition pour protéger la Russie et notre peuple. Ce n’est pas du bluff », a également averti Vladimir Poutine dans son allocution télévisée, ciblant « la machine de guerre de l’Occident ». Une allusion à peine voilée à l’arme nucléaire. Cette menace avait déjà été brandie par le maître du Kremlin fin février, lorsqu’il avait annoncé la mise en alerte de ses forces de dissuasion. « Ce serait un tournant gravissime, au-delà du dramatique, une tragédie mondiale », réagit le sénateur Christian Cambon « Sans doute y a-t-il une part de bluff dans ces menaces, mais acculé comme Poutine semble l’être, rien n’évacue l’hypothèse d’une frappe nucléaire tactique qui rayerait une ville de la carte et ferait 30 000 morts. » Les sous-entendus du président russe s’inscrivent dans une logique de gradation, analyse Galia Akerman : « L’offensive lancée en février n’a rien donné. Il passe à la mobilisation partielle, qui pourra être élargie dans les prochaines semaines. D’ici quelques mois, il pourrait encore décider d’aller encore plus loin, surtout si les Occidentaux et les Etats-Unis continuent de soutenir l’Ukraine ».
Joe Biden attendu devant l’Assemblée générale des Nations unies
L’intervention télévisée de Vladimir Poutine a soulevé une vague de réactions internationales. La Chine, pourtant alliée historique de Moscou, a appelé à un « cessez-le-feu à travers le dialogue et la consultation » et « à trouver une solution qui règle les préoccupations sécuritaires légitimes de toutes les parties. » Le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a dénoncé une « rhétorique nucléaire dangereuse ».
« La rupture de la propre promesse du président Poutine de ne pas mobiliser une partie de sa population et l’annexion illégale de certains territoires ukrainiens sont l’aveu que son invasion est un échec », a estimé pour sa part le secrétaire d’Etat à la Défense britannique, Ben Wallace, dans une déclaration relayée par le compte Twitter de son ministère. Même constat du côté de l’Union européenne : un porte-parole de Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, voit dans ces annonces « un nouveau signe du désarroi » de Vladimir Poutine. « La mobilisation partielle des réservistes et la confirmation des référendums sont un signal clair adressé à la communauté internationale durant la semaine de l’Assemblée générale des Nations Unies de sa volonté de poursuivre sa guerre destructive qui a des conséquences négatives dans le monde entier », a-t-il déclaré.
Le président américain Joe Biden devait prendre la parole mercredi après-midi devant l’Assemblée générale des Nations Unies. « Si je reprends les déclarations qu’il a faites précédemment, il pourrait annoncer un renforcement des livraisons d’armes », glisse Christian Cambon. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky doit également s’y exprimer par message vidéo.