Ce qui s’apparentait à son arrivée à Matignon au coup de maître d’un Premier ministre rassembleur capable de travailler avec la gauche de gouvernement est en train de virer au fiasco pour François Bayrou. Après 4 mois de concertations, le conclave sur une réforme des retraites n’a pas abouti à un accord entre les partenaires sociaux. Un échec dont ne se satisfait pas le Premier ministre qui, dès potron-minet, a invité les partenaires sociaux à une énième réunion, cette fois-ci à Matignon, « pour dépasser un tel blocage ». « Je ne peux pas accepter sans réagir qu’on se satisfasse d’échouer si près du but », a-t-il fait valoir dans une courte déclaration.
« Respect de la parole donnée »
Interrogé aux questions d’actualité au gouvernement de l’Assemblée par le président du groupe PS, Boris Vallaud, le Premier ministre a maintenu son idée selon laquelle il existerait « un chemin très difficile qui peut permettre de sortir de l’impasse ». « Cela devrait déboucher sur un texte qui pourra être examiné par la représentation nationale », a-t-il esquissé avant de mettre en garde : « quel que soit le chemin législatif ou réglementaire que nous prendrons, il est pour moi inacceptable de laisser détruire l’équilibre financier si difficile à trouver ».
Pour le patron des députés PS, cette réponse n’est pas acceptable et contrevient au « respect de la parole donnée », « la base même de notre régime démocratique », a-t-il pointé annonçant le dépôt d’une motion de censure. « Si le statu quo devient la conclusion de cet échec » de ce conclave, « nous avons toujours dit que dans ce cas, nous prendrions nos responsabilités », avait prévenu dans la matinale de Public Sénat, son homologue à la chambre haute, Patrick Kanner. Le premier secrétaire, Olivier Faure avait aussi brandi la menace sur BFMTV.
Cette journée met donc un terme à l’accord de non-censure conclu en début d’année entre les socialistes et le chef du gouvernement. Il révèle également l’ambiguïté des termes employés par le Premier ministre dans la définition du périmètre du conclave. Dans un courrier adressé aux deux présidents de groupe de l’Assemblée et du Sénat, Boris Vallaud et Patrick Kanner, François Bayrou évoquait l’hypothèse d’un non-accord. « Si les partenaires sociaux ne parviennent pas à un accord global, nous présenterons néanmoins, les avancées issues des travaux des partenaires sociaux, sous réserve d’un accord politique et d’un équilibre financier global maintenu, nous présenterons sur cette base un nouveau projet de loi. Ainsi, l’impératif de réforme pourra être satisfait dans une démarche de justice ».
Dans l’hémicycle, ce mardi, François Bayrou a maintenu « l’impératif de responsabilité morale que nous avons à l’égard des générations qui viennent ». En clair, pas question de revenir sur l’âge de départ à la retraite fixé à 64 ans dans la réforme Borne.
« Les dés sont pipés depuis le départ »
« Le conclave sur les retraites n’aura été qu’un écran de fumée pour gagner du temps politique. Ce qu’il laisse entendre aujourd’hui est décevant par rapport à son engagement qui était de mener une négociation sur une loi massivement repoussée par les Français. C’est sur cette base qu’il a eu cet engagement mutuel. Ce n’est pas la peine de faire des circonvolutions sur les termes employés », objecte le sénateur socialiste Éric Kerrouche.
« Les dés sont pipés depuis le départ puisque le Medef a dit tout de suite qu’il n’était pas question de revenir sur l’âge de départ à la retraite […] Je ne vois pas ce que François Bayrou pourrait obtenir maintenant », déplore la sénatrice socialiste, Monique Lubin, membre du Conseil d’Orientation des retraites (COR).
Quant à l’hypothèse d’un accord partiel qui pourrait être soumis aux parlementaires, il pourrait contenir des propositions pour un calcul favorable de la retraite des mères de famille. Pour les femmes ayant eu un enfant, la retraite serait calculée sur les 24 meilleures années. Pour celles en ayant eu deux, elle serait calculée sur les 23 meilleures années. Le texte imaginé par le médiateur Jean-Jacques Marette devait aussi proposer un avancement à 66,5 ans de l’âge de départ sans décote, contre 67 ans actuellement. La décote est cette pénalité qui minore la retraite versée lorsque l’on part après l’âge légal, mais sans avoir cotisé un nombre suffisant de trimestres (172 exigés par la réforme Borne, soit 43 ans).
« Je me demande si François Bayrou veut sauver les retraites ou sauver son poste »
« C’est le premier gouvernement Macron qui a enlevé les critères de pénibilité qui existaient déjà. En 2023, on a essayé de les remettre, le gouvernement s’y est opposé. On nous présente ça comme de grandes avancées alors que ce serait un retour sur ce qui existait avant […] sur les retraites à taux plein 66,5 ans contre 67 ans, c’est une toute petite avancée. C’est ridicule. Enfin sur les mères de famille, elles ont été lésées dans la loi de 2023 […] C’est un jeu de dupes tout ça, il y a très peu d’avancées », a tancé Monique Lubin qui continue de défendre la retraite à 62 ans.
« Je me demande si François Bayrou veut sauver les retraites ou sauver son poste », fait mine de s’interroger le sénateur PS, Rachid Temal. « Nous considérons que la réforme qui a porté l’âge légal de la retraite à 64 ans est une mauvaise réforme donc il est normal que le Parlement soit de nouveau saisi. Il n’y a pas d’acceptation de la mesure d’âge de 64 ans par les syndicats », ajoute-t-il.
Une majorité pour revenir sur la retraite à 64 ans s’est exprimée à l’Assemblée nationale au début du mois, à l’occasion d’une proposition de résolution portée par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine. 198 députés contre 35 opposés ont voté le texte des communistes proposant une abrogation de la réforme de 2023. Le texte n’a toutefois pas de portée contraignante. « Le conclave est un échec complet. A partir du moment où François Bayrou a annoncé en mars qu’il ne voulait pas revenir à l’âge légal de départ à 62 ans, c’était fichu », appuie la sénatrice communiste Cathy Apourceau-Poly.
Le leader de LFI, Jean-Luc Mélenchon, n’a pas manqué de railler la stratégie des socialistes sur X, dès l’annonce de l’échec du conclave lundi soir. « Bilan des combines du PS pour sauver Bayrou avec un pacte de non-censure qui a détruit le NFP : un budget pire que le précédent et une mascarade sans aucun résultat sur la retraite à 64 ans. LFI a tenu bon et avec raison une fois de plus ! Maintenant le PS doit assumer cet échec et ses dégâts. Il doit montrer l’exemple pour voter au complet la censure. Tous les groupes de gauche peuvent se rassembler sur une ligne claire de rupture : faire partir Bayrou », a-t-il enjoint sur X.
Rappelons que pour être déposée une motion de censure doit être signée par un dixième des députés, soit 58 parlementaires. Fort de 62 élus, le groupe socialiste a les capacités pour la déposer seul. Toutefois, comme l’indique nos confrères de LCP, la motion qui sera déposée très prochainement devrait être signée par différents groupes de gauche. En janvier dernier, le groupe PS s’était divisé sur l’opportunité de voter la motion déposée par LFI. Le groupe subira-t-il de nouveau des pertes en ligne sur ce nouveau vote ? « Si Boris Vallaud a annoncé le dépôt d’une motion dans l’hémicycle, j’imagine qu’il en a discuté avec les députés de son groupe ce matin », esquisse Éric Kerrouche, proche du député landais.
Mais la gauche à elle seule ne peut pas faire tomber le gouvernement et aurait besoin du vote d’élus RN qui menacent également le Premier ministre d’une censure sur son décret de programmation pluriannuel de l’énergie. Mais pour le moment le RN ne semble pas vouloir s’associer à la gauche pour faire tomber le gouvernement.
La motion devrait être examinée en début de semaine prochaine.