Paris : Manifestation Interprofessionnelle
Manifestation Interprofessionnelle a l'appel de tous les syndicats de salairies ce jeudi 19 janvier 2023 pour protester contre la reforme des retraites initiee par le gouvernement. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont ainsi rejoint le cortege qui s'elance depuis la Place de la Republique jusqu'a la place de la Nation via Bastille. Paris, FRANCE - 19.01.2023. Photographie de Chang Martin / Sipa. Interprofessional demonstration at the call of all employee unions this Thursday, January 19, 2023 to protest against the pension reform initiated by the government. Several tens of thousands of people have thus joined the procession which sets off from Place de la Republique to Place de la Nation via Bastille. Paris, FRANCE - 19.01.2023. Photograph by Chang Martin / Sipa.//CHANGMARTIN_0906000025/Credit:Chang Martin/SIPA/2301200912

Mouvement du 10 septembre : « Les partis politiques se positionnent en ayant en tête le précédent des Gilets Jaunes »

Les appels au blocage le 10 septembre prochain sont accueillis favorablement par les partis de gauche, La France Insoumise en tête. Le mouvement aux contours flous mais centré sur la contestation du budget de François Bayrou rappelle celui des Gilets jaune en 2018-2019.
Stephane Duguet

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La France sera-t-elle bloquée le 10 septembre ? C’est en tout cas un mot d’ordre abondamment relayé sur les réseaux sociaux depuis le mois de juillet. Ce mouvement « Bloquons tout » a émergé sur X et Telegram avec des revendications disparates au printemps. Certains appellent à cesser le travail, à payer en liquide, à retirer son argent des banques ou encore à se confiner. Le budget de François Bayrou qui veut faire 43,8 milliards d’euros d’économie a servi d’accélérateur à la diffusion de l’appel à se mobiliser. Depuis dimanche, le mouvement, dont les contours sont encore flous, a reçu le soutien de La France Insoumise. Dans une tribune publiée dans La Tribune Dimanche, Jean-Luc Mélenchon et plusieurs Insoumis écrivent à « tous ceux qui partagent nos principes et notre volonté d’action pour en finir avec le gouvernement Bayrou (à) se mettre immédiatement au service des collectifs locaux qui proposent cette mobilisation et à tout faire pour sa réussite. »

Ce mercredi, la patronne des Ecologistes Marine Tondelier leur a emboîté le pas tout en mettant en garde contre « la récupération » qui pourrait en être faite. Les socialistes et les communistes eux aussi ont indiqué être en soutien de la mobilisation qui rappelle celle des Gilets jaunes en 2018-2019 dont certaines figures relaient activement les appels à se mobiliser le 10 septembre. Des parallèles peuvent être tirés entre la mobilisation des Gilets jaunes et celle du 10 septembre. Analyse avec Antoine Bernard de Raymond, sociologue et directeur de recherche à l’INRAE de l’Université de Bordeaux. Il est l’auteur de Sociologie des Gilets jaunes : reproduction et luttes sociales (Editions le bord de l’eau, 2024)

Parmi les figures des Gilets jaunes qui relaient cet appel du 10 septembre, certains mettent en garde contre la récupération politique. C’était une crainte aussi des manifestants pendant la mobilisation de 2018-2019. Comment cela se traduisait ?

Les Gilets jaunes avaient une mauvaise opinion des canaux traditionnels de la politique. C’est quelque chose qui se rejoue avec la mobilisation du 10 septembre, il y a toujours la crainte que si les partis politiques s’en mêlent, il y aura de la récupération et le mouvement sera détourné de son objet. Je me rappelle avoir rencontré un retraité, un militant très expérimenté et révolutionnaire. Plusieurs fois il m’a cité les propos de l’ancien secrétaire confédéral de la CGT Philippe Martinez qui avait dit au début du mouvement qu’il n’irait pas marcher avec l’extrême droite. Lui, ça l’avait choqué qu’on puisse balayer d’un revers de manche une grande mobilisation populaire. Mais la méfiance est réciproque. Au sein des partis de gauche et des organisations syndicales, ce qui a dominé au début du mouvement des Gilets jaunes, c’est que le mouvement était relayé par la patriosphère.

Contrairement à 2018 d’ailleurs, La France Insoumise n’a pas tergiversé pour soutenir ce mouvement du 10 septembre avant qu’il ne commence. Le Parti socialiste, les Ecologistes et les communistes aussi. Comment expliquer qu’ils soient moins frileux qu’au début des Gilets jaunes ?

Ce qui est sûr, c’est que maintenant il y a un précédent alors qu’en 2018 y avait un air de jamais vu. Les partis politiques se positionnent en ayant beaucoup en tête le précédent des Gilets jaunes. Si on prend le cas de LFI d’ailleurs, je ne sais pas s’ils en ont tiré toutes les conséquences. A un moment ils ont pensé pouvoir faire corps avec le mouvement des Gilets jaunes et l’orienter mais ça n’a pas été complètement le cas.

Au-delà des décisions qu’on peut prendre de manière conjoncturelle sur comment les partis se positionnent, ça pose selon moi un problème de fond qui n’est pas résolu. Il y a un ensemble de catégories sociales qui supposément devraient se sentir représentées par ces partis et organisations de gauche et qui en fait ne s’y reconnaissent plus. Aujourd’hui, ce dissensus est de plus en plus fort, il y a une tripartition de la vie politique et c’est un énorme défi pour les partis et les organisations de gauche de retrouver une prise sur tout un ensemble de milieux sociaux qui ne se reconnaissent plus dans la politique telle qu’elle existe.

Pensez-vous qu’avec le mouvement du 10 septembre, nous allons revivre le mouvement des Gilets jaunes ?

En ce qui concerne le mouvement du 10 septembre, il y a une incertitude sur ce qu’il va se passer le jour J. Comme avec les Gilets jaunes d’ailleurs. Une leçon que j’ai retenue de mon travail sur les Gilets jaunes, c’est que l’événement en lui-même produit sa propre logique. Les Gilets jaunes s’étaient donné rendez-vous sur les ronds-points. Les gens ont vécu le premier jour de mobilisation comme un choc de rencontrer d’autres personnes qui partageaient leurs difficultés. Et ça a été aussi un boost pour continuer à se mobiliser et voir le soutien des gens qui passaient en voiture autour des ronds-points avec un Gilet Jaune, en klaxonnant, ça les a galvanisés. Il y a eu un effet socialisateur de l’évènement lui-même.

Je ne pense pas que nous revivrons les Gilets jaunes comme les Gilets jaunes avec des revendications qui sont restées ancrées sur la mobilité périurbaine, l’histoire ne repasse pas deux fois. Mais sur la question du ras-le-bol vis-à-vis de la vie chère qui vient s’accrocher à une insatisfaction vis-à-vis du régime politique et des conditions de la représentation politique, je ne pense pas que les choses se soient améliorées depuis 2018.

Vous voyez des similitudes entre les revendications du mouvement du 10 septembre et celui des Gilets jaunes ?

Le mouvement du 10 septembre se concentre beaucoup autour de la question de l’austérité avec un budget où nous devons faire des dizaines de milliards d’économies et où il y a un sentiment d’injustice avec l’impression que ce sont toujours les plus défavorisés qui doivent faire des efforts alors que les plus favorisés, eux, on les laisse tranquille. On retrouve un peu les mêmes mécanismes qu’avec les Gilets jaunes mais qui pourraient toucher un éventail de catégories sociales plus larges que les Gilets jaunes parce que ça a été une limite de ce mouvement qui n’a pas pu s’étendre à toute la société française. Ça a mobilisé très largement, ça a été un vrai mouvement de masse mais en même temps il y a des gens qui ne se sont pas reconnus dans le mouvement et qui n’y sont pas allés.

Quelles étaient les caractéristiques du mouvement des Gilets jaunes ?

Les caractéristiques saillantes ce sont à la fois le mot d’ordre, le pourquoi on se mobilise, qui se mobilise et les modes d’actions. D’abord sur le pourquoi, à l’origine du mouvement des Gilets jaunes, il y avait la question d’une taxe gouvernementale sur l’essence. Mais ensuite, ça s’est élargi à tout un tas de domaines qui concernent plutôt la vie chère. C’est ce qui permet de voir l’aspect singulier de ce mouvement-là. En France, d’habitude ce sont plutôt les syndicats et les partis qui veulent représenter les classes populaires qui mènent la contestation en étant plus la question du travail et des salaires alors que là la vie chère, c’est plutôt l’accès à un ensemble de biens dans sa vie quotidienne pour s’occuper de sa famille. Donc on est un peu à côté de la sphère du travail.

En ce qui concerne les Gilets jaunes, ensuite vous avez eu une montée en généralité dans le cours de la mobilisation qui fait que les gens se sont mobilisés pour des choses auxquelles ils ne pensaient pas quelques semaines auparavant. Il y a eu un effet boule de neige et ça a amené à une contestation du pouvoir représentatif. Les Gilets jaunes demandaient le référendum d’initiative citoyenne (RIC) ou la VIe République.

Dans le cas de la mobilisation du 10 septembre, ce qui rappelle les Gilets jaunes, c’est aussi le flou qui entoure l’organisation avant le début du mouvement.

Le mouvement des Gilets jaunes n’était pas organisé par des personnes habituées à se mobiliser comme les syndicats ou les partis de gauche qui veulent représenter les classes populaires. La mobilisation s’est faite en dehors des modes d’agir institués, ce qui rendait le mouvement imprévisible, et sur une base locale avec une composition très hétérogène : il y avait de tous les âges et autant de femmes que d’hommes. C’était aussi une mobilisation trans-sectorielle. Les gens étaient issus de milieux populaires, ouvriers et employés mais ils venaient de différents secteurs d’activité. L’hétérogénéité était à la fois une force et une contrainte parce que tout le monde n’avait pas le même point de vue mais ça permettait au mouvement de se renouveler et pour les participants ça faisait l’intérêt du mouvement de rencontrer des gens de tout horizon.

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