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Municipales 2026 : des ingérences étrangères déjà très actives sur de faux sites d’information locale 

A l’approche des élections municipales de 2026, une enquête américaine révèle l’existence, en France, de près de 150 médias en ligne factices, soupçonnés d’être des outils d’influence russe. De quoi éveiller les inquiétudes à quelques mois du scrutin.
Aglaée Marchand

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C’est une bataille que les élus n’avaient peut-être pas encore anticipée dans leur course aux élections municipales. Une série de faux sites d’information locale, gavés par l’intelligence artificielle et reliés à un réseau d’influence russe, a fleuri sur Internet en France, entre février et juin 2025, dévoile une étude menée par le groupe de recherche américain Insikt. Avec des objectifs clairs : « exacerber la fragmentation politique dans les pays occidentaux qui soutiennent l’Ukraine » et saper cette aide.

Un mode opératoire informationnel russe

Des centaines de faux sites web de médias actifs en Occident ont été identifiées par les chercheurs, dont 141 en France. A l’origine de ce phénomène ? Le réseau russe Copycop, administré par l’ancien marine américain John Mark Dougan en exil à Moscou qui s’attache à relayer des narratifs pro-Kremlin, et sur lequel s’appuie le mode opératoire informationnel (MOI) Storm-1516 pour amplifier ou crédibiliser certains des contenus qu’il produit.

Ces activités ont pu être observées depuis 2023 par VIGINUM, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Actif « a minima » depuis août 2023, ce MOI s’attaque essentiellement aux processus électoraux, en positionnant par exemple des faux médias dans l’espace informationnel des pays ciblés. Élections législatives européennes de juin 2024, les législatives anticipées françaises de juillet 2024, ou encore les élections fédérales allemandes de février dernier, en passant par l’élection présidentielle américaine de novembre 2024, ce sont autant de scrutins dans lesquels a tenté d’interférer Storm-1516. Jusqu’à parfois bouleverser complètement les résultats, comme en Roumanie, rappelle le sénateur centriste Olivier Cadic, où le candidat d’extrême droite Calin Georgescu, pourtant très bas dans les sondages, est arrivé en tête du premier tour. « Il était le quatrième compte mondial sur Tik Tok », s’exclame le représentant des Français hors de France, évoquant des ingérences russes en sa faveur sur l’application. En réaction, la Cour constitutionnelle roumaine a décidé d’annuler le premier tour du scrutin.

« Une démarche de création de chaos informationnel »

Au premier coup d’œil, ces sites web ont tout des codes des médias classiques, de leur design aux rubriques présentées. Pourtant, derrière la flopée d’articles publiés, ne se trouve aucun journaliste, pointe du doigt le rapport d’Insikt. Le recours massif à l’intelligence artificielle permet en réalité à ces sites web factices de mettre en ligne rapidement de grandes quantités de contenu. Si certains articles reposent sur de véritables faits divers, toutefois déformés ou amplifiés, d’autres sont tout simplement inventés. Des défaillances du gouvernement, des élites déconnectées, un climat d’insécurité… « Globalement, les faux sites participent à une démarche de création de chaos informationnel et à une saturation, ce qui contribue à la sape de la confiance dans les institutions et à un retrait progressif de la vie publique de beaucoup de personnes en France », analyse Rayna Stamboliyska, directrice générale de RS Strategy et auteure de La face cachée d’Internet (ed. Larousse, 2017).

Sur la page d’accueil de nordactuquotidien.fr, une information rapporte que « des mineurs algériens et marocains saccagent une femme dans un acte de braconnage dégradant », à Villefranche-sur-Saône. De son côté, flash-bourgognefranchecomte.fr expliquait le 10 octobre que « le Panthéon français s’apprête à glorifier un homme qui a trahi la justice ». En avril, lequotidienfrancais.fr dénonçait « l’émission imminente de mandats d’amener visant plusieurs figures de l’opposition politique » par « plusieurs hauts responsables de l’appareil judiciaire et du gouvernement », concernant, en autres, Marine Le Pen, faux extraits d’une discussion WhatsApp intitulée « Chat du Tribunal de Paris » à l’appui.

Derrière ces ingérences, les motivations sont multiples, au premier rang desquelles : affaiblir le soutien à l’Ukraine. « On y retrouve les éléments de langage autour du gouvernement ukrainien étant ‘corrompu’, ‘nazi’, ‘incompétent’ », explique Rayna Stamboliyska. « Et plus largement une sémantique autour de l’UE et la France ne voulant pas la paix parce que souhaitant ‘prolonger la guerre’ lorsqu’il s’agit de poursuivre l’aide à l’Ukraine dans sa lutte contre l’agression russe », poursuit-elle. De manière globale, Moscou tente de fragmenter l’opinion publique « pour saper la confiance dans les institutions nationales et européennes : en amplifiant des tensions et des fractures préexistantes, telles que l’immigration, le pouvoir d’achat… »

La presse locale : « le vecteur idéal », à l’aune des élections municipales

actubretagne.fr, ardennesinfolive.fr, info-grand-est.fr ou encore sudouestdirect.fr, une large partie des sites web répertoriés par l’étude d’Insikt s’apparentent à des médias locaux. Un phénomène qui pourrait faire peser des risques d’influence directement sur les élections municipales de mars 2026, avant les jeux politiques de 2027. « La presse quotidienne régionale (PQR) constitue le vecteur idéal, car elle dispose d’un capital de confiance élevé », rapporte Rayna Stamboliyska. 63 % des Français disent faire confiance à la presse locale, d’après le baromètre Verian de 2025. « De plus, les élections locales connaissent une participation plus faible (40-60 % selon l’INSEE) que les présidentielles, ce qui rend l’influence marginale potentiellement plus décisive ».

En cherchant de nouveaux moyens de peser sur le scrutin, « les médias locaux sont intéressants [pour Moscou] parce qu’ils permettent d’aller au-delà des publics plutôt aisés vivant dans les capitales et les grandes métropoles, pour aller toucher un autre électorat », avance Julien Nocetti, chercheur associé à l’IFRI. « Dans certains contextes locaux, où il peut y avoir un chômage plus important, avec des fermetures d’usines ou d’administrations » par exemple, cet appareil de désinformation s’empare de « multiples points d’appui » : « une vie politique très chaotique », « une crise économique constante », « la guerre en Ukraine avec des conséquences concrètes » pour la France, « la crise climatique »… énumère le chercheur, et relaie les narratifs selon lesquels « nos gouvernants ne seraient pas capables de résoudre les crises ». C’est « une grande variété de vulnérabilités sur lesquelles la Russie peut insister à des échelles beaucoup plus localisées ». Aussi au cœur de ces campagnes : le vote d’extrême droite, qui « est historiquement plus important hors des grandes métropoles où la PQR joue un rôle d’information privilégié », précise Rayna Stamboliyska.

« Une guerre informationnelle »

Il n’existerait pourtant « pas de solution magique », souligne l’experte en diplomatie numérique. « Ce qui est exploité, c’est notre ouverture et notre acceptabilité de ce qui est différent, contradictoire », qui constitue paradoxalement « notre plus grande force ». « Il faut poursuivre l’éducation aux médias, y compris dans les écoles, et poursuivre les efforts de démystification d’outils numériques et de campagnes toxiques comme celles-ci ». Un constat partagé par Julien Nocetti : « Les défenses immunitaires pour l’informationnel se renforcent sur le temps long ». « L’effort de contre influence » doit être « mené par toute la société ». En juillet 2024, une commission d’enquête sur les politiques publiques face aux opérations d’influences étrangères s’emparait au Sénat de cette menace, en préconisant « une approche collective de la lutte contre les influences étrangères malveillantes ».

Pour le sénateur centriste Olivier Cadic, il est grand temps de reconnaître une « guerre informationnelle » car « tout le monde prend conscience qu’il y a une volonté de perturber nos élections pour que des candidats soient élus et qu’ils puissent être plutôt favorables à des individus qui ne nous veulent pas du bien ». Celui qui a été la cible d’une cyberattaque menée par la Chine en 2021 contre des parlementaires d’une dizaine de pays, milite pour que ces tentatives de « déstabiliser l’État » soient prises en charge par le ministère des Armées : « On sait qu’on a des batailles à mener, qu’on doit s’y préparer, or s’il s’agit d’une guerre, c’est le rôle des Armées ».

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