Une étape après l’autre. Adopté par les députés à seize petites voix près, grappillées à coups de négociations et de compromis – principalement entre la gauche et l’exécutif, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) peut désormais continuer son chemin vers le Sénat, pour un aller-retour express. Premier exploit pour Sébastien Lecornu, qui espère transformer l’essai, en s’attaquant au budget de l’État (PLF). Et « ce sera difficile », le Premier ministre le sait. Car si des ententes ont pu se dessiner pour laisser une chance au PLFSS, la marge de manœuvre est plus fine encore pour le PLF, la majorité sénatoriale de la droite et du centre n’étant que peu encline à accepter de nouvelles concessions. Sans voie de passage, le gouvernement se retrouverait contraint à faire passer une loi spéciale d’ici le 19 décembre, un texte court et technique autorisant uniquement la perception des impôts et des ressources publiques nécessaires au financement des dépenses publiques essentielles, sur la base du budget de l’année précédente, et remettant à janvier l’adoption d’un PLF pour 2026. Sans garantie que son atterrissage soit plus facile, ni plus rapide.
Menaces de censure et de dissolution mises à part, c’est aussi l’ombre des élections municipales, des 15 et 22 mars prochains, qui hérisse les poils des parlementaires. Chiffrée à 193,5 millions d’euros par la mission « Administration générale et territoriale de l’État » du Sénat, la tenue de ces scrutins pourrait-elle être mise à mal, faute de budget à Noël ?
« Les élections restent des priorités »
Cette année, l’enveloppe du programme 232 « Vie politique » est particulièrement lourde, par rapport à 2020. La faute à l’accroissement des prix de l’acheminement du matériel électoral par la Poste (46,1 millions d’euros, soit + 90 % par rapport à 2020), à la mise en œuvre de la loi Paris-Lyon-Marseille (15,2 millions) et à l’entrée en vigueur de la loi du 21 mars 2024 renforçant la sécurité des maires et des élus locaux (7,61 millions d’euros). Dans un scénario où le PLF ne parviendrait pas à convaincre les deux Chambres d’ici le mois de mars, une loi spéciale pourrait rester en vigueur plusieurs mois. Sans possibilité d’y intégrer ces crédits. A notre micro, le ministre du Travail et des Solidarités, Jean-Pierre Farandou, sonnait d’ailleurs l’alarme fin novembre : « La loi spéciale, […] ça veut aussi dire que vous n’avez pas les budgets pour financer l’organisation des élections municipales ». En réalité, pas de quoi s’inquiéter, d’après le professeur de droit public Vincent Dussart, qui y voit plutôt « une façon de faire peur et de mettre la pression » sur députés et sénateurs, entre les mains desquels réside l’avenir du budget 2026. Et qui devront faire preuve d’un « sens de la responsabilité collective », d’après la sénatrice Florence Blatrix-Contat (PS), rapporteure de la mission « Administration générale et territoriale de l’État ».
« L’organisation des scrutins locaux relève du ministère de l’Intérieur », explique le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, « et le ministère sera doté d’un budget, même en cas de loi spéciale. Il faudra qu’il s’organise évidemment, parce qu’il n’aura pas forcément tout l’argent dont il aurait eu besoin pour 2026, donc il devra procéder à des arbitrages, mais les élections restent des priorités ». A Beauvau, « en l’état, nous n’avons pas identifié de solution », explique une conseillère communication à Public Sénat. Toutefois, le ton se veut rassurant : « Les élections sont une exigence démocratique et leur déroulement est incontournable. Elles seront de fait organisées, mais il faudra trouver des crédits, qui seront détournés d’autres missions », avance-t-on en interne. « En effet, le ministère est compétent pour opérer des transferts de crédits. Si le problème se posait en fin d’année, ce serait plus problématique parce que les crédits pourraient être épuisés, en mars, il n’y aura, a priori, pas de risque financier pour les élections », analyse le professeur de droit public Vincent Dussart, « mais il ne faudra pas imaginer des crédits extensibles non plus ». « Le seul point qui pourrait vraiment coincer, d’après moi, ce sont les remboursements d’une partie des frais de campagne des candidats, qui pourraient tarder à arriver », souligne-t-il.
Et l’hypothèse d’un décalage ? « On serait vraiment dans une situation cataclysmique », continue ce dernier. « Enfin, ça a été le cas pendant la pandémie de Covid-19, car c’était une crise grave. Le report des municipales, même en termes d’affichage du fonctionnement de l’État, ce serait problématique, car ça voudrait dire que l’État ne contrôlerait plus rien, y compris les élections, qui sont le cœur de la démocratie ». Plus de peur que de mal donc : les scrutins devraient bien avoir lieu les 15 et 22 mars prochains, quelle que ce soit la partition qui se joue sur la scène nationale.
Des incidences concrètes au niveau local
Plus que la tenue des élections, ce sont les rouages de la vie communale qui pourraient surtout se mettre à grincer. Une loi spéciale assure le maintien des services publics courants dans les territoires, néanmoins, elle laisserait le financement local en stand-by, dans l’attente de l’adoption d’un PLF. De quoi fragiliser un échelon déjà à la peine. « S’il n’y a pas de budget, il n’y aura rien », s’est inquiétée la ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation, auprès d’Ouest-France. Les 600 millions d’euros promis aux départements en difficulté par Sébastien Lecornu, le milliard d’euros consacré annuellement à l’investissement des territoires ruraux, les recrutements dans la police et la justice… Ce sont tant de postes de dépenses qui ne pourront être concrétisés d’après l’ex-sénatrice, à l’origine aussi de la proposition de loi créant un statut d’élu local.
« Cela poserait des difficultés criantes pour toutes les personnes publiques, à commencer par les collectivités locales », confirme Jean-Philippe Derosier. Et d’ajouter : « Tous les investissements qu’elles auraient prévus seront, effectivement, mis à l’arrêt et compromis ». Ce serait « demander aux communes de vivre sur l’existant », déplore Vincent Dussart. La sénatrice de l’Ain Florence Blatrix-Contat abonde dans ce sens : « Les communes ont déjà pâti cette année, avec les premières commissions DETR [ndlr : dotation d’équipement des territoires ruraux] qui ont pour charge d’attribuer les subventions, qui ne sont intervenues qu’en juillet, au lieu du mois d’avril. Un tel scénario risque de se répéter sans l’adoption rapide d’un PLF ». Le ton est à l’urgence : « Le vote d’un budget est indispensable dès le premier trimestre ».