Il n’y avait guère de suspense sur l’issue du scrutin. Le Sénat a massivement rejeté ce mardi après-midi, avec 218 voix contre et seulement 97 pour, une proposition de loi visant à réformer le scrutin municipal pour les villes de Paris, Lyon et Marseille, qui fonctionnent depuis 1982 sur un système électoral dérogatoire. Avant même le début de son examen, ce texte, porté par le député Renaissance Sylvain Maillard, s’était attiré de nombreuses critiques au sein de la bien nommée « Chambre des territoires ». Volontiers taxée de « tripatouillage électoral », aussi bien par les LR – majoritaire au Sénat -, que par une large partie des oppositions de gauche, la proposition de loi avait déjà été rejetée lors de son passage en commission des lois le mois dernier.
Soutenue par le gouvernement de François Bayrou et adoptée à l’Assemblée nationale en avril, cette réforme entend en finir avec un mode de scrutin qui veut que les électeurs de Paris, Lyon et Marseille ne votent que pour une liste de conseillers dans leurs arrondissements respectifs. Les élus situés en haut des listes sont ensuite amenés à siéger au Conseil de Paris, où ils élisent le maire. Le texte porté par les macronistes propose de substituer à ce système un mode d’élection à deux tours de scrutin, organisés le même jour dans ces trois villes. L’un pour l’élection des conseillers d’arrondissements, l’autre pour le conseil municipal.
« La démocratie est une idée française mais elle s’use si l’on ne cherche pas chaque jour à améliorer son fonctionnement, en tout cas chaque fois que nécessaire », a plaidé à la tribune Patrick Mignola, le ministre chargé des Relations avec le Parlement. « S’agissant du scrutin PLM, il était important d’y revenir à la fois parce qu’il concerne 3,5 millions de concitoyens, ensuite parce qu’il s’agit d’un scrutin critiqué depuis son instauration. Le président Chirac l’avait qualifié de défi au bon sens, parce qu’il peut conduire à l’élection d’un maire qui aurait recueilli moins de voix que son concurrent », a-t-il pointé.
« Ce texte est inamendable »
« À première vue, cette proposition de loi semble louable, il s’agirait de modifier le mode de scrutin pour le rendre plus démocratique selon le principe : un électeur égal une voix », a résumé la rapporteure LR Lauriane Josende. Avant d’énumérer les « innombrables difficultés » soulevées par cette réforme, notamment l’absence d’étude d’impact ou encore un manque de concertation avec les élus locaux.
« Ce texte est inamendable. Nous avons cherché une porte de sortie, nous avons cherché à voir quels dispositifs, quels amendements pourraient faire consensus, nous permettraient d’avancer, mais nous n’y sommes pas arrivés », a-t-elle regretté. « Dès que nous ouvrions une porte, nous avions d’autres problématiques, bien plus grandes, qui apparaissaient derrière. À partir de là, nous en avons tiré le constat qu’il fallait, au contraire, tout arrêter et rejeter ce texte. »
Au cours des débats, plusieurs des candidats à la mairie de Paris pour 2026, siégeant actuellement au Palais du Luxembourg, ont pris la parole pour tirer à boulets rouges sur ce texte. Ainsi le socialiste Rémi Féraud, qui a évoqué « un projet électoraliste hors du temps réglementaire », ou encore l’écologiste Yannick Jadot, dénonçant « une réforme territoriale » déguisée.
Les opposants redoutent notamment une dévitalisation des arrondissements, « transformés en simple relais des mairies centrales », selon la formule de Cécile Cukierman, cheffe de file du groupe communiste. « Avec cette réforme vous ne dynamisez pas la démocratie locale, vous la dynamitez ! », s’est insurgée la sénatrice LR Valérie Boyer, elle-même ancienne maire du 6e secteur de Marseille.
« Au fond, c’est Madame Dati la plus concernée par ce texte »
« Il ne faut pas considérer qu’un rejet du Sénat signifierait un abandon de la réforme, si nous renvoyons une copie blanche à l’issue de cette première lecture, les choses se feront sans le Sénat ! », a voulu avertir la sénatrice MoDem Isabelle Florennes. « Notre rôle de parlementaire est d’améliorer les textes, pas de s’y opposer par principe. Y compris lorsque nous sommes dans une opposition forte au gouvernement ce qui, je vous le rappelle chers collègues, n’est pas censé être le cas aujourd’hui », a-t-elle lancé à l’attention des LR, désormais membre du bloc gouvernemental.
Mais son appel n’a pas résisté aux suspicions soulevées par ce texte, qui propose de changer les règles du jeu moins d’un an avant les municipales. En cause notamment : la prime au vainqueur de 25 % que propose d’instituer les macronistes – quand elle est de 50 % dans les autres villes –, et qui viendrait mathématiquement renforcer le poids des oppositions dans les conseils municipaux.
De nombreux élus considèrent que c’est ce dispositif qui a permis l’adoption du texte à l’Assemblée, grâce à un attelage de circonstance, pour le moins hétéroclite, comme l’a rappelé la sénatrice PS de Paris Marie-Pierre de la Gontrie. « Ce texte n’a été fait que pour Paris. Lyon et Marseille, je m’excuse auprès d’eux, se sont retrouvés embarqués dans cette aventure… Pourquoi ? Le vote à l’Assemblée a été permis grâce au RN, à LFI et au groupe macroniste, trois formations politiques qui n’ont pas d’ancrage politique à Paris et qui pensent qu’avec une présidentialisation du scrutin, il serait possible de remporter l’élection… »
« Au fond, c’est Madame Dati la plus concernée par ce texte, peut-être aurait-elle dû venir le défendre elle-même », a taclé l’écologiste Anne Souyris. La ministre de la Culture, également maire du VIIe arrondissement de Paris, ne cache pas ses ambitions pour la capitale où elle a déjà été candidate aux dernières élections municipales.