À Paris, la gauche n’a plus le luxe du temps. À moins de 100 jours des municipales de 2026, l’accord semblait devenu inévitable. La candidate de la droite, Rachida Dati, soutenue par le MoDem, caracole en tête des intentions de vote. En face, aucune force de gauche ne dépasse seule la barre des 32 %, seuil désormais jugé insuffisant depuis la réforme du mode de scrutin pour Paris, Lyon et Marseille adoptée cet été.
Cette réforme, encore mal comprise jusque dans les états-majors, a agi comme un puissant accélérateur. « Le nouveau mode de scrutin a clairement précipité l’union », reconnaît le sénateur socialiste Rémi Féraud. Avec un objectif clair, celui d’arriver en tête dès le premier tour pour sécuriser la dynamique.
Une première « historique » … sans La France insoumise
C’est une première dans l’histoire municipale parisienne depuis que les Parisiens élisent leurs maires au suffrage universel en 1977 : écologistes, socialistes et communistes se lanceraient ensemble dès le premier tour. Une union large, revendiquée comme telle, mais sans La France insoumise, dont l’absence n’est une surprise pour personne. Dès le départ, Sophia Chikirou avait fermé la porte à toute alliance avec le Parti socialiste. Une donnée intégrée dans les calculs, au prix d’un risque assumé, celui de voir une partie de l’électorat écologiste se tourner vers une candidature dissidente ou l’abstention.
En public, les leaders font bloc. « C’est nouveau, c’est historique », martèle David Belliard sur France Info, appelant les militants écologistes à valider l’accord. Même satisfaction chez Ian Brossat, qui salue une gauche capable de « s’unir dès le premier tour ». En coulisses pourtant, l’enthousiasme est plus mesuré.
La démocratie interne à l’épreuve
Chez les écologistes, environ 1 200 militants ont jusqu’à 22 heures pour se prononcer sur le protocole d’accord transmis par la direction. Une consultation massive, mais à l’issue encore incertaine. « On ne peut pas faire comme si c’était acté, même si les trois candidats sont d’accord. Ce sont les militants qui décident », insiste une proche de la campagne d’Emmanuel Grégoire. « Il fait laisser le temps à la démocratie interne. » Des courriers des partisans circulent dans les boucles WhatsApp avec comme intitulé « nous nous inquiétons d’une alliance à Paris ». Un chemin vers l’alliance qui semble encore semé d’embûches.
Même tension côté PS. Un conseil fédéral parisien se réunit ce soir et devra valider à son tour l’accord. « Ça va passer », assure un proche de la campagne. « Les tracts sont quasi prêts ».
Le 11ᵉ arrondissement, point de fracture
C’est là que l’accord se fissure. Il a un coût politique et il se concentre dans le 11ᵉ arrondissement, fief historique du PS. Une motion interne, que Public Sénat a pu consulter, circule depuis plusieurs jours sous un titre sans ambiguïté : « Motion pour une candidature socialiste victorieuse dans le 11e en 2026 ». Le texte réclame un soutien « sans réserve » à François Vauglin, maire sortant, et laisse planer, en creux, la menace d’une dissidence. « C’est dur, je ne vais pas vous dire le contraire », confie un proche des négociations. « Cet accord est joyeux, plein d’espoir. Mais derrière, il y a des gens pour qui ça ne va pas être facile. Monter ce type d’accords, c’est de la dentelle. »
À l’origine de la motion, un proche de François Vauglin assume la démarche. Pour lui, la question n’est pas celle du principe de l’accord, mais de son efficacité électorale. « J’estime qu’il est nécessaire d’avoir un accord. Mais quelle est la meilleure stratégie pour gagner ? On n’y arrivera qu’en s’appuyant sur les forces existantes, sur les élus en place, comme François Vauglin. » À ce stade, les écologistes votent de leur côté, « mais nous aussi, on doit pouvoir s’exprimer. » La motion sera présentée ce soir au conseil fédéral.
Même tonalité critique du côté de Rémi Féraud. « J’ai toujours dit, depuis un an, que j’étais favorable au rassemblement de la majorité municipale dès le premier tour. Je n’ai pas changé d’avis », assure-t-il. Mais il met en garde contre une méthode qu’il juge brutale. « Je n’ai jamais considéré qu’un accord devait se faire en traitant une mairie d’arrondissement comme un pion. » L’éviction de François Vauglin est, selon lui, « une souffrance ». « Je le regrette beaucoup. Chacun prend ses responsabilités, mais je n’approuve pas ce qu’il se passe dans le 11ᵉ », insiste-t-il, tout en précisant qu’il n’est lui-même pas candidat.
Un accord stratégique
Sur le fond, les lignes ont convergé. « On est sur un programme clairement de gauche », défend un responsable écologiste. Pouvoir d’achat, bataille sociale, accès aux transports, piétonnisation, lutte contre le changement climatique, les marqueurs sont posés. « On tourne la page de l’hidalgisme », résume un participant de la campagne. « C’est une gauche qui assume sa dimension sociale et écologique. »
L’accord repose aussi sur un choix stratégique, rompre avec la figure du candidat unique. « Ce n’est pas Grégoire seul. C’est une équipe », insiste un écologiste. Face à une Rachida Dati donnée comme favorite, la gauche veut opposer un collectif, une gouvernance partagée, loin du schéma « dominant supplétif ». « L’électorat ne nous demande pas des vidéos TikTok ou de porter des talons. Il nous demande de nous unir. » insiste l’écologiste.
Une union nécessaire… mais encore fragile
La question demeure : cette union était-elle vraiment voulue, ou simplement imposée ?
Au parti socialiste, la réponse est presque unanime. « Elle est nécessaire. Pas confortable, mais nécessaire. » Les sondages, la réforme électorale, la pression de la droite, la fragmentation à gauche, tout poussait dans le même sens. Reste l’inconnue militante. « Les cadres ne pensent pas toujours comme les militants de terrain », reconnaît un responsable écologiste. « On ne sait jamais. » Si les votes passent, l’annonce officielle interviendra dans les prochaines heures.