La mobilisation d’une partie des parlementaires de gauche et de droite contre la réforme dite « PLM » se poursuit. Deux recours ont été déposés mardi et mercredi devant le Conseil constitutionnel contre cette proposition de loi qui modifie profondément le mode de scrutin municipal à Paris, Lyon et Marseille, et que le gouvernement espère voir entrer en application avant les élections de mars 2026. Le premier est porté par les députés socialistes et écologistes, le second par les sénateurs LR, soit plus de 200 parlementaires au total. La gauche sénatoriale avait également annoncé vouloir se tourner vers les Sages de la rue Montpensier, mais à ce stade aucune saisine émanant de leurs rangs n’apparaît sur le site du Conseil constitutionnel.
Les requérants font valoir au moins trois motifs d’inconstitutionnalité. Sur la forme, ils invoquent une violation de la procédure législative sur la base de l’article 40 de la Constitution, qui limite l’initiative financière des parlementaires, c’est-à-dire la possibilité de proposer des textes qui engendrent de nouvelles dépenses. Sur le fond, ils considèrent que la réforme porte atteinte à au moins trois principes constitutionnels : « l’égalité devant la loi », « la sincérité du scrutin » et « la libre administration des collectivités ». Explications.
Un parcours législatif mouvementé
Ce texte, porté par le député Ensemble pour la République Sylvain Maillard, a été rejeté deux fois par le Sénat, où les LR et l’ensemble des groupes de gauche ont dénoncé un « tripatouillage électoral », destiné selon eux à favoriser l’implantation des macronistes dans les trois plus grandes villes françaises, et notamment la candidature parisienne de la ministre de la Culture, Rachida Dati.
En l’absence d’accord entre les deux chambres du Parlement, le dernier mot a été donné à l’Assemblée nationale, ainsi que le prévoit la procédure législative. Le texte y a été largement adopté le 10 juillet, notamment avec les voix du Rassemblement national et de La France insoumise, dont l’implantation dans les conseils municipaux des villes concernées pourrait être renforcée avec cette réforme.
Cette adoption au terme de la navette parlementaire a déclenché l’ire des sénateurs, qui réclamaient purement et simplement l’abandon de la réforme. En effet, le Premier ministre avait laissé entendre en février dernier que le gouvernement pourrait faire machine arrière en l’absence de consensus, expliquant « ne pas imaginer qu’un texte puisse être adopté sur ce sujet sans qu’il y ait accord de l’Assemblée nationale et du Sénat ».
Un double scrutin
Cette proposition de loi met fin au mode d’élection spécifique instauré en 1982 dans ces trois villes, pour lui substituer un autre régime dérogatoire, jugée plus démocratique par ses défenseurs selon le principe : « un électeur égal une voix ».
Dans le dispositif actuel, les électeurs votent uniquement pour une liste de conseillers dans leur arrondissement de résidence. Les noms qui figurent en haut des listes forment aussi le conseil municipal, qui élit le maire. La proposition de loi remplace ce système électoral par un double scrutin, avec un vote dédié aux conseillers d’arrondissement et un autre pour les conseillers municipaux.
Irrecevabilité financière
Les saisines du Conseil constitutionnel font état des dépenses publiques engendrées par ce double scrutin, non seulement pour la tenue des opérations de vote (impressions de bulletins supplémentaires, matériel de propagande officielle, achats d’urnes, etc.), mais aussi en ce qui concerne les frais de campagne, avec une multiplication attendue du nombre de candidats dans la mesure où la reforme met en place deux élections distinctes au lieu d’une, même si les doubles candidatures restent possibles.
La rapporteure du Sénat, la LR Lauriane Josende, avait estimé le coût de cette réforme à 15 millions d’euros, « sans compter les indemnités de mandat supplémentaires. » Or, l’article 40 de la Constitution dispose que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique. » « Ce texte méconnaît manifestement ces dispositions », écrivent les députés socialistes et écologistes dans leur recours, dénonçant ainsi « l’irrecevabilité financière » de la proposition de loi.
Insincérité du scrutin et rupture d’égalité devant la loi
Les parlementaires alertent aussi sur le risque de confusion lié à la tenue d’un double vote le même jour, dans des villes ou les listes peuvent comporter plus d’une centaine de candidats. Dans le cas de Lyon, notamment, ce ne sont pas deux mais trois bulletins que les électeurs devront déposer, car depuis 2015 les conseillers métropolitains de l’intercommunalité du Grand Lyon sont élus en même temps que les conseillers municipaux. « Il résulte de l’ensemble de ces facteurs une situation d’une grande illisibilité pour l’électeur, même averti, de nature à porter atteinte à la clarté et à la sincérité des scrutins », estiment les sénateurs LR.
Également dans le viseur des requérants : la prime majoritaire à 25 % que fixe l’article 1er de la réforme à Paris, Lyon et Marseille, alors qu’elle est de 50 % dans toutes les autres communes de France. Ce système permet à la liste arrivée en tête d’augmenter le nombre de sièges glanés au conseil municipal, et donc d’asseoir sa stabilité et d’éloigner le risque de paralysie. Inversement, la réduction du nombre de sièges attribués au vainqueur renforcera mécaniquement les oppositions.
Les opposants au texte y voient une « rupture d’égalité devant la loi », dans la mesure où la prime ordinaire de 50 % continuera de s’appliquer dans les autres communes, si bien que les modalités de composition des conseils municipaux ne seront plus les mêmes d’une ville à l’autre. « Très concrètement, cela signifie que, dans l’hypothèse d’une expression proportionnellement identique des votes des électeurs, la représentation des différentes forces politiques au sein des trois villes d’une part, et des autres communes de l’autre, sera très différente », écrivent les LR.
La libre administration des collectivités remise en cause
Durant les débats au Sénat, il a largement été question du risque de dévitalisation des arrondissements, puisque leurs élus ne siégeront plus automatiquement au conseil municipal. « La disparition du lien organique entre conseils d’arrondissement et conseil municipaux rompt l’unité de gouvernance démocratique et entrave la capacité de la commune à s’administrer elle-même », expliquent socialistes et écologistes.
Dans le recours qu’elle a déposé, la droite sénatoriale évoque également le risque d’une gouvernance bicéphale, avec deux organes décisionnels qui exercent des compétences locales, mais qui seront désormais déconnectés l’une de l’autre. « Une telle situation fait émerger un conflit de légitimité entre l’action du conseil municipal et celle du conseil d’arrondissement, chacun des deux étant doté d’une légitimité issue du suffrage universel direct, constatée lors de deux scrutins désormais séparés. »
Une fois saisi, le Conseil constitutionnel dispose d’un mois pour statuer. Sa décision concernant la proposition de loi « PLM » devrait donc tomber au cœur de l’été, mi-août. Quelques jours seulement avec l’ouverture de la période préélectorale pour les municipales, le 1er septembre, lors de laquelle certaines règles commencent déjà à s’appliquer, notamment en matière de communication et de financement des campagnes. Un calendrier plutôt serré.