Tout va bien. A quatre jours du premier tour des municipales, LREM tente déjà de positiver un scrutin qui s’annonce difficile depuis des mois. Le numéro 2 du parti, le député LREM Pierre Person, invité de la matinale de Public Sénat mercredi matin, a rappelé l’objectif : « 10.000 élus locaux, si ce n’est plus, dans les grandes villes et villes moyennes, mais aussi les petites et les villages » (voir la vidéo ci-dessous). Un chiffre en réalité assez mince, au regard des 36.000 communes et 520.000 élus locaux dans le pays (dont 500.000 conseillers municipaux). Cela représente en réalité… 1,9 % des élus locaux !
Municipales : LREM espère avoir « 10.000 élus locaux » affirme Pierre Person
Une ambition que Pierre Person précise aujourd’hui : « C’est seulement à l’aune du renforcement de la majorité et d’avoir des élus locaux, que nous considérerons, nous, jeune parti En Marche, avoir réussi ces municipales ». Ce qui sera sans nul doute atteint. Autrement dit, le délégué général adjoint de La République en Marche fixe maintenant un objectif qui fera forcement de l’élection une réussite. Pratique.
« Il faudra résister au triomphalisme de la droite et de la gauche qui diront on revient au vieux monde »
Reste que depuis des mois, chez LREM, on craint le scrutin. La division, à commencer par Paris, n’a rien arrangé. Sous couvert d’anonymat, c’est une variation sur le même thème que l’on entend. « Dans les très grandes villes, on est mal barré » lâche ainsi en novembre une députée LREM à responsabilité (voir notre article). Un autre, début décembre : « J’ai toujours dit que c’était une élection pas vraiment faite pour nous. Ça permet de mettre un pied dans la porte des conseils municipaux. Mais la conquête d’une ville, c’est très compliqué ». Un troisième, début janvier, plus laconique : « Les municipales, je ne les vois pas bien… »
Et à quelques jours du premier tour, c’est toujours la soupe à la grimace. Un député LREM de l’aile gauche anticipe la défaite pour mieux l’expliquer… et minimiser : « La droite va gagner les municipales, car c’est une élection conservatrice. Et en 2014, c’était une vague de droite. Donc il ne faut pas surinterpréter ». Un secrétaire d’Etat résume parfaitement la situation :
Ça va être très mauvais. Mais comme on part de rien, ce sera un progrès. Mais ce sera en deçà de ce qui était prévu il y a un an. (un secrétaire d’Etat)
François Patriat, président du groupe LREM du Sénat, préfère positiver. « Les municipales, c’est le scrutin de la stabilité. Ça veut dire que les deux tiers des sortants sont réélus. Même s’il est normal de vouloir nationaliser le scrutin, les gens votent pour des personnes sur le terrain. Quand il a été un bon maire, il est réélu, quelle que soit son étiquette » tempère François Patriat. « Il faudra résister au triomphalisme de la droite et de gauche qui diront on revient au vieux monde, on a gagné » explique le sénateur de Côte-d’Or (voir nos articles sur les ambitions du PS et de LR). Il ajoute : « Le PS va garder des bastions bien entendu, mais ils vont décliner. LR ne va pas progresser. La recomposition politique va se faire par le centre. Entre 2014 et aujourd’hui, on passe de 300 à 1.600 listes centristes ou divers centre ».
Au second tour, « ce sera du cas par cas, vu le cousu main qu’on a fait »
« Divers centre », c’est la nouvelle appellation créée de toute pièce et sur mesure pour la majorité présidentielle par le ministère de l’Intérieur. Un nuançage qu’on a découvert dans la fameuse circulaire Castaner (publiée par publicsenat.fr), qui augmentait de 1.000 à 9.000 le seuil où l’Intérieur impose une nuance politique. L’exécutif a été accusé de vouloir tripatouiller la lecture des résultats, pour cacher ses difficultés attendues… Devant la polémique, Christophe Castaner n’a pas eu d’autre choix que de revoir sa copie. Le seuil est maintenant fixé à 3.500 habitants.
Mais malgré la nouvelle circulaire, le flou risque de marquer le scrutin. Et pour cause. La stratégie d’alliance de LREM avec des sortants de droite (pour une bonne partie) et de gauche, ou tout simplement de soutien à des élus toujours LR, comme Jean-Luc Moudenc, à Toulouse, compliquera la lecture. La stratégie continuera pour les éventuelles alliances de second tour. « Ce sera du cas par cas, vu le cousu main qu’on a fait » anticipe une secrétaire d’Etat, qui souligne que dans sa circonscription, « il y a six communes et six positionnement possibles ». Moralité, la même explique n’être « pas sûre que ce sera lisible dimanche soir ».
« Jouer placé et pas gagnant » en vue des sénatoriales
Cette stratégie du cas par cas montre que LREM a en réalité anticipé et inclut dans sa stratégie la difficulté. D’où le ton pour ce scrutin : pas d’arrogance mais plutôt de l’humilité. On ne casse plus la baraque. « L’objectif, c’est de jouer placé et pas gagnant. Ça fait des grands électeurs et ça prépare le renouvellements futur » aime à dire un sénateur LREM. « Notre enjeu, ce n’est pas tant de gagner des villes que de gagner des élus » confirme une secrétaire d’Etat. Une autre prend exemple sur son département : « On passera de 8 élus à 200. Ça fait des électeurs pour les sénatoriales et la dynamique pour les binômes dans les départementales ».
Ce sont en effet les conseillers municipaux qui constituent l’essentiel des grands électeurs des sénateurs. Ils sont essentiels pour les sénatoriales de septembre prochain. Si le Sénat restera à droite selon toute logique, l’enjeu pour la majorité présidentielle sera d’élargir ses rangs à la Haute assemblée. « On peut gagner des sénateurs dans les départements à la proportionnelle » dit un sénateur. Il faudra voir aussi si certains centristes, déjà sensibles aux sirènes macronistes, sont tentés de se rapprocher encore. Mais sauf surprise, il n’y aura pas de miracle pour la majorité présidentielle et les rapports de force devrait globalement être assez stables au Sénat.
« Une campagne en faux-plat »
Avant cela, il faut mener campagne jusqu’au second tour des municipales. Et ce n’est pas forcément facile. « C’est une campagne en faux-plat » témoigne un secrétaire d’Etat qui est retourné dans sa région. Le problème vaut pour tout le monde. « Depuis le début, ça patine, et je ne pense pas que le coronavirus viendra changer la participation. D’après mes retours, il n’y a pas tant de monde que ça dans les réunions publiques » raconte ce membre du gouvernement.
Mais à force de répéter que LREM va perdre les municipales, cela pourrait servir, en réalité, le parti présidentiel. Car si au soir du second tour, la majorité affiche des scores honorables, ce ne pourra être que positif. LREM n’est pas à l’abri de quelques bonnes surprises, comme Strasbourg, qui est dans le collimateur.
« Il ne faudrait pas qu’Edouard Philippe fasse un deuxième tour au Havre, ça le mettrait à mal comme premier ministre »
Quant au Havre, où le premier ministre Edouard Philippe est candidat, le scrutin sera regardé de près. Et pour cause. « Si le premier ministre est battu au Havre, il y aura un sujet. Pas besoin d’être grand clair pour voir ça » dit une ministre, qui ajoute aussitôt : « Mais je pense qu’il sera élu ». Mais avec quel score ? Un sondage le donne à 42% au premier tour, sachant qu’il y a une marge d’erreur. Il avait pourtant échappé au second tour en 2014… « 42%, c’est un score assez inquiétant. Ceux autour de lui sont assez fébriles » glisse un député LREM, qui ajoute : « S’il gagne au second tour, tout dépend comment. Si c’est à 52/48 contre les communistes… » De quoi affaiblir un premier ministre, alors que la macronie bruisse de rumeurs sur un remaniement post-municipales, pour cette fois réellement incarner l’acte 2.
Fin janvier, un parlementaire, réputé proche d’Emmanuel Macron, dessinait ainsi le tableau : « Si le PM gagne au Havre au premier tour, il est relégitimé. Mais il ne faudrait pas qu’il fasse un deuxième tour, ça le mettrait à mal comme premier ministre. Il ne peut pas se permettre d’avoir un mauvais score ». Heureusement qu’il y a la prime au (quasi) sortant…